Pierre Frogier veut rouvrir le débat sur le corps électoral
L’urgence d’un schéma industriel, la moralisation de la vie publique, la question du corps électoral et l’entente républicaine ont fait partie des thèmes évoqués par le patron du Rump avant son départ vers la Métropole.
Le patron du Rump, député de la deuxième circonscription et président de la province Sud, veut profiter de l’ouverture des discussions sur l’avenir institutionnel de la Calédonie pour remettre sur la table la question du corps électoral gelé. C’est l’un des thèmes qu’il a évoqués lors d’une rencontre avec la presse jeudi soir, alors qu’il s’apprêtait à partir à Paris pour participer à la session parlementaire. Au cours de cette longue intervention, Pierre Frogier a évoqué les principaux sujets politiques, économiques et sociaux calédoniens du moment. Il a annoncé la tenue d’un congrès du Rassemblement le 23 octobre prochain. Lui seront soumis les grandes orientations définies lors du dernier comité des signataires, (bilan de l’accord, ouverture des discussions pour l’après 2014, schéma métallurgique) et les décisions prises lors de cette réunion « vaudront feuille de route » pour la formation qu’il dirige.
- L’ouverture des discussions
Pierre Frogier reste fidèle à sa volonté d’amorcer très vite les discussions préalables à la sortie de l’accord et à la préparation d’une solution institutionnelle « novatrice et durable ». « En 1998, nous avons préparé l’accord de Nouméa dans la précipitation. D’où certaines incompréhensions notamment sur le corps électoral. Il ne faut surtout pas répéter la même erreur pour la période 2014-2018. D’où la nécessité de se mettre dès maintenant au travail. Et la reconnaissance mutuelle des deux drapeaux va nous y aider. Nous devons parler dès maintenant parce que la sortie de l’accord de Nouméa, c’est un ou plusieurs référendums auxquels il faudra répondre oui ou non à l’indépendance. Si c’est oui, on sait à quoi s’en tenir. Mais si c’est non, l’hypothèse la plus probable, on ne sait pas. L’accord ne prévoit rien, et les vaincus se sentiront floués. C’est pourquoi nous devons trouver une alternative au non. Il nous faut élaborer une solution institutionnelle susceptible d’emporter l’adhésion des indépendantistes. Ce ne sera pas une solution idéale, ça n’existe pas. Mais il faut que ce soit une solution durable garantie par la Constitution française. »
- Le corps électoral gelé
Pierre Frogier compte relancer la discussion sur le corps électoral glissant. «
Le corps social calédonien ne pourra pas supporter durablement
l’exclusion de 20 000 électeurs, qui sont loin d’être tous des
“ Zoreilles “. Le corps référendaire restreint n’est pas en cause. Nous
l’avons accepté et signé. Il faudra avoir 20 ans de résidence à la date
de la consultation, qu’elle ait lieu en 2014 ou en 2018. »
Mais
ensuite ? Que le choix se porte vers l’indépendance ou vers une solution
aux confins de l’autonomie, il faudra bien selon Pierre Frogier
réexaminer la question des exclus. « D’autant que le corps gelé
n’était initialement pas prévu par l’accord de Nouméa que nous avons
voté. Sinon, il n’aurait pas été besoin d’une modification de la
Constitution pour l’instaurer. » Bref, si la question peut attendre
un temps, elle ne peut pas rester indéfiniment en l’état, faute de quoi
se créerait un pays avec deux catégories de citoyens.
- Le schéma industriel
C’est le sujet le plus stratégique, selon Pierre Frogier, pour
l’avenir de la Calédonie. Plus encore que la question de l’indépendance à
laquelle il ne croit pas. « Anne Duthilleul viendra début octobre
pour le premier comité mines et métallurgie acté par le dernier comité
des signataires. Nous avons le devoir de rationaliser l’exploitation de
nos richesses minières pour nous assurer un développement durable. Cette
affaire a une telle importance pour l’avenir de la Calédonie qu’on ne
peut pas s’en remettre au seul jeu de la concurrence entre opérateurs.
Il faut bien comprendre qu’au cours des cent dernières années, on n’a
fait que de la collecte. Dans dix ans, nous produirons 200 000 tonnes de
nickel métal et nous susciterons bien des convoitises dans le monde de
la part de géants industriels. Nous devons nous doter d’outils de
régulation. »
Le patron du Rump entrevoit déjà un exemple concret. «
On sait maintenant que les 51 % de participation calédonienne à l’usine
du Nord sont financées par les fournitures de la SMSP à Posco. Or on
s’aperçoit que la SMSP n’arrivera sans doute pas seule à approvisionner
l’industriel coréen. Ses concurrents ne sont pas forcément disposés à
l’y aider. C’est donc à la puissance publique d’envisager une approche
plus globale. »
Autre exemple. « Avec un tel schéma, nous
aurions pu penser autrement la question des centrales électriques. Au
lieu d’en faire trois, dans le grand Sud, à Doniambo et dans le Nord, ne
fallait-il pas en programmer une seule, plus puissante et permettant
des économies d’échelle significatives ? »
- L’entente républicaine et les désaccords avec Philippe Gomès
« L’entente continue à vivre. Il s’agit d’assurer la stabilité de nos institutions et nous y parvenons. Mais il est clair que la confiance est émoussée. Au lendemain des élections de 2009, j’avais dit à Philippe Gomès que je faisais mon affaire des échéances politiques préparant la sortie de l’accord. Et je l’ai tenu informé, ainsi que Paul Néaoutyine et Charles Pidjot, de toutes les propositions que j’allais faire publiquement : sur les confins de l’autonomie, sur les deux drapeaux, sur l’ouverture des discussions. En janvier, Philippe Gomès est allé à Paris pour critiquer mes propositions. Ensuite j’ai réalisé que les deux vice-présidents Calédonie ensemble de la province Sud continuaient à gérer leurs domaines de compétence comme sous l’ancienne mandature. La province Sud était coupée en deux. Ça ne correspondait pas au compromis sur lequel nous nous étions entendus et j’en ai tiré les conséquences. La confiance est entamée. Elle peut revenir, mais je serai beaucoup plus méfiant. »
- Les rumeurs de dévaluation du CFP
(Soupir d’exaspération). « C’est une question qui n’a jamais été d’actualité et qui ne correspond à aucune logique économique. Mais la rumeur revient de façon récurrente en Nouvelle Calédonie, alimentée par je ne sais quel fantasme. Je relève que cette question n’est jamais évoquée chez nos voisins de Polynésie. Elle ne leur vient même pas à l’esprit. Il faut bien comprendre que le franc CFP est un sous-compte de l’euro. Toutes les transactions importantes, tous les transferts, se font en euros et nous sommes solidement arrimés à la monnaie européenne. On ne peut pas faire de parallèle avec la dévaluation du franc CFA en Afrique. Il s’agissait d’États indépendants dont l’économie périclitait, et la France a cessé de garantir le taux de change de leur monnaie. Nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. »
- Les affaires et les perquisitions
« La justice s’intéresse au fonctionnement de certains organismes dont les conseils d’administration sont présidés par des élus. Nous, dans le cadre de la moralisation de la vie publique, nous devons réfléchir à mieux compartimenter les choses et les mandats, et renforcer les systèmes de contrôle. Autrefois, ces organismes étaient contrôlés par le haut-commissaire. Les évolutions institutionnelles de 1988 et 1998 les ont fait passer sous le contrôle des politiques locaux. On n’a pas pris alors la mesure du danger que ça représentait. Danger qui sera infiniment plus grand dans dix ans quand nous serons un gros producteur de nickel. Je considère qu’un président de province ne peut plus être en même temps président d’un organisme comme la SIC. »
- Le conflit d’Unia
« Je déplore que la Ligue des droits de l’homme n’ait pris aucune position sur ce sujet et je m’interroge. Est-ce que les victimes de ces conflits ne sont pas des hommes à part entière ? Est-ce qu’il vaut mieux s’intéresser aux droits de l’homme bafoués à l’autre bout du monde que chez nous ? »
Propos recueillis par Philippe Frédière
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