Les 7 causes de la vie chère
Bon nombre de produits et de services affichent des niveaux de prix record. Une flambée des étiquettes que l’Usoenc compte dénoncer lors de trois marches programmées mi-mai. Les Nouvelles calédoniennes ouvrent aujourd’hui une série en quatre volets sur la vie chère. Premier sujet abordé : les causes.
Un avis ne souffre aucune contestation : la vie est chère sur le territoire. Rappelés dans le rapport « Nouvelle-Calédonie 2025 », coédité par le haut-commissariat et le gouvernement, deux indicateurs sont édifiants.
La collectivité calédonienne se situe entre le 2e et le 3e pays le plus cher au monde selon le classement par l’indice « Big Mac », en référence au produit de Mc Donald’s, intégrant dans son prix de multiples composants locaux (du coût du travail à l’énergie et l’alimentaire…).
En outre, une étude parlementaire de 2007 montrait un écart moyen de 73 % sur 47 articles dont les tarifs avaient pu faire l’objet d’une comparaison entre des hypermarchés de Dumbéa et de Montreuil, en Métropole. La plupart des produits consommés en Nouvelle-Calédonie sont importés, et cette dépendance a un coût. A l’heure où le débat est vif sur la flambée des étiquettes et sur les inégalités de revenus, Les Nouvelles calédoniennes ouvrent le premier de quatre volets sur la cherté de la vie, préoccupation N°1 des foyers et urgence des politiques.
Tour d’horizon des causes de ce phénomène.
1 - L’insularité
L’isolement géographique de l’archipel calédonien et l’éloignement de ses principaux fournisseurs (Métropole, Europe, Singapour…) pèsent sur les frais de transports. Frais éminemment tributaires des variations du cours du pétrole. Mais ce paramètre de l’insularité ne doit pas être surestimé, selon une étude, menée en 2009 par le cabinet Syndex, sur la vie chère : le coût de fret et des assurances représente en moyenne moins de 4 % de la valeur des importations. Néanmoins, « les Îles Loyauté paient trois fois le fret, calcule un économiste. De France vers la Calédonie. De la Grande Terre vers le port de l’île. Et du port vers le magasin. L’écart de prix devrait être, disons, de 10 % avec Nouméa. Pas le double comme c’est le cas parfois ». Idem pour la Brousse, dans un degré moindre.
En outre, la position de la Nouvelle-Calédonie sur le globe génère des coûts logistiques pour les entreprises locales, liés aux délais de livraison ou à la gestion de stocks, entre autres.
2 - La taille du marché
Une réalité : le territoire ne compte que 245 580 consommateurs. Comme le remarquait l’avis de l’Autorité de la concurrence en septembre 2009, « la petite taille des marchés des territoires d’outre-mer implique que, le plus souvent, la seule demande intérieure est insuffisante pour permettre aux entreprises locales d’atteindre une taille minimale optimale de production ».
Par ricochet, les coûts de production et l’investissement en sont affectés négativement. Bref, ce marché de faible taille « ne permet aux entreprises calédoniennes ni de bénéficier de prix d’achat avantageux à l’extérieur, ni d’économies d’échelle sur les prestations apportant localement de la valeur ajoutée », selon le rapport « Nouvelle-Calédonie 2025 ». Qui dit petit territoire, dit également peu de productions primaires (lait, sucre, céréales…), donc ultradépendance aux importations et aux fluctuations des cours.
3 - L’environnement économique
L’entreprise inscrit son activité dans un cadre onéreux qui, inévitablement, imprègne son rendement. En clair, pour les économistes ayant travaillé sur le rapport « Nouvelle-Calédonie 2025 », « le phénomène des prix élevés s’auto-entretient ». En effet, les sociétés « doivent, pour leurs fournitures locales, supporter un niveau de prix élevé ». Par exemple, « elles payent leur électricité bien plus cher que dans des pays continentaux » ainsi que le foncier, les emprunts ou la main-d’œuvre.
Par ailleurs, selon l’universitaire Gaël Lagadec, « les transferts de la Métropole, notamment à destination des fonctionnaires, donnent au territoire des capacités d’achat sans comparaison avec son importance économique ».
La répercussion de ce fort pouvoir d’achat sur les prix est souvent pointée du doigt par des politiques.
4 - Les marges
Les analyses du cabinet Syndex, commandées par le syndicat Usoenc, ont convergé « vers un même constat : la quasi-totalité des secteurs (d’activité) participe à la progression des marges observées, marges qui atteignent des taux nettement supérieurs à la Métropole. La structure oligopolistique des marchés est au cœur des explications ».
En clair, il y a beaucoup d’acheteurs et peu de vendeurs qui, de ce fait, mènent le bal.
Le commerce est particulièrement visé, le taux de marge corrigé — c’est-à-dire tenant compte de la rémunération — y est passé de 32, 5 % à 47, 5 % entre 1998 et 2006, avec un bond de 13 points entre 1998 et 2002.
De même, dans le secteur de la construction, le taux de profitabilité, qui oscille entre 6 % et 9 % en Métropole, se place autour de 22 % en Nouvelle-Calédonie. En résumé, « les marges sont donc non seulement très élevées, note Syndex, mais aussi en croissance année après année ». Face à cette problématique, des observateurs avaient parlé d’ « une véritable anomalie économique ».
Des exemples pris sur des produits non protégés — café soluble, shampoing, dentifrice… - avait affirmé le gouvernement Gomès il y a un an, montraient « que la marge prise par les importateurs et les distributeurs est supérieure au coût du produit importé TTC, coût qui comprend celui de la fabrication, la marge de la centrale d’achat, le coût du fret, les taxes et les coûts d’approche ».
5 - Les protections de marchés
Mesure destinée à protéger de la concurrence les entreprises industrielles et les activités agricoles calédoniennes, la protection de marché s’illustre de deux façons : une protection tarifaire avec, par exemple, des taxes spécifiques sur les importations concurrentes et des restrictions quantitatives sur une liste de produits. 365 lignes de la nomenclature douanière, soit une bonne part des articles fabriqués localement, sont soumises à une importation interdite ou limitée. Pour des économistes, ce dispositif sécurisant des emplois, participe néanmoins « partiellement » à la vie chère : en raison de divers facteurs économiques, ces entreprises locales ont un coût de production haut perché.
En outre, le manque de concurrence dans bon nombre d’activités ne facilite pas la compétitivité. D’après le rapport « Nouvelle-Calédonie 2025 », « le contexte peu concurrentiel, qui permet à certains acteurs économiques locaux, négociants ou industriels, de conserver des marges importantes malgré des prix de revient élevés, installe globalement l’économie calédonienne dans un certain « confort », qui se répercute sur les prix de revient en diminuant l’intérêt d’optimiser les dépenses ».
6 - Les inégalités de revenus
L’Autorité de la concurrence a observé cette tendance dans les départements d’outre-mer. Mais la logique peut très bien s’inscrire en Nouvelle-Calédonie.
« Les inégalités de revenus […] sont susceptibles d’influencer les politiques tarifaires des entreprises, indique l’avis publié en 2009. Sur des marchés où la concurrence est insuffisante, la différenciation de la demande entre d’une part, des consommateurs relativement pauvres et susceptibles de n’acheter que des produits à bas prix, et d’autre part, des consommateurs beaucoup plus aisés, dont la demande est relativement peu élastique au prix, conduit les entreprises à augmenter leurs prix. Le segment le moins aisé de la demande n’est en effet que très peu rentable, et les entreprises préfèrent donc se concentrer sur le segment le plus aisé, en compensant les moindres volumes associés à cette stratégie par des marges importantes par unité vendue ».
7 - Les taxes à l’importation
La fiscalité à l’entrée est « inutilement complexe » et « son poids est perçu comme excessif », a relevé l’expert Jean-Pierre Lieb lors de son examen de la fiscalité indirecte calédonienne, en décembre dernier.
Le taux moyen pondéré de prélèvements, toutes taxes à l’importation, y compris les droits de douane, s’élève en 2009 à 18, 8 %. Alors que la Communauté européenne affiche un ratio à 5, 5 %, l’Australie 9, 9 %, la Nouvelle-Zélande 10, 6 % … Cet empilement d’impositions a un effet pervers, selon les conclusions de l’Usoenc : « intervenant au début de la chaîne des échanges sur le territoire et étant non déductibles, les tarifs douaniers permettent à chaque opérateur d’appliquer son taux de marge sur des prix intégrant les tarifs douaniers et donc, finalement, de « marger » sur les taxes douanières ».
L’effet inflationniste de la mécanique est dénoncé et est particulièrement déploré en cas de flambée des cours sur le marché mondial.
Repères
Attention les dents
Un dentifrice de 75 ml était vendu en août dernier 450 F. Mais la structure tarifaire de ce produit importé était surprenante : son coût de revient HT était de 35 F ; les taxes 9 F ; et la marge grimpait à 406 F. Soit un taux de 90 %. Idem avec un shampoing aux œufs de 400 ml trouvé en rayons à 585 F : la marge appliquée était de 83 %.
Ma Porsche d’entreprise
D’après le rapport « Nouvelle-Calédonie 2025 », « environ 40 % des Porsche Cayenne achetées sur le territoire l’ont été par des personnes morales, et sont donc utilisées comme véhicules de fonction ». Les « frais généraux » sont de fait élevés. Les sociétés concernées mènent donc une gestion interne critiquable.
Une enquête bientôt publiée
Menée notamment par l’Institut de la statistique et des études économiques, l’Isee, une enquête comparant les prix pratiqués en Métropole et en Nouvelle-Calédonie sur des produits identiques verra ses résultats publiés autour du mois de juin. La collecte des informations s’est opérée sur le territoire entre les mois de mars et septembre derniers. Les étiquettes d’environ 3 000 types d’article ont été observées. Les investigations ont déjà été poursuivies à Tahiti. Conclusion, en mars 2010, les prix étaient 26 % plus élevés en Polynésie française qu’en France métropolitaine.
Une thématique, quatre volets
Les Nouvelles calédoniennes se penchent sur la problématique de la vie chère, jusqu’à la mi-mai : après les causes, seront traités le bilan des politiques publiques le 29 avril, puis les pistes pour sortir de la spirale infernale, le 6 mai, et enfin les bons plans pour atténuer l’impact de la flambée, le 14 mai.
« Les marges, c’est là où il y a le plus d’abus »
Questions à... Michel Davarend, président de l’UFC-Que choisir.
- Les Nouvelles calédoniennes : La spirale des prix élevés sur le territoire poursuit-elle son ascension ?
Michel Davarend : Les prix sont élevés en Calédonie. Je parlerai même de vie très chère. Certes nous sommes sur une île. Mais la comparaison avec les prix de Métropole est saisissante : on peut aller jusqu’à 100 %, voire 146 %, pour un produit identique. C’est énorme. Nous sommes parmi les territoires d’outre-mer les plus chers, et ce, depuis de nombreuses années. Nous faisons, depuis deux ans, un panier : de septembre 2009 à septembre 2010, une augmentation de 5 % a été relevée ; et de mars 2010 à mars 2011, l’indice est de +2,4 %. Les prix ne diminuent pas. C’est toujours la valse des étiquettes.
- Pour vous, quelle est ou quelles sont les causes principales du phénomène ?
On parle souvent d’une : les marges. Je pense que c’est là où il y a le plus d’abus. Et pas uniquement dans la grande distribution. Il y a d’autres domaines concernés : les produits industriels, ou encore les prestations de service, c’est vraiment scandaleux. Ce n’est pas là un problème de petit marché. On est en quasi monopole ou en duopole, et on fait donc ce que l’on veut puisqu’il n’y a pas de réglementations. Or c’est la concurrence qui régule les prix. Mais sur une île, il n’y en a pas ou peu. Le consommateur doit donc choisir le produit en fonction de ses moyens, et de ses besoins.
- Le territoire qui est en pleine phase de mutation, importe une variété de plus en plus vaste de produits. Les prix sont élevés, puisque ce sont des petits volumes. La Calédonie est-elle donc condamnée à être chère ?
On ne peut pas avoir tous les produits présentés en Métropole. Et vice versa, avec les productions d’ananas ou de papayes ! On peut importer des produits de l’extérieur, évidemment ils vont être plus chers, surtout dans les produits frais.
Ceux qui ont les salaires pour acheter, tant mieux. Faut-il encore que les produits locaux ne soient pas plus chers que ceux à l’importation. Il y a, je pense, une réforme à mener sur les protections de marchés : il faut à un moment donné savoir rendre compte à ceux qui vous donnent des avantages.
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