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Sauver le patrimoine kanak

Les Nouvelles Calédoniennes. Publié le lundi 21 mai 2012 à 03H00

Début mars, l’ADCK a ouvert une antenne à Koné. Trois coordinateurs en poste assurent la transmission de la culture kanak aux générations futures, dans un contexte où une partie de la jeunesse s’en désintéresse.

Les collecteurs portent une oreille attentive aux vieux qui voient ainsi leurs connaissances sauvegardées.

 

La collecte du patrimoine culturel dans les trois aires coutumières de la province Nord n’est pas une nouveauté. Néanmoins, depuis le début du mois de mars, l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK) a ouvert une antenne à Koné afin de renforcer son travail dans la région.
Trois coordinateurs, à la tête d’une quinzaine de collecteurs, parcourent les routes du Nord pour récolter auprès des vieux les savoirs traditionnels. Si, dans certains districts coutumiers, ce travail vient seulement en appui d’une transmission traditionnelle du patrimoine oral entre les générations, dans d’autres, les collecteurs sont perçus comme les rares oreilles attentives aux discours des vieux.

Généalogie. « À Voh, il est aujourd’hui plus facile de parler de mécanique, de pelle hydraulique ou d’engin articulé que de fabrication de monnaie kanak. Ils ont basculé dans un autre système de pensée, déplore Alexandre Tevesou, le coordinateur de l’aire Hoot ma Whaap. Maintenant, on arrive plus facilement à intéresser un Picard avec ces histoires » , ironise-t-il.
L’oreille attentive que lui et les collecteurs portent à la parole des vieux est donc essentielle pour la conservation de ce patrimoine. « Ils nous racontent leur généalogie, transmettent des secrets autour des plantes médicinales par exemple, nous parlent des danses, des contes, des guerres de 1858 et 1917, du chemin des morts. » Toutes ces choses qui, grâce aux collectes, ne mourront donc pas avec ces vieux, et qui permettront aux générations futures de mieux comprendre leur culture. En effet, l’ensemble de ces récits prend ensuite le chemin des archives de la médiathèque du Centre culturel Tjibaou.
Cette démarche apparaît d’autant plus essentielle que le coordinateur remarque d’ores et déjà une perte de savoir dans certaines régions où, selon Alexandre Tevesou, la modernité ou la religion catholique sont très présentes.
« J’ai participé à deux fêtes de l’igname. Une à Voh et l’autre à Pouébo, raconte le coordinateur. La première était très simple alors que la seconde était encore très ritualisée. » Il déplore aussi la quasi-disparition des planteurs d’ignames : « à Gatope, il ne reste que deux vieux qui plantent mais avec des méthodes modernes. A certains endroits, je ne peux même pas demander le nom d’une variété d’igname, les gens ne les connaissent plus, ils ne savent plus les périodes de plantation », pointe-t-il.

Lexique. Enfin, ce travail, outre l’aspect historique, permet de donner une chance aux langues vernaculaires de survivre. « Lorsqu’on arrive dans un nouvel endroit, on met en place un lexique qui nous permet ensuite d’écrire le témoignage et de conserver ainsi la langue » , explique le coordinateur.
Toutes ces données récoltées ne font pas encore l’objet de recherches scientifiques. Mais l’essentiel est d’abord de pouvoir les conserver pour permettre aux générations futures d’avoir une chance de mieux comprendre leur culture et leur histoire. « C’est très important, pour sortir de certains a priori, comme par exemple autour de la guerre de 1917. Tous ces récits permettent de poser les choses pour en parler plus librement et ensuite en guérir », conclut-il.
 

Retransmission en direct

Outre le travail de collecte, l’ADCK prend également le rôle de transmetteur. En ouvrant une antenne à Koné, elle permet aux coordinateurs en place d’être plus proches de la population et d’engager davantage d’actions. Les connaissances acquises, qui ne sont pas classées confidentielles *, peuvent alors faire l’objet de transmission. Ainsi, les coordinateurs se rendent dans les établissements scolaires, les centres culturels. « On est également en cours de création d’outils pédagogiques autour des langues, en collaboration avec la province Nord, à destination des élèves », souligne Alexandre Tevesou. Cette antenne a également vocation à intervenir lors d’événements culturels. Elle appuie la mise en place de la programmation avec son œil d’expert de la tradition comme c’est le cas ce week-end, pour le festival de danses, musiques et chants, organisé à Vieux-Touho. « À l’écomusée du café, on va les aider à mettre en place une parcelle d’ignames. Un outil qui va permettre de transmettre le savoir-faire, poursuit le coordinateur, on les accompagne également sur le côté coutumier, on leur montre comment faire les choses. » Un vecteur de tradition qui combat l’oubli.

(*) Cinq niveaux de confidentialité ont été définis dans l’archivage des données récoltées. Certains récits ne seront consultables que 70 ans après le décès de la personne-ressource. C’est cette dernière qui définit le niveau de confidentialité de son récit.

Marjorie Bernard



20/05/2012
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