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Les classes moyennes désertent Nouméa

 

Les inégalités sociales sont de plus en plus criantes au sein de la capitale calédonienne. Le phénomène est accentué par l’exode des classes moyennes vers la périphérie de la ville. Quand villas de luxe, logements sociaux et squats sont voisins, les clivages sautent aux yeux.

 

Pierre est retraité. Il a pourtant déjà fait appel à la Croix-Rouge pour pouvoir « payer ses factures ». Dans son F2, à Ouémo, logent à la fois sa femme et deux de ses petits- fils : « Ma fille et son mari habitent déjà à cinq dans leur appartement. Ils n’avaient plus la place, alors je dois m’occuper d’eux », explique-t-il. Lorsqu’il prend le bus, il regarde parfois les résidences huppées qu’il aperçoit en bout de presqu’île. C’est là qu’habite Isabelle. Elle, « n’y peut rien si les gens sont mal payés ».

C’est un fait : Nouméa, ses bords de mer et ses cocotiers ne sont plus accessibles à tout le monde. L’exotisme à la ville a un prix. Celui de l’immobilier, dont la valeur gonfle à vue d’œil. Cette inflation a accentué les disparités sociales : seules les classes aisées ont désormais accès aux logements privés, les classes moyennes s’en vont tandis que des familles défavorisées alimentent squats et logements sociaux. C’est ce qu’a étudié le Schéma de cohérence de l’agglomération de Nouméa (Scan), dans un rapport publié en juin 2009, révélant un territoire « aux niveaux de revenus contrastés ».

« Face aux prix pratiqués, les familles nombreuses ou les ménages voulant acquérir un logement aux surfaces étendues s’exilent en périphérie », indique Marie Benzaglou, chef de service au Scan. En six ans (1), la commune a ainsi enregistré une perte de 15 % de sa population de classe moyenne et intermédiaire. En parallèle, les rangs des ménages aux revenus inférieurs à 300 000 francs ont été grossis de 14 % dans la zone intra-muros.

Avec, en filigrane, l’éclairage d’un phénomène qui n’est pas de s’inverser : « L’arrivée des migrants métropolitains, avec des revenus plutôt dans les tranches supérieures, et celle d’une population du Nord et des Iles, ou des pays insulaires du Pacifique qui, en majorité, ont des revenus faibles. »

 

« Je me demande bien ce qu’eux, ils ont pu faire pour avoir tout ça. Peut-être des études ! »

Auparavant, les différentes couches sociales cohabitaient au sein de la capitale. Aujourd’hui, immeubles sociaux, maisons confortables et squats compartimentent l’espace urbain : le phénomène de ghettoïsation, soutenu par le prix de la pierre, s’est ancré dans l’architecture de la ville.

A Nouméa, suivant que l’on habite en bord de plage ou en zone industrielle, « l’écart des prix atteint 45 % pour les villas comme pour les appartements » à la vente, annonce l’IEOM (Institut d’émission d’Outre-Mer), suite à plusieurs rapports publiés en 2008 et 2009 (2). Et de continuer : « Le logement social tend ainsi à se développer dans les quartiers historiques de la ville, et à y regrouper les populations aux revenus les plus faibles ». Dans les quartiers sud ou aisés, cette densification s’illustre, à l’inverse, « avec une légère augmentation des grands logements construits (quatre pièces et plus) », réservée à une clientèle à fort pouvoir d’achat.

Jean-François Karrand, délégué à la Croix-Rouge, perçoit « clairement » la paupérisation d’une partie de la population nouméenne. La hausse la plus marquée parmi les demandes d’aides concerne selon lui, ces mêmes « immigrés de la Grande Terre et les travailleurs pauvres, venant soit parce que c’est plus facile de trouver un travail, soit améliorer la scolarité des enfants. » Selon la Maison de l’habitat, le critère études-scolarité est bien « le premier vecteur déclaré (49,3 %) du déplacement de la population du Nord et des Iles vers la province Sud ». Et parmi l’ensemble des demandeurs suivis, 72,6 % seraient en CDI, avec 61,4 % d’« employés » et 16,8 % d’« ouvriers ».

Pierre, avant de prendre sa retraite, n’était pas ouvrier. Il était gardien. Quand revient le sujet de ses voisins aux belles voitures, même s’il ne s’y intéresse pas beaucoup, il se met à philosopher. « Ils n’ont pas la même vie, c’est sûr. Sauf que moi j’ai travaillé toute ma vie, et je n’ai pas beaucoup de retraite. Je me demande bien ce qu’eux, ils ont pu faire pour avoir tout ça. Peut-être des études ! »

 

(1) : Période de 1996 à 2002. Plan de déplacement de l’agglomération de Nouméa, Scan, juin 2009.

(2) : L’habitat et le développement urbain dans le Grand Nouméa : Constat & Enjeux, IEOM, décembre 2008 ; Les prix de l’immobilier calédonien entre 2006 et 2008, IEOM, septembre 2009.

Julie Delem

LNC, 22/03/2010


10

C’est, en pourcentage, le taux de ménages aux revenus supérieurs à 800 000 francs, au sein de la capitale. Les ménages pauvres (moins de 100 000 francs par mois) représentent 9 %. En parallèle, 6 % d’habitants choisissent les squats comme solutions de logement.

 

Repères

Plus de 300 000 francs par mois

Selon l’enquête ménages ADUA (agence d’urbanisme et d’aménagement) de 2002, les deux tiers des ménages ayant déménagé de Nouméa vers la périphérie entre 1996 et 2002 avaient un revenu supérieur à 300 000 F CFP mensuels.

 

Pas logés à la même enseigne

Selon l’IEOM, la différenciation socio-économique des quartiers aurait un impact sur la qualité du logement qui semble se détériorer dans certaines zones. (2)

 

La mixité sociale mise à mal

L’enjeu de mixité sociale essentiel à une urbanisation équilibrée qu’est censé favoriser le logement social se heurte, de plus, à des résistances sociales, entraînant la concentration dans certains quartiers d’une forte proportion des logements aidés. (2)

 

Flambée des prix

Les prix moyens des loyers ont augmenté de 2,5 % de 6,1 % dans Nouméa entre 2006 et 2007. Les prix moyens proposés à la vente ont cru de 5,2 % sur la même période. (2)

 

 

 

 

 



22/03/2010
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