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La continuité territoriale prend du plomb dans l’aile

Les Nouvelles Calédoniennes, Jeudi 27 Mai 2010 |14:03

En visite à La Réunion, la ministre de l’Outre-Mer a présenté le nouveau dispositif de continuité territoriale et du passeport mobilité. Le montant des aides baisse sensiblement et les critères d’attribution sont considérablement restreints aux « familles les plus modestes ». L’heure des vaches maigres a sonné.

 

11 137 C’est, en Nouvelle-Calédonie, le nombre de bénéficiaires de la continuité territoriale en 2009, contre 7 931 en 2005 (+ 40 %). Depuis son lancement en octobre 2004, le succès du système a été croissant, au point de concerner le tiers des voyages vers la Métropole l’an dernier. L’aide de l’Etat a été de 500 millions de francs en 2009.

 

C’est un lien hautement symbolique entre l’Etat et l’outre-mer qui est mis à mal par le nouveau dispositif de continuité territoriale, très draconien, annoncé jeudi dernier par Marie-Luce Penchard à La Réunion. Sous couvert de « privilégier l’aide aux familles les plus modestes », mais clairement guidé par une logique budgétaire, Paris a décidé d’harmoniser à la baisse les aides accordées aux ultramarins souhaitant voyager vers la Métropole.

Echaudé par la gestion peu regardante de certains Dom (dénoncée par un rapport de la Cour des comptes), l’Etat reprend à son compte un système auparavant pris en charge par les collectivités locales, mais qu’il a toujours financé en quasi-intégralité.

En Nouvelle-Calédonie, par décision du gouvernement, l’aide était jusqu’ici accordée une fois par an aux personnes acquittant moins de 305 000 francs d’impôt sur le revenu, un critère large qui incluait des classes relativement aisées parmi les bénéficiaires. Fonction de l’âge, les montants accordés étaient en moyenne de 60 000 francs : 35 000 francs pour les 2-12 ans, 60 000 francs pour les 12-18 ans et au-delà de 27 ans, et 100 000 francs pour les 18-27 ans.

Dans le nouveau dispositif, deux aides sont prévues et sont désormais conditionnées au seul niveau de ressources, qui intègre le quotient familial(*). « Je souhaite que le dispositif retrouve sa vocation sociale et bénéficie en priorité à ceux qui en ont effectivement besoin », a justifié Marie-Luce Penchard.


Avec 100 000 francs par mois, même avec 38 000 francs d’aide, il est très difficile de payer les trois quarts restants du billet.

La première aide est une «aide majorée» de 63 000 francs pour les Calédoniens dont les ressources annuelles ne dépassent pas un million de francs (soit un revenu mensuel de 83 300 francs pour une personne vivant seule, 250 000 francs pour un couple avec deux enfants). La seconde est une « aide simple » de 38 000 francs pour « les familles non imposables et celles situées dans la première tranche imposable ». Soit un niveau de ressources inférieur à 1,4 million de francs par an, sur la base du code général des impôts métropolitain. Rue Oudinot hier soir, on précisait qu’un abattement de 15 % était prévu dans ce calcul pour les territoires du Pacifique (**). Selon nos estimations, seraient donc éligibles les personnes seules touchant un salaire inférieur à 137 000 francs environ (contre plus de 300 000 francs pour l’ancien système), et pour un couple avec deux enfants, les foyers percevant moins de 412 000 francs par mois. Selon Paris, pour chacun des territoires d’outre-mer, les montants de l’aide simple et de l’aide majorée correspondent respectivement à 25 % et 42 % du prix moyen d’un billet aller-retour hors saison. Le hic, c’est que les billets pour la Métropole sont beaucoup plus chers ici qu’à La Réunion.


Avec des aides réduites et un plafond aussi bas, le nombre de bénéficiaires risque de chuter considérablement, bien loin des 11 000 de l’an passé. D’où cette inquiétude majeure, soulevée par un agent de voyages de Nouméa : « Ceux qui seront concernés par l’aide ne voyageront pas avec ça, sauf s’ils y sont obligés et ce sera toujours ça de pris pour eux. Mais avec les aides actuelles, on ne voit déjà pas ce public. Car avec 100 000 francs par mois, même avec 38 000 francs d’aide, il est très difficile de payer les trois quarts restants du billet. Ce n’est pas une bonne nouvelle. » Le nouveau système devrait ainsi devenir très confidentiel sur le Caillou. L’objectif du ministère, qui n’attend plus que la validation de la Commission européenne pour sortir les décrets, est une mise en place du dispositif en septembre prochain. D’ici là, le rush devrait être massif pour profiter de la générosité de l’ancien système, dont l’enveloppe risque d’être épuisée bien avant l’heure. L’aviation civile, qui gère le Bureau de l’aide au passage aérien (BAPA), s’attend déjà à « une transition difficile ».

Sylvain Amiotte

(*) Le niveau de ressources est le rapport entre le revenu annuel divisé par le nombre de parts. Une personne seule représente une part, un enfant une demi-part. Par exemple, un couple marié avec deux enfants à charge représente trois parts.

(**) L’abattement est déjà compris dans le plafond de l’aide majorée.


Flou artistique sur le Caillou

Jeudi dernier à La Réunion, la ministre de l’outre-mer a soigné son annonce, avec un beau communiqué présentant deux exemples concrets du nouveau dispositif appliqué aux Réunionnais et aux Antillais. En choisissant le siège du conseil régional à Saint-Denis, Marie-Luce Penchard est aussi parvenue à noyer son annonce du dégraissage de la continuité territoriale : simultanément, le nouveau président UMP de la région Réunion a annoncé que sa collectivité mettait la main à la poche à hauteur de 960 millions de francs pour garantir « 40 000 billets d’avion à moins de 500 euros », une promesse de sa campagne électorale. Une opération de marketing politique parfaitement orchestrée, qui tranche avec le peu d’égard accordé au Caillou dans cette histoire. Hier, personne en Calédonie n’avait été informé des modalités du nouveau dispositif. Ni le haussariat, ni le gouvernement, ni l’aviation civile (qui gère actuellement le dispositif), ni même le GIP Cadres Avenir (qui gère le passeport mobilité et qui récupérera en septembre la gestion de la continuité territoriale au nom de l’Etat) n’étaient au courant ni des nouveaux montants ni des nouveaux critères. Chacun se perdait en conjectures sur le niveau du plafond, en n’osant pas croire au maximum de 1,4 million de francs de ressources annuelles. Un chiffre jugé très bas et excluant la plupart des bénéficiaires actuels, mais confirmé par Paris hier soir. Dans ce flou artistique, le gouvernement a seulement indiqué que le sujet serait abordé la semaine prochaine à Nouméa lors de la réunion de travail avec la ministre de l’Outre-Mer. Le gouvernement calédonien aura alors tout loisir de décider si, comme la Région Réunion, il octroie une aide financière pour améliorer le dispositif.


Repères

Un brutal coup d’arrêt

Les nouvelles modalités risquent de porter un brutal coup d’arrêt aux déplacements vers la Métropole : « Le dispositif touchait une grande majorité de personnes et avait clairement dopé les ventes de billets, témoigne un agent de voyages. Grâce à ça, les gens qui voyageaient seuls pouvaient partir à deux. Cela a surtout aidé beaucoup de jeunes sans gros moyens : avec 100 000 francs d’aide, ils pouvaient parfois partir pour 70 000 francs. Pour un couple avec un enfant, ça faisait 155 000 francs d’aide : ça payait le billet du gosse. Si l’aide passe à 38 000 francs, ça ne fait plus grand-chose. » Selon une enquête de satisfaction réalisée en 2006, 48 % des bénéficiaires déclaraient qu’ils n’auraient pas pu voyager sans cette aide.

 

Le passeport mobilité réduit à 50 % pour les non-boursiers

Pour le passeport mobilité, les choses sont plus claires : jusqu’ici, chaque étudiant calédonien inscrit en Métropole dans une filière non disponible sur le territoire, bénéficiait d’un aller-retour gratuit en Calédonie. Plus de 1 200 étudiants ont bénéficié du dispositif l’an passé, soit un coût pour l’Etat d’environ 270 millions de francs. Dans le nouveau dispositif, seuls les étudiants boursiers (30 % des bénéficiaires l’an passé) auront encore droit à 100 % du billet. Les autres (dont le niveau de ressources annuel doit être inférieur à 3,1 millions de francs, sans compter un abattement de 15 %) devront se contenter de 50 %. « Au-delà, nous estimons que la famille peut assumer financièrement le coût des études de ses enfants », a déclaré la ministre Marie-Luce Penchard. Ce qu’elle ne dit pas, c’est que cette restriction permettra à l’Etat, à la louche, d’économiser au moins 100 millions de francs par an. Par contre, la ministre a annoncé que les stagiaires de la formation professionnelle (non imposables ou imposés dans les deux premières tranches) jouiront d’une prise en charge à 100 %.





27/05/2010
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