Pierre Bretegnier : « Le rééquilibrage a échoué »
Les Nouvelles Calédoniennes. Publié le vendredi 06 janvier 2012 à 03H00
- Vous êtes de plus en plus critique envers les provinces Nord et Îles. Pourquoi ?
Pierre Bretegnier : Ce que je ressens depuis des années se confirme par des chiffres. Le cabinet d’experts indépendants chargé de faire un bilan des accords a mis en évidence que, depuis vingt-deux ans, plus de 250 milliards ont été transférés du sud vers le Nord et les Îles. Mais surtout, ils ont constaté que ces sommes n’ont pas eu d’effet multiplicateur. Elles n’ont pas servi au développement de l’économie et à la création d’emplois dans ces deux provinces. Ils ont même constaté un effet diviseur, ce qui est rarissime. Il y a donc un problème de politique économique et sociale dans ces provinces. Le rééquilibrage a échoué en dépit des sommes énormes qui y ont été consacrées. La conséquence de cet échec, c’est que les gens ont quitté ces provinces pour s’installer dans le Sud, où les aides sociales sont plus généreuses, les services publics plus nombreux et plus efficaces, et l’accès à l’emploi plus facile.
- Qu’est-ce que vous entendez par effet multiplicateur ?
Quand vous investissez de l’argent, en création d’entreprise ou en revenu, vous créez une dynamique économique, de la consommation, et donc un phénomène de création de richesse. A condition qu’il soit bien employé.
- Vous réclamez depuis longtemps une modification de la clé de répartition budgétaire au profit du Sud. Pourtant, ce n’est pas en rabotant les finances du Nord et des Îles que l’on va améliorer le rééquilibrage…
La modification de la clé de répartition fera vraisemblablement l’objet de discussions lors du prochain Comité des signataires. Mais il faut bien comprendre que la province Sud est, elle aussi, victime de l’échec du rééquilibrage. C’est à cause de cet échec que beaucoup d’habitants des Îles et du Nord sont venus s’installer dans le Grand Nouméa. Et c’est à cause de cet afflux de population que la province Sud est en difficulté budgétaire. Elle doit ouvrir de nouvelles écoles, recruter de nouveaux enseignants, quand les deux autres collectivités en ferment, paient moins d’aides sociales, moins d’aides médicales, tout en conservant les mêmes recettes.
- Vous laissez donc entendre que les élus du Nord et des Îles ont mal fait leur travail. C’est de la provocation ?
C’est peut-être provocateur, mais il faut bien que quelqu’un dise les choses. Depuis 1988 et les accords de Matignon, ces deux provinces ont reçu beaucoup d’argent de l’extérieur. En fait, 90 % de leurs budgets proviennent des contribuables métropolitains et de ceux de la province Sud [où est collecté 90 % de l’impôt sur le revenu].
Malgré ça, l’exode a continué. Ce serait faire injure aux élus du Nord et des Îles que de faire semblant de penser qu’ils n’ont aucune responsabilité
dans l’échec du rééquilibrage économique. Au lieu de financer le développement et de mettre les aides sociales au niveau du Sud, ils ont thésaurisé. Ils ont confisqué l’argent à l’économie. D’où la situation actuelle.
- Les migrations vers le Sud ne viennent pas que du Nord et des Îles. Elles viennent aussi de l’extérieur, ce que dénoncent les indépendantistes.
Je distingue deux formes d’immigration du point de vue économique. Celle de Métropolitains qui viennent entreprendre et souvent créer des richesses et des emplois. Et puis celle en provenance des régions pauvres de Calédonie, mais aussi de Wallis et, de plus en plus, de Polynésie. Ces populations-là, il faut les aider, et nous en avons de moins en moins les moyens.
- A propos de Wallis-et-Futuna, vous développez une idée, a priori curieuse : en faire une province calédonienne. Pourquoi ?
Regardons les choses en face. L’Etat français s’est désintéressé du développement économique de Wallis-et-Futuna. Il s’est défaussé sur la Calédonie. Résultat, les deux îles se vident de leur population qui, en raison des liens historiques qui existent avec notre territoire, vient s’installer majoritairement ici, et surtout dans le Sud. Aujourd’hui l’imbrication est telle que Wallis pourrait devenir la quatrième province de la Nouvelle-Calédonie, voire faire partie de la province Sud. Cela nous permettrait d’organiser nous-mêmes nos relations et ce serait profitable à l’économie.
- Où en est la création d’un fonds souverain pour épargner les revenus du nickel ?
On y travaille avec le schéma industriel et métallurgique. Et c’est de plus en plus urgent. Contrairement à ce que certains économistes ont voulu faire croire ces dernières années, une étude de l’IEOM en cours est en train de démontrer que l’ensemble de notre économie, notre PIB, est étroitement lié au cours du nickel. Les autres secteurs sont indirectement financés par le nickel. Et avec trois usines, cette dépendance va s’amplifier. Les pics seront plus élevés, et les creux seront plus bas.
D’où l’urgence de se doterd’un outil qui atténuera ces phénomènes et épargnera pour les générations futures. Il faut bien voir que nous sommes en face de géants. Une multinationale comme Vale emploie 126 000 personnes dans le monde. C’est le double du nombre de salariés du secteur privé en Calédonie.
Il nous faut aussi développer d’autres secteurs comme le tourisme, l’aquaculture, la sylviculture et la pêche pour être un peu moins dépendants du nickel, qui ne sera pas éternel.
- Clé de répartition, statut de Wallis, immigration « positive »... Vous cherchez à braquer les indépendantistes ?
Non. Mais on ne dialogue pas utilement sans se dire quelques vérités pas toujours agréables. C’est l’Etat et la province Sud qui font largement vivre les deux autres provinces. Leurs dirigeants doivent sortir de la logique de « victimes de la colonisation » et se prendre d’avantage en charge. François Mitterrand disait qu’en Calédonie, ceux qui veulent l’indépendance ne peuvent pas l’assumer, et que ceux qui pourraient l’assumer n’en veulent pas. C’est toujours vrai. D’où la nécessité de trouver une solution partagée. Nous sommes liés par le destin commun.
- Et cette solution passe selon vous par le renforcement du rôle des provinces ?
Depuis les accords de Matignon, toute notre architecture institutionnelle est bâtie sur l’existence de trois provinces, dont deux à majorité indépendantiste, ce qui a permis aux Mélanésiens, bien que minoritaires, de partager la souveraineté et l‘exercice du pouvoir. Aujourd’hui il y a toujours des incompréhensions et les écarts de développement se sont creusés. Le gouvernement prend de l’importance avec les transferts de compétences. Mais il ne faut surtout pas renoncer au socle provincial qui est la base du destin commun et du partage de la souveraineté entre légitimités. D’où l’intérêt de la proposition de Pierre Frogier de recréer une structure de dialogue interprovinciale.
- Pierre Frogier a bousculé beaucoup de choses depuis deux ans. N’est-ce pas sans risque pour votre formation et pour le pays ?
Je crois que Pierre Frogier a pris beaucoup de poids et de maturité politique ces dernières années. Il a développé des idées novatrices comme le double drapeau, la rénovation des squats, le schéma minier. Il entretient des contacts avec les plus hautes personnalités comme en témoigne son audience chez le pape. Il a tissé des réseaux multiples en Calédonie. En cela, il se pose comme l’héritier politique de Jacques Lafleur.
Propos recueillis par Philippe Frédière
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