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Les mineurs délinquants menacent-ils la société française ?

20 avril 2011, Le Monde.fr

 

A l’issue du Conseil des ministres de mercredi dernier, le ministre de la Justice a annoncé qu’il déposait au parlement un « Projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs ». La question des jurés en correctionnelle est beaucoup discutée ces jours-ci. Mais n’oublions pas le second volet : la justice des mineurs. Une fois de plus, cette dernière est sur la sellette et, une fois de plus, un loi entend réformer c’est-à-dire durcir la fameuse Ordonnance de 1945 (qui, à force, ne ressemble plus guère à ce qu’elle était en 1945…).

Le processus est bien rodé : depuis la loi Perben I de 2002, il a fonctionné en moyenne une fois chaque année, sans compter les initiatives parlementaires inabouties (la dernière émane du groupe de la « droite populaire »). Et, à chaque fois, le premier argument est le même : les statistiques policières indiquent que le nombre de mineurs « mis en cause » par les forces de l’ordre ne cesse d’augmenter. Or cette affirmation est une sorte de vraie-fausse information, et à tout le moins une vérité totalement tronquée. Pour trois raisons.

 

LA VRAIE-FAUSSE AUGMENTATION DES MINEURS DELINQUANTS

Primo, si le nombre de mineurs « mis en cause » par la police et la gendarmerie ne cesse effectivement d’augmenter (il a doublé entre 1990 et 2010), c’est également le cas des majeurs, et dans des proportions à peu près équivalentes. Ce n’est donc en rien une spécificité des mineurs.

Secundo, personne ne semble remarquer le véritable cercle vicieux que traduisent ces statistiques. En effet, lorsque l’on élargit la définition de la délinquance et que l’on donne des consignes pour poursuivre toutes les infractions même les plus bénignes, la conséquence fatale est une augmentation des procédures réalisées par les policiers et les gendarmes (les procès-verbaux). Or la statistique policière est précisément un comptage de ces procédures administratives, et non une sorte de sondage permanent sur l’état réel de la délinquance. Dès lors, plus l’on poursuit la délinquance des mineurs, plus elle augmente dans cette statistique, mais cela ne veut pas forcément dire qu’elle augmente dans la réalité.

Tertio, cet argument pseudo-statistique parle d’un volume mais ne dit rien de la nature de cette fameuse délinquance des mineurs. A partir de chiffres, l’on peut fantasmer tout et n’importe quoi quand aux types d’actes délinquants réellement constatés chez les mineurs. Et de fait, l’évocation de ces chiffres, appuyés par quelques faits divers, suffit généralement pour embrayer sur des affirmations relatives à l’aggravation perpétuelle de cette délinquance, affirmations qui sont purement gratuites.

On peut pourtant aller plus loin avec les statistiques institutionnelles. Le volume annuel des condamnations publié par le ministère de la Justice permet en effet de se faire une idée assez précise de la partie de la délinquance des mineurs qui est poursuivie devant les tribunaux, c’est-à-dire celle qui correspond aux affaires les plus graves (rappelons que les parquets traitent de façon autonome les affaires les moins graves, par le biais des mesures alternatives aux poursuites : rappels à la loi, réparations, médiations…). Le dernier volume, publié en février 2011, correspond à l’année 2009. Sa lecture renseigne d’abord sur la nature et la gravité des infractions commises par les mineurs, ensuite sur leur âge.

 

QUELLE DELINQUANCE ? DE QUELLE GRAVITE ?

Sur la gravité d’abord, ce que donnent à voir les condamnations est fort éloigné de l’image renvoyée par des faits divers qui, répétons-le toujours, ne sont pas représentatifs de la vie quotidienne dans l’ensemble de la société française. Les mineurs condamnés pour des crimes ne représentent que 1 % du total des mineurs condamnés (tableau 1 ci-dessous). Il s’agit essentiellement de viols, et les recherches permettent de préciser : de viols intrafamiliaux et de viols collectifs. A contrario, donc, 99 % des mineurs ont été condamnés pour des actes moins graves. De quoi s’agit-il ? D’abord, encore et toujours de vols, pour une petite moitié d’entre eux. Viennent ensuite des violences volontaires, des destructions-dégradations, des infractions à la législation sur les stupéfiants, des délits liés à la circulation routière, des confrontations avec les représentants des autorités (forces de l’ordre, enseignants, contrôleurs des transports, etc.).

 

Tableau 1 : mineurs condamnés en 2009 par type d’infractions

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Note : ITT = incapacité totale de travail

 

En entrant dans le détail de cette statistique judiciaire, on peut ensuite tenter d’évaluer la gravité de ces actes délictueux. Et l’on constate alors qu’à chaque fois que l’on dispose d’éléments suffisamment détaillés, ils indiquent systématiquement que les mineurs sont les plus nombreux dans les catégories d’infractions les moins graves. Ainsi, ils sont condamnés dans 17 % des cas pour des violences, mais il s’agit 9 fois sur 10 des coups les moins graves (avec ITT inférieure à 8 jours). De même, lorsqu’ils sont condamnés pour des violences sur des personnes représentant l’autorité publique, il s’agit en réalité 8 fois sur 10 d’« outrages » c’est-à-dire d’injures ou de gestes obscènes (par opposition aux violences physiques). De même encore, lorsqu’il sont condamnés en matière de stupéfiants, il s’agit en réalité 8 fois sur 10 de simple usage ou de détention (et non de revente ou de trafic). Au total, voilà qui recadre un peu les discours généralement affolés qui dominent le débat public.

 

L’AGE DU CAPITAINE

En 2009, les mineurs représentent 8,7 % de l’ensemble des personnes condamnées par les tribunaux français. Mais il y a mineurs et mineurs, nous dit-on. Et surtout ils seraient « de plus en plus jeunes et de plus en plus violents ». Telle est bien la rengaine des discours politiques dont l’objectif est toujours le même ces dernières années : faire régresser la majorité pénale à 16 ans, sanctionner de la façon la plus précoce et la plus rapide possible. Or ce punitivisme est sérieusement relativisé par l’examen de la statistique judiciaire des condamnations. Pour deux raisons.

Premièrement, s’agissant des plus jeunes (les mineurs de moins de 13 ans, ceux pour qui la Loppsi 2 prévoit des couvre-feux plus symboliques qu’autre chose ), on se demande quel est véritablement le problème. En 2009, la justice française a condamné 1 870 mineurs de moins de 13 ans pour des infractions pénales (essentiellement du vandalisme, des bagarres et des petits vols), ce qui ne représente que 3,4 % des mineurs condamnés et seulement 0,3 % de l’ensemble des personnes condamnées. Insistons sur ce dernier chiffre : 0,3 %. Comment peut-on dire que les mineurs de moins de 13 ans représentent un problème important de délinquance dans la société française ? Cela relève du fantasme ou de l’hypocrisie.

 

Tableau 2 : la répartition par tranche d’âge des mineurs condamnés

tableau 2

Deuxièmement, le tableau 2 montre que si la délinquance des jeunes de 16 à 18 ans est bien la plus sanctionnée, celle des 13-15 ans n’est pas très loin derrière. Certes, les jeunes de 16 à 18 ans sont davantage sanctionnés pour des infractions qui concernent l’ordre public (stupéfiants, circulation routière, conflits avec les représentants des autorités). Leur délinquance est donc plus visible. Mais en quantité, les jeunes de 13 à 15 ans n’ont pas grand chose à leur envier, même s’ils se concentrent plutôt sur les vols et les bagarres, ce qui est typique de la petite délinquance des jeunes adolescents.

Dès lors, on comprend l’engrenage de la politique sécuritaire : après s’être attaqués aux 16-18 ans, on ne voit pas pourquoi ses partisans ne continueraient pas en demandant ensuite que l’on traite les 13-15 ans comme leurs aînés. Comme toujours, ils prendraient à témoin des faits divers dramatiques mais non représentatifs de la vie quotidienne. Comme toujours, ils mettraient en avant les cas réels mais en nombre limités de jeunes multi-réitérants en très grande difficulté, cumulant les infractions et mobilisant tous les professionnels (policiers ou gendarmes, magistrats, éducateurs, psychologues). Ne finiraient-ils pas alors - eux ou leurs successeurs - par réclamer la garde à vue prolongée, la comparution immédiate, les peines planchers et la prison pour des gamins de 13 ans ?

 

SORTIR DE LA LOGIQUE D’EXCLUSION

L’idéologie sécuritaire nous enferme dans un cercle vicieux de répression sans cesse accrue face à un monde juvénile qui est par définition instable et turbulent. L’on pourra toujours trouver qu’il y a encore trop de problèmes et pas assez de tranquillité, c’est un véritable puits sans fond. Alors quoi ? Sommes-nous réellement incapables de gérer la délinquance des préadolescents et des adolescents autrement que dans cette surenchère punitive déshumanisée ? Il est urgent de s’entendre sur une autre voie. Les professionnels ne manquent pas d’outils juridiques répressifs mais plutôt de moyens pour faire correctement leur métier et mettre à exécution les décisions qu’ils croient bonnes. Ce n’est pas d’une énième réforme du code pénal dont policiers, gendarmes, magistrats, éducateurs et psychologues ont besoin, mais des moyens (en personnel, en temps, en place disponible dans les structures, en possibilité d’insertion professionnelle, etc.) de prendre correctement en charge les cas difficiles chez les mineurs délinquants. Enfin, si l’on veut réellement préparer positivement l’avenir, il faut cesser de désigner la jeunesse délinquante comme un ennemi de la société. Il faut au contraire avoir le courage et la responsabilité d’affirmer que ces jeunes qui ont dévié et qui ont fauté n’en restent pas moins nos jeunes, les enfants de notre société, que nous avons donc collectivement une obligation morale à trouver des réponses dont l’objectif n’est pas de les exclure le plus vite possible mais au contraire à les ré-inclure pleinement parmi nous dès que possible.

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Pour aller plus loin :

* Véronique Le Goaziou & Laurent Mucchielli, La violence des jeunes en questions, éditions Champ social.

* Francis Bailleau, « Jeunes et politiques publiques. Comment juger et punir les mineurs ? », Agir et Penser-Les Rencontres de Bellepierre.

* Laurent Mucchielli & Marwan Mohammed, « Délinquance juvénile », in Agnès Van Zanten (dir.), Dictionnaire de l’éducation, Presses Universitaires de France.

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27/04/2011
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