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Le sexe encore tabou

 


Pour comprendre le taux élevé des infections sexuellement transmissibles dans le pays, une étude a abordé la sexualité dans les différentes communautés. Les témoignages recueillis évoquent des tabous et pratiques qui augmentent les risques.

Fais attention, ma fille. C’est souvent munies de cette seule et vague mise en garde familiale que de nombreuses jeunes filles commencent leur sexualité. Une étude rendue en 2008 avançait déjà que 48 % des garçons et 32 % des filles n’avaient jamais discuté de sexualité en famille. Et que 53 % des premières grossesses des 16-24 ans sont non désirées.
Trois ans plus tard, les deux chercheuses à l’Inserm, Christine Salomon et Christine Hamelin, ont poussé plus loin l’analyse, à la demande de l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie, qui s’inquiète du taux élevé d’infections sexuellement transmissibles (IST). Un Calédonien sexuellement actif sur quatre serait exposé. Elles ont discuté avec 52 jeunes adultes, parmi la population la plus sensible à ces « maladies sexuelles », c’est-à-dire celle issue d’un milieu défavorisé. Leur étude, intitulée Santé sexuelle des jeunes en Nouvelle-Calédonie, constate sans détour ni jugement les problèmes liés aux pratiques et interdits religieux, familiaux, ou sociaux, qui diffèrent d’une communauté à l’autre.

Famille. Parler de sexualité en famille est notamment un tabou dans les familles océaniennes. En parler est considéré comme une marque d’irrespect envers les aînés, ont expliqué plusieurs des jeunes adultes interrogés. Les jeunes filles réussissent à en discuter entre amies, mais les garçons très peu. Un Calédonien européen de 19 ans, ouvrier, explique comment ça se passe pour lui : « On parle des filles, mais pas de ça [IVG, IST]. Dans la bande, on se débrouille tous tout seuls. Moi j’ai regardé dans le livre Tazar, c’est choc. »
Chez les garçons kanak interrogés, Christine Salomon et Christine Hamelin relèvent aussi « la persistance d’une conception de la masculinité qui nécessite de se tenir à distance des “affaires de femmes” ». « Le copain, il n’aime pas parler de tout ça : quand il voit une publicité sur les serviettes hygiéniques, il va dire : c’est mal élevé. Un truc sur les préservatifs c’est pire ! », rapporte une jeune femme kanak de 22 ans, qui prépare un BTS.

Avoir des préservatifs peut même « exposer au risque d’être étiquetée comme une “fille facile” ».

Peur. Le tabou est alimenté également par des représentations de ce que doit faire un garçon ou une fille. La société accepte que les garçons aient plusieurs partenaires. L’inverse n’est pas vrai pour les filles. Le choix de se protéger ou pas pendant un rapport sexuel est souvent pris par le garçon. Les filles ont du mal à l’imposer. Pour elles, porter sur soi des préservatifs peut même « exposer au risque d’être étiquetée comme une “fille facile” » et se faire soupçonner d’infidélité par le copain ». Seulement deux des filles interrogées ont affirmé exiger le préservatif.
La peur des infections sexuellement transmissibles (chlamydia, la gonorrhée et la syphilis notamment) n’apparaît pas élevée chez les jeunes.
Seul le sida est considéré comme une maladie grave, alors même que les autres IST présentent des risques pour la fécondité.

Interdits. L’étude note que ce sont les jeunes femmes kanaks les plus diplômées qui arrivent le mieux à imposer leur choix. Et « ce sont les jeunes femmes wallisiennes et futuniennes […], qui paraissent dans la situation la plus difficile ». Les auteurs indiquent que les jeunes filles sont « assujetties à un contrôle social fort au sein de leurs familles, en raison de normes de virginité avant le mariage ». Elles n’ont pas le droit à la sexualité avant le mariage. Autre problème : la circoncision chez les garçons de la communauté, considérée comme une étape décisive de passage à l’âge adulte, « est perçue comme une pratique protectrice qui ôte tout souci de maladie ».
Les auteurs appellent à une politique volontariste « multipliant les lieux de parole concernant la sexualité », avec des messages adaptés pour être percutants auprès des jeunes, et plus particulièrement des garçons et de la communauté wallisienne et futunienne.

Bérengère Nauleau

 

 

Rapports forcés et fêtes alcoolisées

En dehors de la situation socio-économique défavorable à une bonne information et à un vécu serein de la sexualité, l’étude pointe le rôle de situations particulières dans la transmission des infections sexuelles. Garçons et filles ayant déclaré des signes d’infection seraient beaucoup plus nombreux à avoir eu des rapports sexuels lors de fêtes, souvent alcoolisées, avec des inconnus ou avec plusieurs partenaires dans la même soirée, ou même sans s’en rappeler bien précisément le lendemain. Les auteurs remarquent que « les fêtes alcoolisées comptent parmi les rares moments où la sexualité des jeunes est possible, y compris pour nombre de “petits couples” ». En outre, relèvent-elles, « les violences sexuelles subies sont également fortement corrélées aux infections sexuellement transmissibles ».

 

 

 

Fécondité et paternité précoce valorisées

La protection et la contraception se heurtent aussi à deux réalités sociales. La fécondité est valorisée. Et la paternité précoce est considérée positivement par les Océaniens, « comme un marqueur de passage au statut adulte qui s’accompagne d’un bénéfice social fort ». Si les jeunes femmes kanaks aspirent de plus en plus à contrôler leur fécondité par la contraception, leur compagnon ne l’entend pas toujours de cette oreille. Certains allant jusqu’à « crocher les pilules » dans le sac de leur petite amie, selon l’expression employée par plusieurs d’entre elles. A la sexualité taboue s’ajoute alors le problème pour certaines d’une contraception cachée. Cette situation engendre des souffrances, pour les filles comme pour les garçons d’ailleurs.

 

 

 

Avec qui pouvez-vous parler de sexualité et de contraception ?

  • Gérard,  Nouméa : « Ça dépend de la discussion »

« Si c’est pour discuter comme ça, j’en parle plutôt avec mes amis. Sinon pour s’informer, il y a les associations comme le Comité sida. Au collège aussi notamment, on a des informations. C’est là que j’ai le plus appris. En famille, c’est possible d’en parler avec mon grand frère. »

  • Annette, Ouvéa : « Avec mes cousines et ma mère »

« J’en parle surtout avec mes cousines et ma mère. C’est un sujet que j’ai abordé lorsque j’ai eu un petit copain, sinon nous n’en parlons pas. En fait, on en parle rarement. Bien sûr, on a entendu parler du sida, et d’autres maladies ; on connaît les risques avec les champignons. Mais on parle de cela parce qu’on a surtout peur de tomber enceinte. C’est pour cela qu’on en parle avec nos proches. »

  • Laëtitia, Nouméa : « Avec ma famille et mes amis »

« Moi, je peux en parler avec ma famille et mes amis. Pour m’informer, il y a aussi mon médecin traitant. C’est une femme et elle me connaît depuis que je suis toute jeune, donc c’est facile. C’est plutôt elle qui m’en parle la première que moi ! Au collège et au lycée aussi, je trouve que les infirmières prennent le temps de nous montrer les différentes contraceptions et de nous donner des conseils. »

 


05/06/2011
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