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Comment favoriser l'engagement citoyen ?

LEMONDE.FR | 14.05.10 | 16h16
InternetActu

avoriser l'engagement citoyen via les nouvelles technologies… Qui y croit encore ? C'est l'engagement citoyen lui-même qui s'est transformé avec les évolutions de nos sociétés. Et si les nouvelles technos sont un levier, elles n'agissent pas de manières neutres ou uniformes. Ce qui est sûr, c'est qu'elles ne sont certainement pas une solution à tous les maux politiques de nos sociétés… nous disent unanimement les intervenants de la conférence Lift 2010.

Rahaf Harfoush est responsable de la stratégie des médias sociaux au World Economic Forum, après avoir eu un rôle dans l'organisation de la campagne politique d'Obama sur le net. La question qu'elle adresse à l'assistance de Lift est simple : “Comment les réseaux sociaux transforment-ils notre interaction avec le monde politique ? Internet a-t-il un impact sur la façon dont les citoyens peuvent influencer la politique ?”

Rahaf Harfoush revient d'abord sur la campagne Obama, qui est pour elle le premier exemple de l'impact de la technologie et de l'implication citoyenne en ligne à un niveau aussi intégré. MyBarackObama, le site social mis en place pour organiser les supporters d'Obama a surtout changé la façon dont les gens pouvaient s'organiser : alors que dans le monde réel l'engagement militant coûtait du temps, de l'argent, de la présence, des ressources physiques, l'engagement en ligne permettait d'éliminer beaucoup de ces contraintes. MyBarackObama a accueilli jusqu'à 2 millions de profils, 35 000 groupes de volontaires (sur des sujets très variés, allant du plus sérieux à celui “des joueurs de Donjons & Dragons pour Obama”) que Rahaf participait à organiser, 400 000 billets de blogs et surtout 200 000 évènements réels. Les sites sociaux ont profondément redéfini les relations entre politiciens et citoyens, estime-t-elle, en avançant pour toute preuve de simples métriques : 3,2 millions d'amis pour Obama sur Facebook contre 620 000 pour McCain, 1 824 vidéos sur YouTube pour 20 millions de vues pour Obama contre 330 vidéos et 2 millions de vues pour McCain.

“En créant ces relations, l'idée fondamentale des organisateurs de la campagne était de transformer les supporters en militants actifs”, ce qui s'est surtout mesuré par les donations : alors que McCain a recueilli 360 millions de dollars, la campagne Obama en a recueilli 720. La campagne d'Obama avait comme moteur l'idée que chacun pouvait s'impliquer dans celle-ci à sa mesure, les gens pouvaient donner quelques dollars… Sur les 150 millions de dollars recueillis en septembre 2008, 67 % provenaient de dons qui avaient été faits en ligne… La campagne Obama a changé la perception de l'environnement politique, avance en militante convaincue Rahaf Harfoush. C'était “une campagne avec les gens plutôt que pour les gens”.

LE RISQUE DE L'ACTIVISME MOU

Mais depuis la campagne, les choses ont changé. La communauté qui s'est créée n'a pas disparu après l'élection, mais s'est transformée. Et Rahaf Harfoush d'évoquer l'importance du mouvement pour l'ouverture des données et la transparence politique, menée notamment par la Sunlight Foundation ou par le gouvernement américain lui-même avec Data.gov ou Recovery.org. Mais ce ne sont pas les seuls : récemment Google a dévoilé son Google Government Requests qui montre le nombre de demandes de censure des gouvernements à travers le monde.
Mais la transparence c'est aussi ce que les gouvernements ne veulent pas voir, comme l'ont montré les protestations iraniennes lors des élections de l'année dernière : où le gouvernement iranien a fermé les échanges SMS, banni des sites web, confiné des journalistes… etc.

Ce sont les Iraniens qui ont utilisé les sites sociaux pour faire entendre leur protestation contre ces mesures et ces élections. Ce passage par les sites sociaux a donné un très fort écho à cette protestation (par le passage des profils en vert, couleur de ces opposants, sur Twitter notamment). “Les sites sociaux ont permis à l'émotion et l'empathie de devenir planétaire”.

Mais est-ce cela l'avenir de l'engagement citoyen ? Permettre aux gens de partager leur émotion ? Rahaf Harfoush voit trois grandes tendances pour l'avenir :

L'évolution de l'activisme en ligne. A mesure que les gens deviennent plus familiers avec les technologies, l'activisme lui-même évolue et sa présence numérique prend de l'importance, comme le montre, à Providence, l'exemple du UnCaucus, un blog citoyen qui a publié une description idéale de ce qu'ils attendaient du prochain maire, afin que les candidats leurs répondent. Reste que cet exemple très argumenté risque de demeurer isolé. L'activisme en ligne ressemble surtout a l'aventure qui est arrivé à Stephen Harper, premier ministre du Canada, à la veille de l'ouverture des Jeux olympiques, quand s'est ouvert un groupe sur Facebook assurant qu'un oignon fri pouvait avoir plus de fans que lui. La démonstration n'a pas tardé à prouver son efficacité : le groupe Facebook récoltant quelques 176 000 amis, quand Stepen Harper peinait à en rassembler 31 000. Avec des outils plus sophistiqués et des usages plus développés, ce type de protestation pourrait devenir plus massif, estime Rahaf Harfoush, à l'image du groupe “Canadien contre la prorogation du Parlement” qui a eu lieu en début d'année, quand Stephen Harper a prorogé le Parlement pour repousser les élections de quelques mois. Les opposants ont utilisé (entre autres) les 216 000 membres que le groupe Facebook a rassemblés pour organiser des manifestations bien réelles. Reste à savoir comment répondre à ces phénomènes contestataires massifs…

La tentation de la censure. Le hastag sur Twitter #FreeVenezuela a fini par obtenir tant d'attention que le président du Venezuela Hugo Chavez a répondu avec sa verve habituelle en disant que Twitter était un outil de terreur, envisageant de le bannir de son pays (avant d'ouvrir visiblement son propre compte). A Mexico, les Twiterros sont des réseaux sociaux utilisés par les cartels de la drogue pour partager de l'information sur les descentes de police notamment… A l'image de nos sociétés, l'usage d'internet est ambivalent. La réponse à cela est souvent celle de la censure et de l'interdiction, comme le Grand pare-feu chinois ou les cyberforces de police qui dans les pays démocratiques surveillent ce qui se dit sur les sites sociaux… Plus nous sommes dépendants de l'information sur le web, plus le risque d'un blackout est fort, quel que soit la forme qu'il prenne.

Le nouveau rôle des sociétés. Des sociétés comme Google ou Facebook ont un profond impact sur le rôle des citoyens. Elles deviennent l'égale de gouvernements à l'image de Google en Chine ou de Twitter suite aux évènements iraniens… Il se dessine là quelque chose d'assurément nouveau.

Rahaf Harfoush conclut en rappelant que nous sommes à une époque où les batailles en cours créent des précédents. “Il faut faire attention à comment les gens utilisent ces outils, où sont les opportunités… Si nous n'y prenons garde, nous finirons avec des lois qui limitent sévèrement l'accès des populations à l'utilisation d'internet partout dans le monde.” Autre danger qu'elle dénonce : le risque du "slacktivism" (l'activisme mou) : “nous ne devons pas nous habituer au fait qu'un simple clic sur un bouton suffise à montrer notre soutien ou notre indignation”. Il ne faut pas seulement protester, mais également s'impliquer.

LE RISQUE D'UNE SOCIÉTÉ DE LA CONTESTATION

"S'impliquer" : tel était le message de Claudia Sommer, web manager de Greenpeace Allemagne. Le but des campagnes de Greenpeace est de mettre la pression sur les industriels ou les politiciens en créant des actions visibles et de favoriser une pression par les pairs. Le but est également de permettre aux activistes de mobiliser d'autres personnes, facilement.

Greenpeace Germany est sur les réseaux sociaux depuis longtemps (8 100 fans sur Facebook notamment)… Et surtout leur propre réseau social, GreenAction. “Greenpeace doit aller là où les gens sont déjà actifs pour créer des effets de mobilisation de masse”, explique Claudia Sommer. Green Action est un média indépendant et une plateforme pour déployer et coordonner des actions en ligne. Il permet de visualiser l'implication individuelle, de combiner la force et la sagesse des groupes, d'apporter de la puissance, voire de la protection à ceux qui lancent des campagnes et de créer un soutien et une visibilité aux actions réelles. En 8 mois, il a rassemblé 6 000 utilisateurs, dont la plupart ont moins de 25 ans, et plus de 500 personnes ont lancé des campagnes. A l'usage, GreenAction ne fait pas que des actions, mais permet surtout “de voir les actions réelles”.

Et d'évoquer le cas de la campagne KitKat, lancée à l'origine sur Green Action en Allemagne, une campagne contre la déforestation des forêts de palmiers en Asie du Sud-Est où Nestlé utilise l'huile notamment dans ses produits alimentaires. La campagne détournait le logo de Kitkat et le slogan : “Donnez aux Orang-Outans un break !” La campagne a très bien marché, s'amuse Claudia Sommer, et a produit de nombreux détournements d'images… Autre exemple, celui de Gorleben, un site de stockage nucléaire allemand sur lequel Greenspace a dévoilé des documents confidentiels en ligne pour mieux comprendre et faire comprendre ce qui a présidé aux choix de ce site.

Organiser la protestation… C'est souvent ainsi qu'on lit l'engagement citoyen et les exemples de cette session n'échappaient pas à la règle. Mais où sont donc les engagements qui font éclore des propositions ? Sont-ils possibles dans un monde où ceux qui font de la politique ne sont peut-être pas encore suffisamment attentifs à ce que disent leurs citoyens ?

L'IDÉAL DE LA PARTICIPATION DIRECTE

Peut-être faut-il aller les chercher ailleurs ? Yeon-ho Oh est l'étonnant fondateur d'OhMyNews, le fameux site de journalisme citoyen Coréen, qui en 10 ans a proposé un nouveau modèle de journalisme.
OhMyNews pratique la démocratie directe dans le monde des médias, explique son fondateur. “La semaine dernière j'étais à Glaris, l'un des plus petits cantons suisses, mais j'ai vu les effets de la démocratie directe, où 5 000 personnes se sont réunies, sous la pluie, pour élire à main levée leur direction cantonale. Chaque citoyen y est législateur. C'est le même concept qu'on utilise à OhMyNews. Notre principe fondateur est que chaque citoyen peut être journaliste.”

A son lancement, OhMyNews a rassemblé 700 journalistes citoyens, allant des élèves aux retraités… Chaque jour, quelque 200 articles sont écrits pour OhMyNews. L'idée de créer un média géré par les citoyens n'était qu'un rêve qui s'est depuis réalisé, explique Yeon-ho Oh.

Pourquoi les citoyens participent-ils ? Et Yeon-ho Oh de donner l'exemple d'un professeur de lycée qui a écrit plus de 1 500 articles sur le football britannique (qu'il suit pendant la nuit depuis une chaîne satellitaire… avant de les publier à la première heure le matin). Un exemple qui montre sa passion, son engagement. “La passion des citoyens dépasse souvent la passion des journalistes eux-mêmes. Leur passion née du fait qu'en participants, ils ne sont pas seulement spectateurs, mais participent directement de la société.” Les gens s'impliquent pour améliorer leur communauté, pas seulement pour que leur nom apparaisse sous un article. OhMyNews comme Glarus ne sont pas des modèles qui peuvent tout résoudre. Glarus a toujours une institution permanente pour gérer les relations avec les citoyens, tout comme il y a une équipe professionnelle à OhMyNews (70 employés désormais, dont 40 rédacteurs qui travaillent avec les citoyens).

OhMyNews diversifie désormais ses revenus : 70 % proviennent de la publicité, mais l'équipe aimerait les réduire à 50 %. Le reste provient des contributions de lecteurs. OhMyNews a créé un Club regroupant 100 000 membres qui payent 7 euros par mois pour rendre le journal rentable en échange d'un accès à un cycle de conférence privé. Enfin, il existe un système de pourboires qui bénéficie pour 60 % au journaliste-citoyen auquel les lecteurs décident de donner. Enfin, la société lance deux nouveaux projets : OhMySchool et OhMyPublishing… L'un pour échanger sur l'éducation et l'autre pour développer une maison d'édition.

Yeon-ho Oh n'a visiblement pas perdu son idéal en route, au contraire. Son but est toujours de transformer les spectateurs en contributeurs actifs. Créer une participation responsable, crédible, ouverte aux autres et durable : “Nous ferons un monde meilleur avec la participation de chacun.” L'idéal est toujours là !


Hubert Guillaud


17/05/2010
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