L’avenir du nickel sera collectif
Missionné
par l’Etat, l’expert Anne Duthilleul vient de lancer les premiers
travaux d’élaboration d’un schéma stratégique industriel du nickel en
Nouvelle-Calédonie. La réflexion devra aboutir « à une vision réellement
partagée de l’avenir à long terme de cette richesse ». Reste à savoir
si tous les acteurs participeront pleinement à ce programme colossal.
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Un schéma industriel sur le nickel, pourquoi ?
A l’horizon 2014-2015, la Nouvelle- Calédonie effectuera un pas de géant sur le marché du nickel, en devenant le deuxième pays producteur au monde après la Russie : 215 000 tonnes de métal seront extraites par an du minerai calédonien, avec la SLN (65 000 tonnes visées), Xstrata-SMSP dans le Nord et Vale dans le Sud (60 000 chacun), et l’usine de Gwangyang en Corée à travers le partenariat SMSP-Posco (30 000). Cette place prépondérante, surtout pour un territoire de la taille de la Calédonie, impose un cadre et une vision à long terme. Sur une idée de Pierre Frogier (Rump), le dernier comité des signataires était ainsi convenu de « prolonger le travail engagé par le schéma de mise en valeur des richesses minières par une réflexion sur l’élaboration d’un schéma industriel pour ce secteur économique essentiel (pour le pays), dans le but d’assurer une cohérence dans la durée des projets miniers et métallurgiques et de l’action des opérateurs et des provinces ».
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Quels travaux ?
Venue en Calédonie durant une semaine pour « écouter et recueillir les suggestions » des acteurs, Anne Duthilleul, expert reconnu missionné par l’Etat, compte voir ce schéma quasiment bouclé à la mi-2011. Dans ce but, un comité stratégique industriel, installé hier, et composé des signataires de l’accord ainsi que des représentants des collectivités, se réunira « tous les deux mois ». Placés en dehors de l’entité, les opérateurs industriels ont été tour à tour consultés ces derniers jours, et le seront à nouveau par Anne Duthilleul au fur et à mesure de l’élaboration du projet.
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Quels enjeux ?
La réflexion est tout juste lancée, mais, déjà, des questions surgissent. Quels peuvent être la forme et le fond de la synergie possible entre les différents industriels du pays ? Entre la SLN et la SMSP, la SLN et Vale… sur les terrains de la formation, de l’environnement, des achats, des moyens logistiques… ? Avec trois usines de classe mondiale sur son sol, l’économie de la Calédonie va être ultra- dépendante du cours du nickel. Quel « amortisseur », selon les propres termes d’Anne Duthilleul, faut-il instaurer afin d’atténuer la volatilité du prix du métal ? Un nouveau fonds nickel ? Les dispositions réglementaires visant à la protection de l’environnement sont-elles, de même, suffisantes ? Le pays détiendrait, en outre, le quart des ressources connues sur la planète. Où en est la réalisation de l’inventaire minier ? « Ce travail doit se poursuivre », a noté hier la chargée de l’étude. Car comment prévoir sans connaître l’estimation de la richesse ? « L’analyse des procédés techniques de valorisation du minerai et de leur champ d’application » sera menée, « afin de déterminer les possibilités de traitement sur le territoire ou à l’extérieur et leurs évolutions potentielles ». Une problématique se détache : les retombées économiques et sociales devront être évaluées, afin de dessiner un réel développement durable.
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Des points sensibles ?
Délicate, car terriblement politique, la thématique de la gouvernance et de « la structure du capital de certaines sociétés d’exploitation particulièrement sensibles » sera abordée dans ce schéma. Derrière le chapitre, apparaît notamment l’éventuelle montée de la STCPI (Société territoriale calédonienne de participation industrielle) au sein de la SLN. Ou dans Eramet. Autre sujet potentiellement sulfureux : la fiscalité. Pour faire bénéficier la Calédonie de cette manne financière extraite de son sol, la création d’une taxe sur le tonnage, sur l’extraction, ou d’une redevance, pourrait être en toute logique étudiée. Reste à savoir quels outils seront déployés – lois du pays, délibérations provinciales… – afin de concrétiser astucieusement, et avec un niveau de conflit minimal, ce schéma industriel.
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Des difficultés ?
Ce schéma industriel trouvera son plein régime en 2014-2015. Soit après les élections provinciales qui auront modifié les exécutifs territoriaux, provinciaux… Le risque est ainsi de voir casser l’actuelle dynamique politique accompagnant ce projet. En outre, le plan dessiné par Anne Duthilleul se heurtera aux lobbyings des industriels. Quel sera réellement leur degré de consentement ?
Texte : Yann Mainguet
Photos : Jacquotte Samperez et archives LNC
Anne Duthilleul,
chargée de mission sur le schéma stratégique industriel du nickel
«Ça ne se fera pas d’un coup de baguette magique»
- Les Nouvelles calédoniennes : Comment appliquer ce schéma face aux forts lobbyings d’industriels ?
Anne Duthilleul : Les moyens pour mettre en oeuvre ce schéma seront précisés après sa définition et celle des objectifs que nous voulons atteindre. Le but est d’avoir un schéma stratégique industriel partagé, cohérent – parce qu’actuellement, nous avons peutêtre une vision parcellaire de l’industrie du nickel en Nouvelle- Calédonie. Il y a beaucoup d’exploitations minières, bientôt trois usines, des contrats internationaux… Il y a donc besoin de mettre en cohérence les activités du territoire, et surtout les retombées sur le territoire de toutes ces activités.
- Une nouvelle fiscalité se cachet- elle derrière ce schéma ?
Cela fait partie des questions de moyens. Nous ne pouvons donc pas répondre à cela pour l’instant. Ce schéma sera à application continue. Il faudra remettre à jour en permanence les données, les connaissances, et il faudra certainement un suivi de l’application. Ça ne se fera pas d’un coup de baguette magique, en une seule fois.
- Ici ou ailleurs, les industriels ont souvent coopéré, appliqué des règles, sous la contrainte. Travailleront-ils maintenant ensemble naturellement ?
Tous affichent a priori une bonne volonté. Les leçons du passé – où les bagarres n’ont finalement pas réussi à certains – portent également leurs fruits. Je pense qu’il y a plus de volonté d’agir ensemble et de trouver une synergie, des coopérations, tout en étant concurrents. C’est plutôt bon signe.
Réactions
Peter Poppinga, Vale
« Vale va apporter des idées concrètes »
« Nous avons déjà dit plusieurs fois que nous soutenons cette initiative des autorités, pour optimiser la richesse minière, l’activité minière et métallurgique. Et ce, pour toutes les parties prenantes, les industriels inclus. Vale va apporter des idées concrètes sur ce schéma. Nous avons une stratégie de croissance. Pour nous, ce n’est pas la rentabilité qui compte tellement. C’est vraiment la stratégie. Ce projet est stratégique. Nous voulons le maîtriser et l’exporter. Nous sommes confiants pour avoir une vraie synergie pour toutes les parties prenantes. »
André Dang, SMSP
« La fiscalité peut changer »
« Du moment que cela va dans l’intérêt du pays, cela va dans l’intérêt de la SMSP. SMSP est une société calédonienne avant tout. Ça va dans le bon sens. Nous sommes très satisfaits. La fiscalité peut changer et étant donné que le pays a besoin d’argent… »
Pierre Alla, SLN
« Une bonne méthode »
« Le plan de travail proposé par Mme Duthilleul, décomposé en différents ateliers et avec des thèmes pour chacun, est une bonne méthode. Puisque cela permet de rationaliser la démarche. Je suis satisfait. A la fin, tous les éléments qui touchent à l’organisation, aux structures des sociétés, à la fiscalité, seront traités. »
Les syndicats en observateurs
Comme les industriels, les syndicats de la mine ne participent pas à l’élaboration du schéma. Ils ont simplement été consultés. « Nous avons rencontré Anne Duthilleul vendredi, rapporte Milo Poaniewa. On lui a carrément posé la question, si on allait participer aux travaux. » La réponse a été négative.
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