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Olivier Galland : "L'écart entre la jeunesse diplômée et la jeunesse qui décroche s'aggrave"

LE MONDE CULTURE ET IDEES |20.05.2012 à 15h05 • Mis à jour le20.05.2012 à 15h05

Par Benoît Floc'h

 

Olivier Galland, sociologue, est directeur de recherche au CNRS, président du comité scientifique de l'Observatoire de la vie étudiante. Il dresse le portrait de ces jeunes, libres mais adultes sur le tard, dont le nouveau chef de l'Etat fait sa priorité.

 

La jeunesse est une priorité de François Hollande. Est-il si urgent de s'occuper d'elle ?

Les jeunes croient en leur propre avenir, pas en celui de la société. C'est le défi auquel sont confrontés les responsables politiques. Leurs réponses ne devront pas être trop générales car elles laisseraient de côté une partie de la jeunesse qui, défavorisée, en échec scolaire et sans porte-parole, est déjà laissée à l'abandon. Il faut se garder, en effet, de l'idée qu'il existerait en France une jeunesse partageant un destin commun et homogène.

 

Le tableau est sombre, mais les jeunes n'ont-ils pas, par bien des aspects, une vie meilleure que celle de leurs parents ?

Ces dernières années, un mythe s'est développé autour de l'idée de déclassement générationnel. Or les jeunes font des études toujours plus longues ; ils occupent plus souvent qu'auparavant des postes de cadres ; leurs salaires augmentent... La structure sociale du pays s'élève : il y a davantage de cadres et moins d'ouvriers.

Cette tendance durable est favorable aux jeunes, à l'exception notable des crises économiques qui les affectent toujours plus durement. Ils sont aussi plus libres que ne l'étaient leurs aînés. On est loin du modèle éducatif tutélaire de l'après-guerre et de la tension qui existait entre les générations autour des valeurs. Dans les années 1980, les enquêtes sociologiques révélaient encore un clivage de valeurs entre les personnes âgées de moins de 40 ans et celles âgées de plus de 40 ans.

Il s'est aujourd'hui déplacé à 60 ans. Une grande classe d'âge allant de 18 à 60 ans partage donc les mêmes valeurs, notamment en ce qui concerne la liberté dans ses choix. Il est par exemple fascinant de constater l'accroissement de la tolérance vis-à-vis de l'homosexualité dans la société française depuis trente ans. Les jeunes ont également gagné, grâce aux nouvelles technologies notamment, une grande autonomie dans la gestion de leurs relations amicales, et ce, de plus en plus précocement. Les collégiens ne sont plus des enfants. Les parents n'ont plus de prise. Il en résulte une inflexion du modèle de socialisation des jeunes. Il était vertical (soumis à l'autorité de parents, prescripteurs de valeurs), il devient horizontal : les jeunes construisent leurs valeurs à l'intérieur du groupe des pairs, sans contrôle parental.

Bref, les valeurs s'homogénéisent, mais un clivage culturel se développe. Ce qui est d'ailleurs inquiétant dans la mesure où cette culture jeune, fondée sur la communication, l'oral, l'horizontalité, s'éloigne de plus en plus de celle qui prévaut toujours à l'école. Mais, du point de vue de la famille, les jeunes acquièrent ce que le sociologue François de Singly appelle une "identité clivée" : les parents leur demandent de réussir à l'école, mais les laissent libres pour le reste. C'est le compromis. Et le modèle français d'entrée dans la vie adulte a permis à cette conception d'autonomie de prospérer.

 

Ce modèle n'en reste pas moins marqué par la dépendance financière et le chômage.

Oui, parce qu'en France, le modèle de transition vers l'âge adulte reste statutaire : le diplôme est hyper valorisé et le marché du travail clivé entre le contrat à durée indéterminé, protecteur, pour les adultes, et le contrat à durée déterminée, pour les jeunes. Le CDI est un symbole très fort : c'est en le signant qu'on devient adulte, qu'on change de statut, qu'on peut faire des projets. Mais la route est longue et instable pour y parvenir. On retrouve d'ailleurs ici le clivage entre deux jeunesses. Les diplômés accèdent au CDI entre 25 et 30 ans dans 80 % des cas. Les autres, un jeune sur cinq, sont plus instables. Et certains d'entre eux sont menacés par l'exclusion sociale.

Cette longue transition est cependant marquée par un fort soutien économique des parents. Le rôle de ceux-ci a changé : ils sont moins prescripteurs de valeurs et davantage accompagnateurs. Et dans un pays où le système d'orientation fonctionne mal, c'est le réseau relationnel de la famille qui prend le relais. Le capital social reste déterminant. A condition d'en disposer, bien entendu...

 

Ce long chemin vers l'âge adulte est-il une spécificité française ?

Il se situe à mi-chemin entre le modèle nordique et le modèle méditerranéen. Dans ce dernier, le jeune reste chez ses parents jusqu'à ce qu'il ait accumulé suffisamment de ressources pour voler de ses propres ailes. Il n'existe pas de phase intermédiaire, comme en France. Très peu de jeunes Italiens vivent seuls, par exemple : ils passent directement de la famille à la vie de couple. Il est vrai que les aides publiques sont faibles.

Le modèle nordique privilégie l'autonomie précoce. On peut même considérer qu'il existe une injonction à l'autonomie. Les aides publiques sont élevées et bénéficient à tous les jeunes quels que soient les revenus de leurs parents.

Le modèle français est intermédiaire. Contrairement à ce que l'on croit souvent, les jeunes Français partent relativement tôt du domicile familial : vers 20 ans. Autonomes, ils ne sont pas indépendants financièrement. Leurs parents les aident beaucoup à acquérir cette autonomie, en payant le loyer par exemple. L'éloignement de la famille est progressif, soutenu en arrière-plan par les parents. Les jeunes Français font leurs premières armes avec un filet de sécurité.

Ce modèle présente des vertus. Longtemps, on accédait à l'âge adulte par la transmission intergénérationnelle. Le fils de boulanger reprenait la boulangerie. La reproduction sociale garantissait une insertion rapide et limitait les problèmes identitaires. Elle est aujourd'hui caduque. De nos jours, la mobilité sociale est forte et les jeunes aspirent à occuper un emploi différent de celui de leurs parents. Ils doivent construire eux-mêmes leur identité et leur statut. Le modèle français favorise cette phase d'expérimentation où l'on tâtonne pour trouver sa voie.

 

Jadis, on était très vite confronté aux réalités de la vie. Est-ce forcément un progrès de devenir adulte plus tard ?

Oui, parce que les jeunes choisissent leur voie de façon autonome. Même si c'est moins sécurisant. D'ailleurs, ils revendiquent ce droit. C'est bien ce qui explique que l'orientation scolaire soit aujourd'hui si mal perçue. Quand celle-ci débouche sur l'échec ou une orientation autoritaire, elle entraîne une grande acrimonie.

Notre système éducatif est structuré autour de l'élitisme républicain. Son rôle est de diriger les meilleurs vers les filières les plus prestigieuses. Les autres sont orientés par défaut. Tout cela se fait au nom de l'égalité républicaine. Le problème, c'est que ce système rigide, traditionnel, tubulaire fonctionne mal aujourd'hui. Quand l'égalité devient uniformisation, elle produit des inégalités. Les enquêtes sociologiques menées auprès des jeunes de banlieue montrent bien cette rancoeur. L'école est la première institution de la République qu'ils rencontrent. Quand celle-ci leur dit : vous n'êtes pas capables de réussir, ça fait mal.

 

Ces jeunes de banlieue, c'est le coeur de la deuxième jeunesse que vous évoquez ?

On la retrouve plus souvent en banlieue, mais tous les jeunes de banlieue n'échouent pas. Cette deuxième jeunesse est bien plus large : ce sont tous ces élèves qui échouent à l'école et n'acquièrent pas les compétences de base leur permettant de trouver un emploi et de se débrouiller dans la vie. L'écart entre la jeunesse diplômée et la jeunesse qui décroche s'aggrave aujourd'hui. C'est extrêmement grave. Cette exclusion sociale a été le ferment des émeutes de banlieue en 2005. Il est toujours présent et peut exploser à tout moment chez une jeunesse qui ne s'exprime pas selon le mode traditionnel des revendications et manifestations. C'est le même ferment qui provoque la radicalisation politique, qu'elle prenne la forme d'un vote d'extrême droite ou d'une dérive à la Mohamed Merah...

 

Benoît Floc'h

 

Pour aller plus loin

"Les jeunes français ont-ils raison d'avoir peur ?" d'Olivier Galland (Armand Colin, 2009).

"Avoir vingt ans en politique. les enfants du désenchantement" d'Anne Muxel (Seuil, 2010).

"Nouvelles adolescences" revue Ethnologie française, numéro 2010/1 (janvier).



24/05/2012
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