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Australie : si vous voulez l’asile, passez par une île

Libération.fr,16 octobre 2012 à 12:53

Une embarcation de réfugiés photographiée par les gardes-côtes australiens peu avant son naufrage, le 27 juin 2012 près de l'île Christmas.
Une embarcation de réfugiés photographiée par les gardes-côtes australiens peu avant son naufrage, le 27 juin 2012 près de l'île Christmas. (Photo Reuters)

Canberra va envoyer les candidats à l'immigration dans deux centres de rétention sur des îles du Pacifique. Une pratique condamnée par l’ONU.

Par CHARLIE DUPIOT

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés s’inquiète. Et pour cause : après avoir ouvert son principal centre de rétention sur Christmas Island dans l’océan Indien, le gouvernement australien prévoit de transférer les migrants qui viennent demander l’asile vers deux centres de rétention dans des pays étrangers (en échange d'une compensation financière) : l’île de Nauru, qui est une République indépendante, et l'île de Manus appartenant à la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ce transfert n’est pas «totalement approprié», s’est inquiété le Haut-Commissaire Antonio Guterres dans un courrier au gouvernement australien jeudi 14 octobre.

L'Australie envoie déjà ses demandeurs d'asile à Christmas Island, une île de son territoire. Désormais, elle les enverra aussi sur les îles étrangères de Manus Island et Nauru.

 

Depuis une dizaine d’années, le pays éloigne les demandeurs d’asile vers les îles du Pacifique, afin de les dissuader de se lancer dans une traversée pour rejoindre le pays - une traversée souvent périlleuse, qui a conduit à la mort de 600 d'entre eux en trois ans. Mais malgré les inquiétudes de l’ONU, un porte-parole du ministère australien de l’Immigration a fait savoir vendredi 15 octobre que Canberra ne transigera pas, indiquant que des réfugiés allaient être transférés au centre de Manus d’ici quelques semaines. Celui-ci, qui n’est pas encore en état de marche, aura une capacité de 600 personnes.  Le second qui inquiète l'ONU, celui de Nauru, accueillera quant-à-lui 1 500 demandeurs d’asile. Plus de 100 y ont déjà été transférés, et le Premier ministre, Julia Gillard, entend bien y porter à 500 le nombre de pensionnaires d’ici la fin du mois d’octobre. Un texte a été adopté en août par le Parlement australien, autorisant la reprise de la «solution du Pacifique» mise en place par la droite, qui consiste entre autres à placer les demandeurs d’asile dans des centres de rétention sur des territoires isolés.

 

Cette décision n’est pas surprenante, au vu de la politique que pratique l’Australie à l’égard de ses immigrés : «Depuis dix ans, de nombreux demandeurs d’asile sont parqués sur une série d’îles, qui ont un régime juridique différent, et sont devenus des "camps" les empêchant d’accéder au continent australien», commente Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des migrations internationales.

Une pratique contraire à la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951, qui interdit de traiter une demande d’asile à distance. D’ailleurs, note la chercheuse, les immigrés n’ont pas tous la possibilité de demander l’asile, et certains peuvent y rester des mois, l'importance du nombre de dossiers ralentissant la procédure. L’Australie est actuellement le seul pays au monde à éloigner les demandeurs d’asile de son territoire, et à en déléguer à d’autres le traitement. «On n’était pas loin de ce système avec la Libye de Kadhafi, chargée par l’Europe de filtrer les demandeurs d’asile, venus surtout d’Afrique subsaharienne», note Catherine de Wenden. Mais ce qui se passe aujourd’hui en Australie est inédit.

 

Depuis l’arrivée au pouvoir d’une coalition conservatrice en 1996, l’Australie, pays pourtant «multiculturel» si l'on en croit sa Constitution, n’a cessé de durcir sa politique d’immigration, jusqu’alors plutôt libérale. Si l’essentiel de l’immigration sur le continent vient d’Asie du sud-est, l’île est aujourd’hui la destination d’une nouvelle vague de migrants, venus surtout d’Afghanistan, d’Iran et d’Irak. Compte tenu de la fermeture des frontières de l’Europe, ils se redéploient dans un pays qui attire par sa meilleure posture économique.

Une grande partie de la société australienne semble fantasmer autour de ces demandeurs d’asile, dont certains sont des «boat people» (immigrés venus par bateaux), qui ne représentent pourtant que 2% des immigrés arrivant en Australie. Depuis le début de l’année 2012, 11 736 réfugiés sont arrivés sur le territoire australien. Venus tenter leur chance dans un pays vu comme celui de la «réussite facile», ils pourraient n’en voir que les îles alentour.



16/10/2012
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