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Sept exemples d’une Europe utile

Article glané dans Libération, 11/05/2009 à 06h51

BRUXELLES (UE), JEAN QUATREMER

Des élections européennes ? Quand ça ? Une campagne électorale ? Où ça ? Voilà trente ans que le problème se pose tous les cinq ans : le scrutin européen ne suscite aucun enthousiasme chez les électeurs, guère encouragés par les partis à s’y intéresser davantage. Le vote du 7 juin, dans moins d’un mois donc, n’est pas parti pour échapper à cette règle. «C’est dur. La campagne ne suscite aucun intérêt particulier», confiait hier un député européen socialiste. En 1979, année où le Parlement européen était pour la première fois élu au suffrage universel direct, il fallait une forte conviction européenne pour aller voter. Le Parlement n’avait alors quasiment aucune compétence. Mais au fil des traités, il a acquis des pouvoirs considérables que nombre de citoyens malheureusement ignorent. Libération a choisi sept dossiers emblématiques de la législature 2004-2009 pour illustrer les enjeux d’un scrutin qui mérite mieux qu’une non-campagne.

1. La libre circulation des services
Le «plombier polonais», cet épouvantail agité par les tenants du non lors de la campagne référendaire de 2005 sur le traité constitutionnel européen, ne débarquera pas en France à des tarifs polonais : la directive «services», totalement réécrite par le Parlement européen en 2006, a clairement écarté cette possibilité. En supprimant le contesté «principe du pays d’origine» (PPO) - qui aurait permis au prestataire de services se rendant dans un pays tiers pour une mission de courte durée et sans intention de s’y installer, de rester soumis à la loi du pays dans lequel il est établi -, le Parlement affirme clairement qu’il devra respecter le salaire minimum et toutes les lois sociales du pays d’accueil. Au départ, ce n’était pas évident. La proposition, rédigée par Frits Bolkestein, commissaire chargé du Marché intérieur entre 1999 et 2004, était si mal rédigée qu’elle a alimenté toutes les craintes. Mais son but reste le même : supprimer entre les Etats membres les obstacles juridiques et administratifs à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services. Donc, si une entreprise est autorisée dans son pays à exercer son activité, elle pourra proposer ses services dans l’ensemble de l’Union sans qu’on puisse lui opposer une quelconque réglementation nationale. Un guide touristique britannique pourra faire visiter l’Acropole à un groupe qu’il accompagne depuis Londres même s’il ne parle pas grec, ce qu’il ne peut pas faire aujourd’hui. Mais certains services restent exclus de la directive, comme les services publics.

2. les produits chimiques sous haute surveillance
Bientôt, on saura précisément quels produits chimiques entrent dans la composition des biens de consommation courants et s’ils sont sans danger. La directive Reach, adoptée en 2006 et sans équivalent dans le monde, oblige en effet les fabricants à enregistrer et à démontrer l’innocuité des substances chimiques produites ou importées en quantité supérieure à une tonne par an. 30 000 produits sont concernés. Le rôle du Parlement, dans l’adoption de ce texte, a été essentiel : alors que le Conseil des ministres avait cédé énormément de terrain face au lobbying des géants du secteur, tel BASF, il a volé au secours du texte et soutenu la Commission. Si au départ plus de 100 000 produits étaient visés, même les Verts concèdent que l’essentiel a été préservé. Car il ne s’agit que d’un premier pas. Les industriels l’ont compris, eux qui jouissaient jusque-là d’une totale liberté : ils ont découvert qu’il est moins facile de faire pression sur le Parlement que sur un Etat isolé…

3. Le temps de travail mieux encadré
Travailler plus de 48 heures par semaine, jusqu’à 65 heures, ça n’est pas possible en France, mais ça l’est en Allemagne, en Grande-Bretagne et ailleurs. Le Parlement européen a estimé que ce moyenâgeux temps de travail devait être interdit dans l’Union, même si le salarié donnait son accord. Mais la Commission voulait graver dans le marbre la possibilité d’aller au-delà des 48 heures, la durée maximale pourtant prévue par une convention de l’Organisation internationale du travail. Elle proposait de mieux encadrer les dérogations à la durée légale (ou opt out) prévues dans une vieille directive de 1993, mais le Parlement a estimé qu’il s’agissait d’une politique du pire : pour l’Europarlement, c’est 48 heures maximum. La Grande-Bretagne, l’Allemagne et les pays de l’Est ne l’ont pas entendu de cette oreille. Faute d’accord, la directive a donc été enterrée le 28 avril. Au passage, la Commission voulait aussi profiter de la révision de la directive de 1993 pour n’assimiler le temps de garde (des médecins ou des pompiers, par exemple) au temps de travail que s’il était «actif». Bref, si l’opt out reste en vigueur dans les pays qui le pratiquent, le temps de garde, lui, reste du travail : tous les États, et ils sont nombreux, qui estiment que le temps de garde n’est pas du temps de travail vont être poursuivis devant la Cour de justice. Le Parlement n’a pas gagné mais il a donné un clair signal politique.

4. Les marchés financiers enfin réglementés
Le Parlement voulait réglementer les marchés depuis longtemps, ce qui aurait peut-être limité la crise actuelle. Mais, faute de droit d’initiative, il n’a pu obliger la Commission à agir. Le 1er octobre 2008, Charlie McCreevy, commissaire chargé du Marché intérieur, expliquait encore, en pleine tempête bancaire, que «ce n’est pas le manque de réglementation qui est à l’origine de la crise financière». Le Parlement ayant haussé le ton, José Manuel Durao Barroso, le président de la Commission, sentant que sa réélection en juillet était en train de se jouer, a finalement décidé de créer un groupe de travail sur la surveillance financière, dont il a repris à son compte les conclusions. De même, il a accepté de présenter une proposition de directive censée encadrer l’activité des fonds spéculatifs : le Parlement a déjà prévenu qu’il allait la durcir.

5. Le «paquet télécoms» et la loi Hadopi
La coupure d’Internet en cas de téléchargement illégal ne sera peut-être pas possible en France grâce au Parlement européen, qui exige au minimum une décision judiciaire. Celui-ci s’est invité dans un débat qui, au départ, ne le concernait pas. Lorsque la Commission a proposé son «paquet télécoms» en 2008 (adaptation de cinq directives techniques existantes), aucune disposition ne visait la possibilité ou non de couper l’accès au Net. Mais les manœuvres de la France, qui a tenté de glisser, lors des discussions en Conseil des ministres, une disposition validant par avance son projet de loi dite Hadopi, ont poussé les eurodéputés à intervenir. En septembre 2008, 88 % d’entre eux ont adopté l’amendement déposé par le socialiste français Guy Bono exigeant l’intervention d’une autorité judiciaire avant toute coupure. Le Conseil des ministres, sur pression de Paris, a refusé de valider l’amendement. En seconde lecture, le 6 mai, par 407 voix contre 57 et 171 abstentions, le Parlement l’a réintroduit. Si le Conseil et le Parlement ne parviennent pas à un compromis, le «paquet télécoms» sera enterré et la loi Hadopi validée. Mais les intérêts financiers en jeu sont énormes et seul Paris a fait de cette affaire une question de principe. En clair, Hadopi risque d’être sacrifiée par les Vingt-Sept pour complaire au Parlement.

6. La sécurité maritime renforcée
Les marées noires vont coûter de plus en plus cher aux pétroliers. La Commission a profité du naufrage de l’Erika, en 1999, pour forcer la main des Etats et faire adopter une série de textes renforçant la sécurité maritime. Mais avec le temps, la volonté politique des États membres s’est quelque peu érodée et les pétroliers ont repris du poil de la bête. Ainsi, 22 États sur 27 ont fait savoir qu’ils ne voulaient même pas discuter de deux des sept textes du «paquet Erika III», l’un luttant contre les pavillons de complaisance, l’autre obligeant les armateurs à s’assurer aux tiers pour les dégâts qu’ils commettent. Le Parlement s’est fâché : il a réintroduit la totalité des deux projets recalés par le Conseil des ministres qui, par crainte de la réaction des opinions publiques, a finalement accepté l’ensemble des sept textes d’Erika III que le Parlement a pu voter le mois dernier.

7. Téléphoner de l’étranger avec un portable
Téléphoner ou envoyer un SMS de l’étranger avec son portable coûtera de moins en moins cher. Depuis plusieurs années, le Parlement européen croise le fer avec les opérateurs de téléphonie mobile qui surtaxent l’usage du GSM lorsqu’il est utilisé dans un autre pays. En avril, il a durci la proposition de règlement de la Commission plafonnant le prix de l’itinérance (roaming) : à partir de juillet, le prix d’un SMS envoyé de l’étranger ne pourra dépasser 11 centimes (hors TVA), soit une baisse qui pourra atteindre 80 % dans certains cas. À la même date, les tarifs pratiqués lors de téléchargement de données ou de recherche sur le web à partir d’un GSM seront plafonnés à 1 € par mégabit téléchargé avant de passer à 50 centimes. En juillet 2010, les messageries vocales consultées de l’étranger seront gratuites. Et les prix des appels passés d’un autre pays, plafonné une première fois en 2007, passeront progressivement d’ici à juillet 2011 à 35 centimes par minute et 11 centimes pour les appels reçus (hors TVA). Les factures des grands voyageurs vont être divisées par trois ou quatre…



11/05/2009
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