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En Papouasie, une "pêche miraculeuse" pour les naturalistes

Le Monde.fr | 21.11.2012 à 11h53 Par Laurence Caramel

 

Collecte d'échantillons dans la forêt humide.

Voilà près d'un mois qu'ils sont à pied d'œuvre : Philippe Bouchet dans les eaux de la baie de Madang, Olivier Pascal sur les pentes du mont Wilhelm. A la tête d'une impressionnante équipe de deux cents scientifiques, les deux hommes arpentent une région encore inexplorée de la Papouasie-Nouvelle-Guinée dont ils savent qu'elle concentre – parce que encore préservée – une part importante de la biodiversité mondiale.

A l'image des expéditions naturalistes menées aux XVIIIe et XIXe siècles, dans les traces de leurs illustres prédécesseurs, le chef des "Grandes expéditions" du Muséum national d'histoire naturelle et le botaniste de l'ONG Pro-Natura International ont commencé leur minutieux inventaire. Il durera en tout près de trois mois.


Le 12 novembre, sur son journal de bord, Philippe Bouchet, spécialiste des mollusques, annonce une première découverte : "Nos malfrats ont mis la main sur un Aitengidae, une innocente petite limace d'à peine 10 millimètres découverte pour la première fois en Thaïlande en 2009."

C'est à la faveur d'une virée nocturne pour profiter d'une grande marée basse que la prise a eu lieu, car, "dans la journée, ces espèces fuient la chaleur et la lumière et se réfugient dans des anfractuosités inaccessibles". Elles font partie des gastéropodes nocturnes qui ont besoin d'air et d'un milieu marin et vivent donc dans les limites strictes des marées. "A Rempi, les onchidies [la famille à laquelle appartient la petite limace] étaient hier soir de sortie par dizaines ; probablement trois espèces. Et sur les pontes des onchidies - "brrrmmm" roulement de tambour! - les inattendus Aiteng", s'enthousiasme le chercheur.

 

GRILLONS INCONNUS

"Les premiers Aiteng avaient été découverts en Thaïlande. Il est encore trop tôt pour savoir si l'Aiteng de Rempi est une autre espèce. Timea a veillé jusqu'à 4h30 du matin pour les observer, les photographier, les fixer pour l'anatomie, pour le séquençage. Deux spécimens ont été conservés vivants pour faire partager la joie de la découverte à l'"équipe de jour" qui arrivait au labo à 7 heures."

Olivier Pascal a lui aussi matière à faire mentir la prudence des scientifiques qui veut que la découverte de nouvelles espèces ne soit le plus souvent constatée que plusieurs années après "la récolte". Le temps de vérifier, dans l'abondante littérature scientifique et les collections des museums, que le spécimen suspecté est bien une espèce inconnue jusqu'alors. Tony Robillard, explique-t-il sur son blog, a fait tomber dans son filet trois nouvelles espèces d'Eneopterinae, vulgairement appelés grillons. "Il est aujourd'hui sur un nuage et affirmatif à 100%."


Recherche d'espèces dans la canopée.

 

Pourquoi tant d'assurance ? s'interroge Olivier Pascal. "Première raison essentielle : il n'existe que deux spécialistes dans le monde de cette sous-famille de grillons ; et Tony est l'un des deux. La deuxième vient du fait que ce groupe est "minuscule" comparé à d'autres groupes d'insectes ; avec une vingtaine de genres et quelques centaines d'espèces seulement (dont environ 200 espèces déjà décrites). La troisième raison est plus triviale : Tony a préparé son coup. Il vient de finir la révision des genres pour le Sud-Est asiatique jusqu'à l'île de Nouvelle-Guinée, dont l'examen minutieux est son projet actuel. Il a donc fait le tour des spécimens disponibles dans la plupart des collections (Leiden, Londres, Paris, Vienne, le Bishop Museum à Hawaï) et dispose de près des deux tiers de l'ensemble des spécimens accumulés dans le monde depuis la fin du XIXe siècle."


Mollusques et insectes sont les cibles principales de l'expédition. Deux grands compartiments d'une biodiversité négligée qui renferment une bonne part des secrets encore promis à l'aventure naturaliste. Les deux scientifiques comptent rapporter dans leurs besaces plusieurs milliers de nouvelles espèces qui viendront s'ajouter aux deux millions déjà décrites. Leur but ultime est de fournir une nouvelle évaluation de la biodiversité mondiale, dont les chiffres varient aujourd'hui dans une fourchette de 5 à 30 millions d'espèces.



21/11/2012
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