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Un horizon bouché

Plus sensibles aux aléas de la conjoncture et à la précarisation de l'emploi, les jeunes sont touchés de plein fouet par la crise économique.

Laurent Jeanneau , Alternatives Economiques (mai 2009)

Les jeunes sont en première ligne sur le front de la crise économique. On comptait 434 300 demandeurs d'emploi de moins de 25 ans en février dernier, soit 105 400 de plus qu'un an auparavant, une hausse d'un tiers! Leurs aînés sont un peu moins mal lotis, même si la hausse touche toutes les catégories d'âge: les demandeurs d'emploi de 25 à 49 ans n'ont augmenté "que" de 17,1% sur un an (1). Et cela dans un contexte où le chômage des jeunes était déjà nettement plus important.

Au troisième trimestre 2008, avant donc que les effets de la crise financière ne se fassent sentir pleinement sur l'économie réelle, le taux de chômage des 15-24 ans était déjà de 19,7%, contre 7,7% en moyenne et 5,3% pour les plus de 50 ans. Ce taux doit cependant être relativisé: il ne signifie pas qu'un jeune sur cinq est chômeur! Le taux de chômage des 15-24 ans est en effet calculé uniquement en fonction des jeunes qui ont un emploi ou en cherchent un (on dit qu'ils sont "actifs"); il ne prend donc pas en compte ceux qui suivent toujours des études. Or, ils sont les plus nombreux: en 2007, seuls 38,5% des jeunes de 15 à 24 ans étaient présents sur le marché du travail. Un taux qui grimpe ensuite en flèche à 92,6% pour les 25 à 29 ans.

Il n'empêche, la situation des jeunes est alarmante. Elle interpelle d'autant plus que nous sommes en plein "papy-boom": la population âgée de 15 à 59 ans diminuera cette année de 120 000 personnes, alors que jusqu'en 2007 elle augmentait bon an mal an de 200 000 personnes environ. Cela devrait se traduire, selon l'Insee, par une baisse de la population active en 2009. Une première. Une telle perspective portait en elle la promesse d'une amélioration significative de la situation des jeunes sur le marché du travail. Mais c'était sans compter avec la violence du choc économique actuel...

Conjoncture et flexibilité

Le chômage des jeunes reste beaucoup plus sensible aux fluctuations conjoncturelles que celui des plus âgés. Déjà entre 1975 et 1985, les 15-29 ans avaient vu leur taux de chômage augmenter plus rapidement. Depuis, la courbe du chômage des jeunes évolue au gré de la conjoncture économique, en amplifiant les variations, pour le meilleur comme pour le pire. Cette hypersensibilité à la conjoncture est logique: les jeunes entrent dans la vie active à la fin de leurs études quel que soit le contexte économique. Ils n'ont guère le choix en effet d'attendre une période favorable.

Mais il faut aussi y voir la conséquence d'une précarisation croissante de l'emploi des jeunes. La flexibilité accrue du marché du travail repose pour une large part sur leurs épaules, que ce soit dans le privé ou dans la fonction publique. Ainsi, les 15-29 ans sont deux fois plus souvent intérimaires que la moyenne des personnes en emploi. Et un peu plus d'un jeune sur quatre de 15 à 29 ans qui occupe un emploi est en contrat à durée déterminé (CDD) ou en emploi aidé, contre 11% de l'ensemble des actifs occupés. A cela s'ajoutent les stages, qui donnent parfois lieu à de véritables abus et concourent à développer de nouvelles formes de sous-emploi.

Ceci dit, les jeunes ne sont pas nécessairement condamnés à enchaîner les CDD ad vitam aeternam. Pour la plupart d'entre eux, le passage par la case précarité n'est qu'une étape vers un emploi durable. Ainsi, si seulement 40% des licenciés de lettres et de sciences humaines décrochent immédiatement un poste stable, deux sur trois occupaient en 2007 un emploi à durée indéterminée trois ans après leur sortie du système éducatif, selon les enquêtes génération du Céreq.

Le problème, aujourd'hui, c'est que ce sas d'entrée vers l'emploi stable est bouché: l'intérim est en chute libre (- 140 000 postes entre fin 2007 et fin 2008) et les CDD aussi. Aux effets - massifs - de la crise économique s'ajoutent ceux - tout aussi massifs - du dispositif d'exonérations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires (voir notre pétition: www.alternatives-economiques.fr/petition), qui pénalise tout particulièrement les jeunes.

On a évoqué jusqu'ici les "jeunes" comme un ensemble homogène, mais ce n'est pas le cas: la "jeunesse" masque des disparités croissantes. Notamment à l'égard de l'emploi et du chômage. Peu d'éléments précis sont disponibles sur les évolutions des derniers mois dans ce domaine, mais il y a tout lieu de penser que la crise touche plus durement ceux qui, parmi les jeunes, étaient déjà dans la situation la plus difficile.

Des inégalités croissantes

La césure la plus profonde au sein de la jeunesse sépare les diplômés des non-diplômés. Le système scolaire français se caractérise par le fait qu'il continue à "produire" chaque année un grand nombre de jeunes sans qualifications reconnues (2). Selon la Dares, le taux de chômage des jeunes ayant au mieux un brevet des collèges est environ quatre fois plus important que celui des diplômés du supérieur, dans les toutes premières années suivant la fin de leurs études. C'est d'ailleurs ce qui explique le taux de chômage si important des 15-24 ans: à cet âge, ceux qui sont déjà entrés sur le marché du travail se recrutent majoritairement parmi les moins diplômés. En 2007, parmi les actifs de 15 à 24 ans, on comptait en effet 21% de diplômés du supérieur, 52% de diplômés du secondaire et 27% de peu ou pas diplômés, alors que 43% des 25-29 ans présents sur le marché du travail en 2007 avaient un diplôme du supérieur. Pour cette raison, le taux de chômage des 25-29 ans (10,2%) était nettement plus faible que celui des 15-24 ans (19,7%).

Nombre de demandeurs d'emploi de moins de 25 ans* inscrits en fin de mois à Pôle emploi, selon le sexe

Variation annuelle de la population des 15-59 ans, de la population active et du chômage

Taux de chômage des 15-29 ans et de l'ensemble de la population active de 1975 à 2007, en %

La même inégalité s'observe vis-à-vis de la précarité de l'emploi. L'écart a d'ailleurs tendance à s'accroître, au détriment des non-qualifiés, même si la période d'insertion dans l'emploi durable s'est allongée pour tout le monde (voir graphique page 10).

Statut d'emploi et type de contrat de travail en 2007, selon l'âge

Part des emplois temporaires dans l'emploi, selon le diplôme des jeunes sortis depuis un à quatre ans de leur formation initiale, en %

Structure par âge de la population pauvre en 2006, en %

Autre source d'inégalité majeure entre jeunes: le lieu de résidence. Selon le Céreq, 36% des jeunes ayant résidé en zone urbaine sensible ont connu une trajectoire professionnelle dominée par le chômage récurrent, le non-emploi ou un enchaînement de contrats précaires depuis leur sortie de formation initiale en 1998. Alors que ce n'est le cas que de 23% de l'ensemble des autres urbains. Dans un récent rapport, le Crédoc résume les facteurs accentuant, pour un jeune, le risque d'être touché par l'éloignement de l'emploi de qualité: être très peu qualifié ou avoir suivi une formation générale (c'est-à-dire plus théorique que professionnelle); être une femme; habiter une zone urbaine sensible; avoir des parents non européens (3). La hausse brutale du chômage au cours des derniers mois a probablement confirmé ce diagnostic, même si elle a touché nettement plus les jeunes hommes que les jeunes femmes, du fait que les non-diplômés sont beaucoup plus nombreux chez les hommes.

Des aides insuffisantes

Ces difficultés ont bien sûr des conséquences directes sur leur niveau de vie. Compte tenu de la faiblesse des dispositifs socialisés, c'est la solidarité familiale qui joue traditionnellement un rôle prépondérant pour amortir les effets des crises. Elle prend d'abord la forme d'une cohabitation prolongée au sein du logement parental. Une possibilité qui n'est cependant offerte qu'à ceux dont les parents disposent eux-mêmes d'un logement suffisamment vaste.

Si l'âge médian auquel les Français quittent le domicile de leurs parents est de 23 ans, il n'est pas rare que ces derniers continuent ensuite à aider financièrement leurs rejetons, notamment pour assumer le coût du loyer. Mais, là encore, cette solidarité financière est très inégalement répartie. Lorsque ce soutien fait défaut, "le cumul de la précarité économique et de l'isolement social peut conduire très vite à des formes profondes et durables d'exclusion et de pauvreté", rappelle le sociologue Olivier Galland (4). Avant la crise, un cinquième des jeunes de 16 à 25 ans vivaient déjà sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 880 euros par mois. Soit 1,4 million de personnes.

Face à cette situation préoccupante, il existe peu de dispositifs sur lesquels les jeunes peuvent s'appuyer. Bien qu'ils soient les premières victimes de la crise, ils sont très peu indemnisés par l'assurance chômage, faute d'avoir suffisamment cotisé: seulement 44% des chômeurs de moins de 25 ans touchaient une indemnisation chômage en mars 2008 (dernier chiffre connu), contre 80,2% des plus de 50 ans. En réduisant le seuil d'ouverture des droits à l'assurance chômage à quatre mois de cotisation sur les vingt-huit derniers mois (au lieu de six sur vingt-deux précédemment), la nouvelle convention Unedic devrait améliorer cette situation (voir page 25). En revanche, les jeunes de moins de 25 ans resteront exclus du bénéfice du revenu de solidarité active (sauf s'ils sont chargés de famille), tout comme ils l'étaient auparavant du revenu minimum d'insertion. Une meilleure couverture des jeunes face aux aléas économiques serait donc urgente.

Dans d'autres pays, de tels dispositifs existent et sont efficaces: au Danemark, un jeune qui perd son emploi voit ses revenus baisser de 8,7% en moyenne, contre 28% en France, selon une étude réalisée en 2006 (5). Mais surtout, la France est le seul des dix pays européens étudiés où cette perte est supérieure à celle de l'ensemble de la population ayant connu le chômage. Et ce n'est pas la prime de 500 euros qui sera versée aux personnes ayant perdu leur emploi entre le 1er avril 2009 et le 31 mars 2010 qui changera fondamentalement cette donne. 240 000 personnes devraient être concernées, selon Bercy, pour un coût évalué à 120 millions d'euros. Mais les centaines de milliers de jeunes qui n'ont pas encore travaillé et qui cherchent un emploi en seront exclus, tout comme ceux qui ont été licenciés avant le 1er avril 2009.

Au-delà du service civil (voir page 12), le gouvernement mise de nouveau sur les contrats aidés. En pratique, ceux-ci s'adressent en effet essentiellement aux jeunes: 27% des moins de 26 ans qui avaient un emploi en 2007 étaient en emploi aidé, contre 4,9% en moyenne. Le 28 octobre 2008, Nicolas Sarkozy avait annoncé le déblocage de 100 000 contrats aidés supplémentaires dans le secteur non marchand en 2009, en plus des 230 000 déjà inscrits dans le projet de loi de finances. Cet effort reste en réalité limité: compte tenu de la baisse qui avait été programmée dans le budget 2009, ce ne sont en fait que 40 000 emplois aidés de plus par rapport à 2008. Il faut aussi se rappeler que 383 000 emplois aidés avaient été financés dans le secteur non marchand en 2003, dans un contexte économique pourtant nettement moins dramatique.

De plus, ces bonnes résolutions tardent à faire sentir leurs effets: fin 2008, 196 000 personnes seulement bénéficiaient d'un contrat aidé dans le secteur non marchand, contre 248 000 fin 2007, selon l'Insee. Faute de moyens financiers, collectivités, administrations et associations rechignent à en signer. Le ministère de l'Emploi a donc décidé de relever le taux de prise en charge par l'Etat des contrats d'accompagnement vers l'emploi de 70% à 90%.

Mais surtout, Nicolas Sarkozy a changé son fusil d'épaule, privilégiant désormais les contrats aidés en entreprise: 50 000 contrats initiative emploi (CIE) (6), ciblés sur les jeunes, viendront s'ajouter aux 50 000 initialement prévus dans le budget 2009. Parallèlement, des incitations financières seront prévues pour l'embauche de jeunes en contrats d'apprentissage ou de professionnalisation. Le problème, c'est que ces aides de l'Etat au secteur marchand risquent de susciter des "effets d'aubaine": au lieu d'embaucher un salarié sur un contrat de travail classique, les entreprises le recruteront sur un contrat cofinancé par l'Etat, pour lui confier un poste qu'elles avaient de toute façon décidé de créer. Il n'est donc pas sûr que cela suffise à inverser la tendance.

En attendant, la jeunesse française broie du noir. Selon une étude de la Fondation pour l'innovation politique, un think tank proche de l'UMP, réalisée en 2008, seuls 26% des Français de 16 à 29 ans jugent leur avenir prometteur, contre 60% des Danois et 54% des Américains du même âge...

Une vraie course d'obstacles

Entretien avec Bissonnais Le Anne : socio-économiste, ancienne directrice d'une mission locale.

Comment a évolué la situation des jeunes ces dernières années ?

Avant même la crise, l'insertion était devenue une vraie course d'obstacles pour une large partie des jeunes qui, faute de res-sources suffisantes, éprouvent de grandes difficultés à obtenir un logement, se soigner, passer le permis de conduire ou même se déplacer pour rencontrer un employeur. Sachant que seule une minorité d'entre eux est indemnisée par l'assurance chômage, on imagine la précarité dans laquelle se trouvent tous ceux qui ne peuvent pas disposer d'un fort soutien familial. La crise vient encore aggraver cette situation. La remontée du chômage touche en effet tout particulièrement les jeunes les moins qualifiés, premiers concernés par la forte diminution des offres d'emploi, y compris précaires.

Quelles seraient les pistes prioritaires dans le contexte actuel?

Les chantiers prioritaires sont connus depuis longtemps: formation professionnelle, développement de l'apprentissage, lutte contre l'échec scolaire, prise en compte des jeunes déscolarisés, logement des jeunes demandeurs d'emploi, avec la construction de foyers de jeunes travailleurs dans tous les bassins d'emploi. Face à l'augmentation des inégalités et de la précarité des jeunes, il est également nécessaire d'étudier sérieusement la proposition d'une allocation ou d'un revenu d'autonomie pour eux, émise en 2002 par la commission présidée par Jean-Baptiste de Foucauld (1). En matière d'emploi, rien ne changera non plus sans une responsabilisation des entreprises, notamment sur la question des emplois précaires. Il est indispensable d'inciter les employeurs à recruter des jeunes, à les former et à les reconnaître comme une ressource indispensable à la société.

Quelle doit être la place des missions locales dans la lutte contre le chômage des jeunes?

Il faut poursuivre et renforcer le suivi global des jeunes, afin de les accompagner aussi bien sur les problématiques d'emploi que de logement, de santé ou de mobilité. C'est ce travail que développent les 500 missions locales créées depuis vingt-cinq ans (2). Avec un bilan important: elles ont accueilli 1,2 million de jeunes en 2007, dont plus de 600 000 en suivi régulier, des jeunes qui pour la moitié d'entre eux ne sont pas inscrits à l'ANPE. Au final, les taux d'insertion dans l'emploi des jeunes suivis par les missions locales, qui sont souvent en grande difficulté, atteignent 40 % à 50 % (3).

Cependant, alors que la crise va augmenter considérablement le nombre de jeunes à accueillir, le réseau risque de ne pas pouvoir faire face. Les financements publics sont demeurés stables depuis 2005, alors que l'activité et donc les charges augmentaient déjà régulièrement. Beaucoup de structures peinent aujourd'hui à équilibrer leur budget et ne peuvent, dans ces conditions, assurer un accompagnement de qualité. Aujourd'hui, certains conseillers suivent jusqu'à 400 jeunes. Ce qui n'est pas tenable.

Camille Dorival

NOTES

(R1) Auteure de Les Missions du possible. Avec et pour les jeunes en parcours d'insertion, éd. Apogée, à paraître en juin 2009.

(1) Proposition reprise dans Un devoir national. L'insertion des jeunes sans diplôme, rapport n° 9 du Cerc, éd. La Documentation française, 2008, accessible sur www.cerc.gouv.fr

(2) Les premières missions locales ont été créées en 1982, après le rapport de Bertrand Schwartz, qui préconisait un traitement global du chômage des jeunes. Leur rôle est d'accueillir et d'informer les jeunes en difficulté et de les accompagner dans leur parcours d'insertion sociale et professionnelle. Elles sont aujourd'hui implantées dans toute la France, et font partie intégrante du service public de l'emploi. Elles sont cofinancées par l'Etat et les collectivités territoriales.

(3) "Deuxième chance? La prise en charge des jeunes éloignés de l'emploi de qualité", Crédoc, Cahier de recherche n° C257, décembre 2008.

(4) Les jeunes Français ont-ils raison d'avoir peur?, par Olivier Galland, éd. Armand Colin, 2009, p. 67.

(5) "Corésidence chez les parents et indemnisations des jeunes chômeurs en Europe", par Olivia Ekert-Jaffé et Isabelle Terraz, BETA, Document de travail n° 2007-03.

(6) Le CIE est un contrat réservé aux demandeurs d'emploi en difficulté, d'une durée maximale de 24 mois. En échange de l'embauche, l'employeur reçoit une aide jusqu'à 47% du Smic horaire, dans la limite de 35 heures par semaine.




06/05/2009
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