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Le grand débat : Réinventer le collège unique

Le collège français va mal, quelles solutions faut-il y apporter ? Ces dernières semaines, des rapports officiels qui posent un diagnostic pessimiste sur ce malade scolaire désigné et suggèrent des propositions politiques pour le "sauver" se sont multipliés. Le Haut Conseil de l'éducation (HCE), un organisme chargé de l'évaluation des politiques éducatives, a ouvert le bal en publiant un bilan négatif de l'échelon intermédiaire du système éducatif français.

Plus récemment, le Haut Conseil à l'intégration a dénoncé aussi la montée des communautarismes et la difficulté de l'institution scolaire à intégrer les élèves issus de l'immigration. A ces bilans négatifs ont répondu très rapidement des propositions politiques. L'Elysée, tout d'abord, a proposé quelques pistes d'évolution du collège qui visent à diversifier l'offre scolaire au collège. Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, lui a emboîté le pas en suggérant le rétablissement de l'examen d'entrée en 6e, qui avait été supprimé en 1956. Enfin, lors de la convention éducation de l'UMP, Xavier Bertrand, secrétaire général, est allé plus loin en proposant la création de filières "prépa-pro" dès la 4e, ce qui reviendrait à rétablir un palier d'orientation à la fin de la 5e.

Certes il s'agit seulement d'annonces programmatiques en vue des élections de 2012. Pour autant, à l'heure où le lien social est déstabilisé, ces propositions méritent analyse et extrême vigilance. En effet, il se pourrait que ces solutions préconisées pour "sauver" cette école malade tendent à déconstruire un des derniers instruments français du "vivre ensemble".

La majorité de ces préconisations ont un trait commun politiquement fort : introduire au sein du collège une plus forte différenciation, classer les élèves dans des cases différentes, suivant leur niveau scolaire, leur comportement, leur lieu de résidence. Elles apparaissent de ce fait en rupture nette avec le projet de collège unique qui visait à accueillir dans des établissements comparables des élèves issus de classes sociales différentes pour leur faire suivre le même programme scolaire, projet partiellement mis en oeuvre par ailleurs.

Ces solutions, dont certaines sont déjà expérimentées, visent tout d'abord à amplifier la différenciation entre les établissements. Il existera des collèges pour les élèves démunis mais méritants - les internats d'excellence -, des collèges de "réinsertion scolaire" pour les élèves dits "perturbateurs", souvent défavorisés, et pour tous, des établissements demain variés car bénéficiant d'une forte autonomie.

Les solutions préconisées visent aussi la différenciation pédagogique au sein des établissements. Il s'agira de créer une offre scolaire diversifiée - en particulier à partir de la 4e avec le rétablissement de filières préparant à la voie professionnelle - et de systématiser à tous les niveaux des "groupes de compétences", nouvelle appellation pour des groupes de niveau interdits par la loi Haby qui fonda le collège unique.

Voici un ensemble de propositions et d'expérimentations qui pourront sembler de bon sens. Puisque le collège unique présente toutes les apparences de l'échec scolaire, autant revenir en arrière : séparer les élèves, par "groupes de talents" dit-on, pour offrir à chacun une offre scolaire personnalisée, n'ouvrir les portes du collège qu'à ceux qui ont atteint le niveau nécessaire pour en profiter. Malheureusement, les résultats des recherches scientifiques conduites sur le collège unique ne rejoignent pas ces conclusions qui se révèlent être de fausses bonnes solutions apportées à un vrai problème.

La différenciation pédagogique s'avère tout d'abord une impasse en termes d'apprentissage. Si le collège unique, dans sa version française du moins, n'a pas permis d'élever le niveau scolaire des élèves ni de réduire les inégalités sociales à l'école, la solution alternative, qui consiste à créer des types diversifiés d'établissements et des filières plus ou moins déguisées, a plus encore échoué.

Différentes études internationales convergent pour montrer que le collège différencié est associé à un niveau scolaire bas et des inégalités sociales plus importantes que l'école unique. D'ailleurs, cette organisation, demeurée dans une minorité de pays au sein de l'OCDE (l'Allemagne, la Belgique, la Suisse, la Hongrie...) y est désormais remise en cause. Face à une école à filières affichées ou cachées, face à une école qui instaure une ségrégation entre les établissements scolaires et entre les élèves, le modèle d'école unique s'avère plus efficace et plus égalitaire.

La solution n'est donc pas dans un retour à une école d'un soi-disant âge d'or, où la destinée sociale des élèves se décidait dès la préadolescence. Recréer des filières au sein du collège unique, c'est établir un système discriminant pour les élèves des milieux les plus démunis. C'est, de fait, rompre avec une saine concurrence scolaire et donner un avantage comparatif inique aux familles favorisées. Mais c'est surtout en termes de cohésion sociale et d'unité nationale que de telles mesures pourraient se révéler dangereuses. Car, en sus des compétences académiques, l'enseignement vise aussi à transmettre un bagage culturel partagé, à permettre des rencontres improbables entre les enfants d'une même génération, quelle que soit leur origine sociale. Les Etats-Unis l'avaient bien compris qui, pionniers, instaurèrent dès les années 1920, la common school, version américaine de notre collègue unique. Après d'âpres discussions, ils optèrent pour cette école commune, seule capable de réaliser l'intégration des nouvelles vagues d'immigrants en provenance alors de l'Europe de l'Est.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, conscients de l'importance de l'école unique pour le respect des valeurs démocratiques, ils invitèrent les anciens alliés asiatiques des dictatures fascistes européennes, le Japon et la Corée, à adopter ce modèle scolaire. En France, c'est ce même souci de la construction de l'unité nationale à travers l'acquisition d'un bagage culturel commun à toute la jeunesse qui présida à l'instauration du collège unique en 1975, après près de six décennies d'un accouchement douloureux. Si le retour en arrière vers une école ségrégative n'est pas le bon remède, quelles solutions faut-il préconiser ? Certains modèles scolaires d'école unique développés dans les pays scandinaves ou jusque dans les années 2000 au Japon et en Corée, semblent à la fois plus efficaces et plus égalitaires que le système français.

Ces pays présentent une caractéristique commune qui s'incarne dans une valeur fondatrice de leur institution scolaire : s'appuyant sur le principe de l'éducabilité et combattant l'idéologie du don - selon laquelle certains élèves peuvent réussir et d'autres pas -, ils exigent de l'école dite obligatoire qu'elle fasse réussir tous les élèves.

Souvent décrit dans des textes issus de la représentation nationale, cet objectif de réussite pour tous est fondé sur un consensus politique, ce qui entraîne une plus forte adhésion des acteurs de terrain. Il réunit droite et gauche autour de lignes d'action qui perdurent sur plusieurs décennies, sécurisant ainsi les acteurs de terrain qui ne subissent pas d'enchaînement de réformes contradictoires. Ainsi le principe d'une réelle égalité des chances à l'école a irrigué les politiques scolaires sur plusieurs décennies en Finlande, en Suède ou encore au Japon et en Corée, jusqu'au début des années 2000, et s'est accompagné de résultats tangibles.

De ce consensus politique autour d'une l'école obligatoire, lieu d'apprentissage pour tous, découle un ensemble de caractéristiques d'organisation scolaire. La réussite de tous les élèves signifie tout d'abord dans ces pays le refus des classes de niveau qui entraînent le plus souvent une forme de ségrégation scolaire. Tous les élèves évoluent dans des classes hétérogènes et profitent d'une pédagogie adaptée à la gestion de tels contextes. Il peut s'agir d'actions de tutorat au sein de la classe entre les élèves, comme au Japon ou en Corée qui créa le projet d'"école ouverte". Cette gestion des contextes hétérogènes peut aussi passer par une aide personnalisée apportée à chacun, fort différente des actions de remédiation qui, dispensées chez nous de façon parcimonieuse, stigmatisent plus qu'elles n'aident les élèves.

Un tel plan de rénovation de l'enseignement scolaire (aide individualisée, fin des classes de niveau, suppression du redoublement...) a été mis en oeuvre dans les années 1980 en Finlande, à une époque où la France peinait encore à mettre en place son collège unique. Il faut se rappeler que la France est un des derniers pays de l'OCDE à avoir instauré le collège unique, aux côtés des anciennes dictatures de l'Europe latine (la Grèce, le Portugal, l'Espagne), entravées dans leur développement scolaire par leur régime anti-démocratique.

Autre caractéristique de ces systèmes éducatifs qui réussissent à faire avancer tous les élèves : une certaine forme d'autonomie peut être donnée aux établissements scolaires. Pour qu'elle ne se retourne pas contre l'objectif de réussite de tous, cette liberté doit s'exercer dans un cadre national prescriptif qui interdit la balkanisation du système éducatif. C'est le cas en Finlande où sont couplées forte autonomie pédagogique des établissements et des collectivités locales et faibles inégalités sociales et scolaires, notamment grâce à la permanence de la carte scolaire. Donner de l'autonomie à des établissements très ségrégués, comme en France, ne peut que conduire à un accroissement des inégalités.

Enfin, puisque l'école unique doit mixer tous les jeunes du pays qui, au sortir de l'enseignement obligatoire, emprunteront des voies de formation diverses, les contenus enseignés doivent être en lien avec l'éventail des débouchés professionnels. Aux côtés des matières proposées, un curriculum ouvert sur des disciplines non académiques doit être offert à tous les élèves, non pas sous forme d'options, souvent transformées en outil de relégation, mais comme enseignements obligatoires.

Ainsi, dans tous les pays scandinaves et dans de nombreux pays anglo-saxons neufs, les disciplines appelées Life skills ("compétences pour la vie") ainsi que l'orientation professionnelle et la vie des métiers font partie de l'emploi du temps de tous les élèves. Enfin, dernière caractéristique essentielle de ces écoles, le système de notation n'est pas là pour sanctionner et établir un classement qui n'a pas lieu d'être dès le début de la scolarité mais pour contribuer à orienter la formation. Les pratiques de notes sous forme numérique dès le primaire, comme en France, ne sont pas le lot de tous les pays de l'OCDE.

Certes ces pistes d'évolution peuvent heurter les sensibilités des praticiens de l'éducation, des parents, voire des politiques enclins au statu quo ou à un retour vers l'école magnifiée de notre passé, politique électoraliste rassurante. Elles ont cependant l'avantage de reposer la question du collège unique sous un autre angle : a-t-il vraiment échoué en France ou notre système éducatif n'a-t-il pas encore accouché d'une common school moderne adaptée aux nouvelles contraintes sociales, économiques et culturelles que notre pays affronte aujourd'hui ?

Faut-il tuer le collège unique et prendre des risques non négligeables en termes de cohésion et de discrimination sociale ? Ou faut-il le rénover, comme les expériences étrangères positives nous le suggèrent ? C'est ce choix de société qui s'offrira au citoyen en 2012.

 

 

Nathalie Mons, sociologue (Le grand débat)



15/11/2010
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