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Un "droit à l'oubli" sur le Net

La Défenseure des enfants pour un "droit à l'oubli" sur le Net

LE MONDE | 20.11.2012 à 11h00 • Mis à jour le 21.11.2012 à 08h54 Par Damien Leloup

 Et si l'on pouvait, en quelques clics, faire disparaître d'Internet poèmes maladroits, photos osées, messages un peu idiots et autres contenus que l'on a publiés en ligne à l'adolescence, le plus souvent sans avoir conscience qu'ils resteraient accessibles des années plus tard ? C'est l'une des propositions qui se dégage du volumineux rapport présenté, mardi 20 novembre, par la Défenseure des enfants (qui dépend maintenant du Défenseur des droits), à l'occasion de la Journée mondiale des droits de l'enfant.


Consacré aux enfants et aux écrans, ce texte fait la synthèse des études récentes sur le comportement des mineurs sur Internet, mais aussi face à la télévision ou aux jeux vidéo. Il met notamment l'accent sur la protection de la vie privée des plus jeunes et la problématique du "droit à l'oubli" – la capacité de chacun à faire disparaître des réseaux des contenus dont il est l'auteur ou contenant ses informations personnelles dont il ne souhaite plus qu'ils soient accessibles.

Encore à l'état de concept, le "droit à l'oubli" n'est pas garanti par la loi. En France, les textes protégeant la vie privée prévoient uniquement un droit d'accès et de rectification aux informations – et, regrette le rapport de la défenseure des enfants, ils ne prévoient pas de protection particulière pour les mineurs. Pour mieux protéger les plus jeunes, la défenseure recommande donc une série de mesures pédagogiques, mais aussi – et surtout – la mise en place d'un véritable mécanisme de "droit à l'oubli", qui permettrait d'obtenir "l'effacement de données à caractère personnel [les] concernant et la cessation de la diffusion de ces données, en particulier en ce qui concerne des données à caractère personnel que la personne concernée avait rendues disponibles lorsqu'elle était enfant". Une mesure également préconisée par la Commission européenne dans sa dernière proposition de règlement sur la vie privée, qui doit fixer les orientations politiques de l'Union en la matière pour la décennie à venir.

 

OBJECTIFS IRRÉALISTES

Mais la création de ce droit à l'oubli est loin de faire l'unanimité. Les grandes entreprises du Web, pour la plupart américaines, voient d'un mauvais œil la possible mise en place d'un cadre juridique beaucoup plus contraignant, qui les obligerait à traiter des quantités de demandes. Pour ces sociétés, un tel droit serait au mieux impossible à appliquer, voire porterait atteinte à la liberté d'expression et d'information. Début 2012, au moment de la publication de la proposition de règlement européen, la numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg, avait à mots couverts menacé les pays européens de reconsidérer l'implantation de la société dans l'Union, évoquant la nécessité d'un "environnement juridique propice" pour créer des filiales nationales du réseau social. Dans le courant de l'année, plusieurs entreprises, dont Facebook et Google, ont étoffé leurs équipes de lobbying à Bruxelles.

Les grandes entreprises ne sont pas les seules à considérer qu'un tel droit serait difficilement applicable. Entre les différents pays européens et leurs autorités de protection de la vie privée, le droit à l'oubli ne fait pas l'unanimité. En juin, le ministère britannique de la justice a ainsi affirmé qu'il s'opposerait à une mise en place d'un "droit à l'oubli" sous cette dénomination, jugeant que l'expression sous-entendait des objectifs irréalistes et que les coûts de mise en œuvre pour les entreprises seraient trop élevés.

 

LIGNE DE FRACTURE

Des critiques également formulées par Christopher Graham, le directeur de l'ICO – l'équivalent britannique de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) : lors d'un discours prononcé en juin, il accusait la commissaire Reding d'avoir voulu faire un "coup" politique, expliquant que le "soi-disant droit à l'oubli ne semble rien apporter de plus que les droits actuellement en place, reformulés pour des raisons politiques".

En filigrane, une ligne de fracture se dessine entre, d'un côté, les pays qui défendent une protection plus stricte de la vie privée – France et Allemagne en tête – et, de l'autre, les pays qui préconisent une approche moins radicale. Ce deuxième camp regroupe principalement le Royaume-Uni et l'Irlande, où sont installés les sièges européens de très nombreuses entreprises du Web, dont Google ou Facebook. Réunies au sein d'un organisme baptisé G29, les différentes autorités de protection de la vie privée de l'Union européenne ont pour l'instant réussi à afficher un visage uni, mais la proposition de création d'un droit à l'oubli, ainsi qu'une redistribution des pouvoirs de sanction entre les différents pays ne font pas consensus.

La défenseure des enfants ne se contente pas d'appuyer la proposition de la Commission européenne : elle va plus loin, et préconise également la création d'un "droit au déréférencement", qui permettrait d'exiger des moteurs de recherche "la suppression du référencement des informations" ayant fait l'objet d'une demande de droit à l'oubli.

Pour la défenseure, une telle mesure serait un "corollaire indispensable d'une mise en œuvre effective du droit à l'oubli numérique". Un mécanisme de ce type a de fortes chances de se heurter à une vive réaction des moteurs de recherche, qui se refusent en général, sauf décision de justice ou accord négocié, à déréférencer manuellement des contenus de leurs bases de données. 

 

Damien Leloup



21/11/2012
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