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Jean-Marie Tjibaou m’a appris beaucoup de choses »


 
Le 18 novembre, Jacques Lafleur recevait, avec Jean-Marie Tjibaou, à titre posthume, la Colombe de la paix. Une distinction remise par l’Unesco et l’Allemagne. Dans notre édition du 19 novembre, il livrait ses impressions. Cette interview est la dernière qu’il a accordée à la presse.

  • Les Nouvelles calédoniennes : Quelle a été votre réaction en apprenant cette distinction?

Jacques Lafleur : Je me suis senti honoré bien sûr, pour moi, pour Jean-Marie Tjibaou et pour la Calédonie. Mais j’ai surtout été très surpris. Les Colombes de la paix sont une initiative allemande, comme les Nobel viennent de Suède. L’Allemagne est un pays immense. La quatrième puissance mondiale et la première en Europe. J’admire leurs musiciens et leurs philosophes. Les personnes, peu nombreuses, qui ont déjà reçu ce prix créé récemment, ont toutes joué un rôle de portée internationale, voire planétaire.
Alors qu’un aussi grand pays, moteur de l’Europe, associé à l’Unesco, soit allé chercher « deux petits mecs » dans un minuscule territoire du bout du monde, est quelque chose de très surprenant. Mais c’est aussi un grand honneur fait à la Calédonie.

  • Ce qui est récompensé, c’est la poignée de mains entre Jean-Marie Tjibaou et vous, en 1988.

Oui. C’est un geste qui a coûté la vie à Jean-Marie Tjibaou, et qui m’a valu d’essuyer plusieurs attentats. Mais c’est un geste sans lequel la Nouvelle-Calédonie n’aurait pas retrouvé la paix et aurait sans doute sombré dans la guerre. Mais deux autres hommes ont joué un rôle absolument décisif dans cette affaire. Il s’agit d’Alain Chrisnacht, aujourd’hui membre du Conseil d’Etat, et Pierre Steinmetz, aujourd’hui au Conseil constitutionnel. Et je tiens absolument à les associer à cette distinction. Sans eux, sans leur intelligence et leur finesse, Jean-Marie Tjibaou et moi n’aurions pas réussi à nous rapprocher. Et Jean-Marie Tjibaou m’a appris beaucoup de choses.

  • Vous rappelez avoir échappé à plusieurs attentats. Est-ce que ça vous a marqué ?

Oui. Je n’ai jamais eu peur pour moi-même. Je n’ai aucun mérite à cela et je n’en tire aucune gloire. C’est ma nature voilà tout. Je n’ai pas facilement peur. Mais deux événements m’ont marqué. Le premier a eu lieu à Thio. C’était avant l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou. J’étais dans un groupe, un gosse d’une quinzaine d’années se tenait près de moi. Un coup de feu a retenti et je l’ai vu s’effondrer dans une mare de sang. J’ai toujours pensé qu’il était mort à ma place et ça me poursuit. Une autre fois, à Poya, un autre coup de feu a été tiré. Mon fils était derrière moi. Et là, j’ai eu très peur pour lui.

  • Vous dites que ce prix est un honneur pour la Nouvelle-Calédonie. Est-ce aussi une responsabilité ?

Bien sûr. Nous sommes une petite terre du bout du monde, nous avons une petite population. Pourtant, de grandes institutions internationales nous reconnaissent et nous distinguent pour notre rôle en faveur de la paix. Nous sommes cités en exemple, après 22 ans de paix retrouvée qui ont permis au territoire de faire d’immenses progrès. C’est évidemment un honneur mais aussi une responsabilité collective qui nous est assignée de poursuivre dans cette voie. Et je suis reconnaissant à mes compatriotes de m’avoir élu tant d’années au parlement français.

  • Précisément sur quelle voie souhaitez-vous voir continuer la Calédonie ?

L’Accord de Nouméa a été conclu en 1998 sans Jean-Marie Tjibaou qui avait déjà été assassiné. Cet accord mérite sans doute d’être complété. Ma position est connue. Je souhaite que la Calédonie s’engage dans un pacte cinquantenaire qui consolide pendant toute cette période son lien avec la France. Je considère que c’est un cadeau pour la Calédonie que d’avoir reçu la culture française. C’est le pays des droits de l’homme et de l’humanisme. C’est une nation qui porte de belles valeurs. Et c’est la raison pour laquelle j’ai voté contre le transfert de l’enseignement secondaire.
Il se peut qu’un jour la Calédonie choisisse de s’émanciper. Mais je souhaite qu’elle s’imprègne le plus longtemps possible de la culture française, pour que naissent et s’épanouissent des hommes et des femmes de qualité, marqués par les valeurs de la France. C’est parce que j’étais imprégné de ces valeurs que j’ai transmis ma société minière (NDLR: la SMSP) au monde kanak. C’était un acte de conviction en faveur de la paix.
Partout où elle a décolonisé, la France a laissé des marques bien plus fortes et bien plus humaines que les autres pays colonisateurs. Nous avons la chance d’être dans la France et notre intérêt est d’y rester encore longtemps.

Propos recueillis par Philippe Frédière



06/12/2010
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