Comment sauver la jeunesse kanak ?
Lors du dixième anniversaire du Sénat coutumier, célébré ce week-end à Nouméa, un rapport sur « la place du jeune Kanak » a été dévoilé. Parmi les propositions : l’entrée de la coutume dans le système éducatif et judiciaire, ou encore le retour du service militaire.
(Les Nouvelles Calédoniennes, 12/10/09)
Dans la case Eman du centre Tjibaou, il n’y a pas l’ombre
d’un adolescent, en ce samedi après-midi. Quelques parents à l’aube de la
vingtaine, trois jeunes filles, et puis les anciens. Sénateurs, politiques,
associatifs, invités. Comme un symbole, celui d’un fossé générationnel.
Car si les barbes grises et les cheveux blancs sont là, c’est pour la remise
d’un document attendu depuis un an : l’étude du Sénat coutumier sur
« la place du jeune Kanak dans la société contemporaine, et les moyens
de lutter contre la marginalisation d’une partie de la jeunesse ». Il
s’agissait d’une commande de l’Etat. Ou plutôt d’une saisine formulée en 2008,
comme le prévoit la loi organique.
L’événement est à marquer d’une pierre blanche. Pour la première fois,
l’institution qui représente les autorités coutumières donne son point de vue
officiel sur la jeunesse kanak, et propose des pistes pour améliorer son
avenir. Dans la salle, le meurtre d’un jeune de 14 ans par un camarade de 17
ans, le week-end précédent à Nouméa, plombe encore les esprits.
Le constat est sans surprise : il est tragique. Pour le mesurer,
l’enquête réalisée par Armelle Lenault, Patricia Levy, Joséphine Zéoula et Rock
Wamytan se base largement sur les récents travaux de l’Inserm (*). Un
questionnaire, soumis à 314 jeunes Kanak de 16 à 25 ans (issus de toutes les
aires coutumières) affine les données. Le tout est conjugué avec le résultat de
dizaines de rencontres (anciens, coutumiers, professionnels).
Mais au-delà de l’état des lieux, connu et déploré depuis des années, le
rapport sénatorial avance des causes à ce dérèglement. Le « choc de la
colonisation », en premier lieu, qui a « déstabilisé la
cohésion originelle ». Malgré l’histoire, 58 % des personnes
interrogées estiment que la coutume a encore sa place dans le monde kanak
aujourd’hui, en tant qu’organisation sociale. Mais l’appétit qu’expriment les
jeunes pour la tradition est tempéré par deux autres facteurs : la
difficulté à trouver sa place dans la société occidentale (école, justice,
travail), d’un côté, et le « fossé générationnel » de
l’autre.
D’après l’étude, le lien avec la coutume s’est détérioré. Une « absence
de repères » qui explique partiellement que « les jeunes
[soient] perdus ».
58 % estiment que la coutume a encore sa place dans le monde kanak
A la fin du rapport de 115 pages (dont 62 pages d’annexes), le Sénat esquisse
des pistes pour redresser la barre. Elles convergent vers un même
objectif : redonner la parole aux jeunes en ravivant l’accompagnement
coutumier.
Il faut ainsi « repenser l’école à partir des valeurs de la société
traditionnelle », quitte à adapter les programmes « avec une
approche temporelle kanak ». Même principe pour la justice et les
sanctions pénales, auxquelles les coutumiers pourraient être associés.
Les jeunes ont besoin de lieux de parole, que cela passe par des maisons de la
jeunesse ou des conseils de jeunes, dit encore l’étude. Mais aussi d’espaces de
transmission du savoir traditionnel, comme des « écoles de la coutume »,
ou des instances coutumières aux moyens renforcés.
Plus surprenant, les sénateurs souhaitent le retour du service militaire,
« que la société kanak d’antan avait assimilé [à une] période
obligatoire d’initiation et de passage pour chaque jeune homme à la vie
d’adulte ». Constatant que « le vide a été comblé […]
généralement par l’oisiveté et le laisser-aller », les anciens
appellent de leurs vœux un « service civil » d’au moins deux
mois.
Qu’en pensent les jeunes ? Impossible de le savoir pour l’instant. Samedi, ils
n’étaient pas là. Un forum est prévu dans les prochaines semaines, histoire
d’engager le débat.
Le rapport sera bientôt consultable au siège du Sénat coutumier, 68 avenue
James-Cook à Nouville. Téléphone : 24 20 00.
(*) Institut national de la santé et de la recherche médicale. «
Situation sociale et comportements de santé des jeunes en Nouvelle-Calédonie. »
Mars 2008.
Marc Baltzer
« S’asseoir sur la natte, discuter avec eux »
Le rapport s’appuie sur
des paroles de jeunes, mais aussi d’anciens et de professionnels de
l’éducation. Extraits choisis.
Clément Grochain, sénateur Paici-Camuki
« Ils trouvent qui à la
maison ? »
L’actualité nous met en face de situations où on se
demande : « Qu’est-ce qui se passe dans notre pays, au milieu de
nous ? »
Mais on peut aussi se demander : « Qu’est-ce que
je fais comme parent ? Est-ce que je prends le temps de parler à mes
enfants ? Après l’école, quand ils rentrent, ils trouvent qui à la
maison ? Est-ce que, quand ils rentrent en retard, je leur demande :
d’où tu viens ? Qu’est-ce que tu as fait ? »
Combien parmi nous sont devenus sages par nature ? Il faut
éduquer les enfants, les encadrer
Père Roch Apikaoua, vicaire général de l’archevêché
de Nouméa
« Les liens sont virtuels »
« Un certain
aspect de l’éducation coutumière n’est plus assuré par l’autorité coutumière,
ou alors le discours tient plus de l’engueulade ; les jeunes ne répondent
pas immédiatement, mais vont tordre le panneau « stop » plus tard.
[…] Les liens de parenté n’ont plus d’utilité, ils sont virtuels […] Les oncles
utérins n’ont plus de relations réelles avec les enfants. »
Ives Melet, vice-recteur
« Réécrire des programmes
scolaires »
« Les jeunes doivent avoir, sur un même pied d’égalité,
ce qui se fait à l’école et dans la famille, ce qui nécessite une réécriture
des programmes (scolaires, NDLR). L’école doit reconnaître la légitimité des
autorités coutumières. […] Il y a un manque de visibilité en matière
d’éducation politique et citoyenne ; les programmes sont à aménager, même
si cela demande beaucoup de temps. »
Edmond, jeune habitant de Rivière-Salée
« Des certitudes d’adultes »
« Vous faites un débat sur des certitudes d’adultes. En
ce moment, à Rivière-Salée, on veut un terrain pour cultiver, la mairie ne nous
le donne pas immédiatement. Est-ce que le Sénat coutumier peut faire quelque
chose ? Est-ce qu’on ne peut pas réduire les allocations familiales pour
que les parents s’intéressent à nous ? Il faut des actes. Plus on parle,
plus les petits frères souffrent. »
Le Sénat en bref
D’où vient-il ?
Le Sénat coutumier a été créé par la loi organique de 1999.
Il est l’héritier du « CCCT », le Conseil consultatif coutumier du
territoire, instauré en 1988. Contrairement au CCCT, le Sénat est une
institution, comme le Congrès ou les assemblées de province.
Que fait-il ?
Son premier rôle est de représenter l’autorité coutumière
auprès des autres institutions. Pour cela, il est consulté avant chaque projet
relatif à l’identité kanak. Il peut aussi s’auto-saisir et faire des
propositions aux élus, libres de les adopter ou non. En dix ans, une loi et
deux délibérations ont été ainsi votées (procès-verbaux de palabre, indemnités
des coutumiers, création de l’Académie des langues kanak). Par ailleurs, le
Congrès lui soumet chaque décision liée aux signes identitaires ou aux affaires
coutumières. Le Sénat peut modifier le texte ou le refuser. Mais après deux
consultations infructueuses, le Congrès peut adopter la version qu’il souhaite.
Le Sénat a aussi un rôle administratif. Il constate les désignations des
autorités et les transmet à l’Etat.
Avec quel argent ?
Le sénat n’a pas de budget propre, mais perçoit une dotation
annuelle de la Nouvelle-Calédonie. En 2007, elle était de 140 millions de
francs. Les sénateurs sont indemnisés au prorata des réunions auxquelles ils
participent. Chaque présence est dédommagée 15 000 francs (3 % du
traitement d’un chef d’administration). Leurs frais de déplacements sont
remboursés. En moyenne, un sénateur est défrayé à hauteur de 40 000 à 50 000
francs par mois pour le transport.
Qui est sénateur ?
Chacune des huit aires coutumières est représentée par deux
sénateurs désignés par les conseils de chaque pays.
Leur mandat est de cinq ans, tandis que la présidence du
Sénat est renouvelée tous les ans. Pour renouveler l’assemblée entière, il faut
que six aires sur huit le décident.
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