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"Le choix d'un métier ne devrait pas être fixé avant bac +3"

Entretien avec Jean-Charles Pomerol, président de l'UPMC-Université Pierre et Marie Curie
Propos recueillis par Olivier Rollot

 

 

Jean-Charles Pomerol, président de l'UPMC-Université Pierre et Marie Curie, l'une des plus grandes universités françaises de sciences et de santé, revient sur l'orientation des jeunes et tout particulièrement de ceux qui choisissent de s'inscrire en médecine.

 

En France la majorité des meilleurs bacheliers a tendance à choisir de s'inscrire en classes prépas ou dans de grandes écoles post bac plutôt qu'à l'université. Pensez-vous que c'est en train de changer avec l'autonomie des universités?

D'abord ça n'a jamais été vrai partout, notamment en droit et en médecine qui sont bien des formations d'excellence universitaires. Ce qu'on constate en plus aujourd'hui c'est qu'il y a une vraie concurrence pour attirer les bons bacheliers depuis que certaines universités, à l'instar de l'UPMC, ont mis en place des licences plus exigeantes, adaptées à des bacheliers qui ont l'habitude de travailler beaucoup. Résultat : nous avons doublé notre nombre de bacheliers ayant eu une mention bien et très bien au bac en quelques années.

 

Une autre façon d'accroître l'attractivité de vos licences semble aussi de les rendre davantage pluridisciplinaires, à l'image de ce qui se passe par exemple aux Etats-Unis?

Il faut offrir une orientation et une sélection progressive entre bac et bac+3. C'est pour diversifier les parcours que nous mettons en place, par exemple, un cursus d'ingénierie avec ouverture pluridisciplinaire, initiation à l'ingénierie et disciplines de bases entre bac et bac+3, suivi d'enseignements d'ingénierie au meilleur niveau de master. Ainsi à bac+3, l'étudiant a une bonne culture générale et sait s'il a envie de devenir ingénieur ou pas. Sinon, il a encore le choix de s'orienter vers plein d'autres métiers.

 

Vous êtes donc absolument défavorable aux orientations précoces?

Les familles veulent offrir à leurs enfants des filières qui assurent un bon statut social, médecine ou prépas en tête. Mais c'est très difficile de réussir des concours après le bac si on ne s'y prépare pas dès 11 ans, dès la sixième. Ce qui entraîne une orientation beaucoup trop précoce. Encore une fois, le choix d'un métier ne devrait pas être fixé avant bac+3 car on constate qu'avant beaucoup de jeunes hésitent sur leur vocation.

 

Dans la mesure où on constate que plus les filières sont sélectives, plus elles attirent les étudiants, ne faudrait-il pas introduire une sélection à l'entrée de l'université?

Non, il ne faut surtout pas attiser l'addiction de notre pays pour les concours précoces. Il faut laisser leur chance à tous. Même si on constate que beaucoup de bacheliers passent une année à l'université pour "voir comment c'est" et s'inscrivent, par exemple en psychologie ou en sociologie, parce qu'ils ont envie de faire ce qui leur plaît. Certains quittent d'ailleurs des facs de lettres en cours d'année pour venir chez nous en sciences et inversement. Nous devons leur donner un peu de temps pour trouver leur voie.

 

Plutôt que de choix de filières, vous parlez aussi de choix d'universités plus ou moins d'excellence...

La stratification de la valeur des universités devient de plus en plus visible. Les étudiants doivent aussi pouvoir choisir telle ou telle en fonction de leurs aptitudes et la difficulté potentielle à suivre les enseignements de l'établissement choisi.

 

Vous regrettez surtout que la recherche n'attire pas les meilleurs étudiants.

La singularité du système français ne vient pas de l'existence de multiples voies après le baccalauréat, c'est le cas dans tous les pays du monde, elle vient de ce que les meilleurs étudiants ne vont pas dans les universités pour se former par la recherche. Or l'appétence pour la recherche est liée à la notion de liberté. Les esprits les plus indépendants et les plus brillants devraient pouvoir aller plus largement à l'université.

 

Quand on parle d'orientation précoce ou de sélection féroce, on pense souvent aux études de santé où la disproportion entre les inscrits en PAES (première année d'études de santé) - 60000 - et les 12664 places proposées ensuite est particulièrement flagrante. Quels sont les premiers effets de la réforme qu'elles viennent de connaître(1) et qui doit favoriser les réorientations?

Dans notre faculté de la Pitié Salpêtrière, nous avons 2274 inscrites en PAES pour 310 places en médecine, 37 en odontologie, 59 en pharmacie et 30 en maïeutique! Pour autant, nous constatons déjà que ceux qui échouent cette année de mise en œuvre de la réforme préfèrent toujours redoubler que de s'avouer vaincus. Quelques chiffres: la moitié des titulaires d'une mention bien et très bien au bac – essentiellement des S - échouent au concours. En deux ans, ils sont encore 20% des mentions très bien à être définitivement collés. Alors évidemment, il y a parfois quelques titulaires de mention passable qui se révèlent en fac mais la proportion ne dépasse pas les 1% (4 sur 400 l'année dernière) à l'UPMC. Et tous sont contraints de prendre des cours supplémentaires pour réussir, ce qui leur coûte souvent cher.

 

Vous voudriez donc encore faire évoluer la première année de médecine?

Nous voudrions tester une première année pluridisciplinaire permettant aux étudiants de se réorienter en sciences mais aussi en droit ou en management dans le cadre de notre PRES (pôle de recherche et d'enseignement supérieur) Sorbonne Universités(2). Il n'y aurait plus de possibilité de redoublement à la fin de la première année mais un concours ouvert à ceux qui ont échoué à la fin du premier semestre de la deuxième année, quelle que soit l'orientation qu'ils ont choisie ensuite. Reste à convaincre le ministère de laisser une part du numerus clausus(3) pour ces élèves.

(1)Les étudiants de médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique suivent tous une première année commune appelée PAES (première année d'études de santé) avec des enseignements communs puis spécifiques. Il s'agit de favoriser les réorientations entre les disciplines en cours d'année mais aussi de pousser les étudiants qui n'ont manifestement pas le niveau suffisant à partir vers d'autres voies.
(2)Le PRES Sorbonne Universités est l'un des trois grands regroupements d'universités et de grandes écoles parisiens. Eclectique, il regroupe aussi bien les universités Panthéon-Assas, Paris-Sorbonne, UPMC-Pierre et Marie Curie qu'une grande école de management (l'Insead), l'Université de technologie de Compiègne ou encore l'Ecole nationale de la magistrature (ENM).
(3)Le nombre de places en deuxième année pour chacune de ces quatre disciplines est fixé par décret pour chaque université. Pour 2011 il est de 7400 places pour les médecins, 3095 pour les pharmaciens, 1154 pour les dentistes et 1015 pour les sages-femmes.




23/03/2011
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