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Campus Paris Saclay : ratage en vue ?

Libération, Par Sylvestre Huet, le 31 janvier 2011.


Le campus Paris-Saclay –«gigantesque », selon Nicolas Sarkozy – peut-il être un ratage de même ampleur?

C’est le risque de l’opération phare qui concentre, selon le mot d’Alain Fuchs, le PDG du CNRS «les forces et les faiblesses de l’enseignement supérieur et de la recherche française». Les forces? Déjà 15% du potentiel de recherche du CNRS est sur place. L’université Paris-Sud rivalise avec Pierre-et-Marie-Curie pour le titre de première université scientifique du pays. Ajoutez le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), plusieurs «Grandes Ecoles» prestigieuses déjà là (Polytechnique) ou devant y venir – ENS-Cachan, Paris-Tech (Agro et Mines) ou Centrale.

Des laboratoires d’entreprises déjà-là (Thalès) ou à venir (EDF). Et des équipements scientifiques de qualitémondiale comme le synchrotron Soleil,Neurospin (exploration du cerveau), des lasers de puissance… Les faiblesses? «la dispersion et la multiplicité des 23 acteurs, la valorisation de la recherche», explique Fuchs. Une vision désormais classique des «problèmes» de la recherche et de l’enseignement supérieur. Sauf que, vu de l’Elysée, la solution du problème est simple: yaka. Il n’y a qu’à concentrer tout ça sur un espace géographique plus restreint. Et donner tout le pouvoir (et les sous) à une structure ad hoc, où ces gêneurs d’universitaires seront minoritaires.

Cette vision technocratique inspirée de l’Elysée se heurte à la dure réalité à la géographie, aux coûts et à un début de résistance universitaire. La géographie? Une part des forces du futur campus est déjà sur le plateau de Saclay. L’acteur majeur est tout près (moins éloigné que certains éléments du plateau), c’est le campus de l’université d’Orsay. Pas loin, on trouve le centre de Gif-sur-Yvette du CNRS. Plus loin, l’université de Versailles-Saint-Quentin. Doivent s’y ajouter des Ecoles venues de Paris ou de banlieue (ENS-Cachan). Une idée simple et efficace serait d’accueillir les nouveaux et de relier par des transports publics tous ces acteurs, réunis par des projets communs de formation, de recherche et de valorisation. Mais voilà, c’est trop simple, trop efficace, pas assez spectaculaire pour convaincre un pouvoir politique persuadé de «l’effet cantine». Vous savez bien, celui qui fait jaillir Microsoft et Google d’une conversation autour d’un plateau de sandwichs. Donc, un soir, l’université d’Orsay qui préparait la Dessin Libe Marie Céline Rey Campus Saclay rénovation nécessaire de son campus, apprend de la bouche de Christian Blanc (à l’époque secrétaire d’Etat en charge de l’opération) qu’elle devait déménager sur le plateau de Saclay.

Stupeur et consternation dans les labos. Car si Orsay est desservi par le RER B (qui a bien besoin d'une mise à niveau), le plateau de Saclay est un cauchemar de circulation routière. Avec quatre ronds-points où, soir et matin, des milliers de cerveaux peuvent, dans la solitude de leur voiture encalminée, concocter équations et calculs quantiques. La contestation est très vive sur cette question des transports. Au point d'avoir donné naissance à une association d'usagers. Valérie Pécresse, laministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, n’hésite pas à parler «d’un métro automatique et souterrain», pour desservir Saclay (France Inter, «la Tête au carré», lundi 17 janvier). Un truc à faire se lever au ciel les yeux d’Yves Langevin, directeur de l’Institut d’astrophysique spatiale. Il sort de son ordinateur un calendrier où l’on voit les premiers bâtiments de l’université monter sur le plateau dès 2015… alors que personne ne croît sérieusement à l’arrivée du métro à la date promise, soit 2020! Les coûts? Lorsque l’université a travaillé sur le prix d’une rénovation de son campus, le devis est monté à 1,3 milliard. Pour construire tout à neuf sur le plateau, un texte de la Fondation de coopération scientifique (FCS) qui sera le «réceptacle» des crédits de l’opération – avance «1 milliard», dans un flou total. Si on l’évoque devant Guy Couarraze, président de l’université Paris-Sud, il fait la moue. Et souligne qu’il faudra retirer du dit milliard au moins cent millions rien que pour l’achat des terrains et leur viabilisation Impasse sur les transports publics – décisifs pour l’accès des étudiants et une vraie vie de campus. Impasse sur un chiffrage réaliste du caprice présidentiel concernant le déménagement inutile de l’université. Mais impasse aussi sur la gouvernance du projet. Cette dernière a connu un premier échec en décembre 2010.

Lorsque l’université Paris- Sud a fait savoir qu’elle ne signerait pas les statuts de la FCS.Or, comme le souligne ironiquement son président, Guy Couarraze, «lorsque Paris-Sud tousse, le campus Paris- Saclay a la fièvre». Logique de l’adage: l’université représente plus de la moitié du futur campus. Elle pèse 27000 étudiants, 120 laboratoires mixtes avec les organismes de recherche (CNRS, Inra, Inria) où s’activent plus de 2500 universitaires, 3200 chercheurs, ingénieurs et techniciens, 2600 doctorants. Sans eux, le Campus de Saclay n’existe pas. Comment le faire contre eux? C’est à peu près ce que proposaient des statuts de la Fondation de coopération scientifique qui, dans un préambule, la désignait comme la «préfiguration» de la gouvernance future du campus. Alors qu’ils prévoient 11 voix sur 124 pour l’université dans son assemblée et 7 pour le CNRS Le refus de l’université a conduit à réécrire les statuts, minorant le rôle de la FCS. Derrière cet épisode, se profile le débat sur la nature du futur campus.

Sera-t-il de caractère «universitaire, donc avec tous les étudiants, tous les laboratoires, une démocratie collégiale, la liberté académique tout en faisant leur place aux grandes écoles et en favorisant de nouveaux liens, plus forts, avec les entreprises et l’économie ?» interroge Guy Couarraze. Ou l’université sera- t-elle marginalisée, comme la vision élyséenne l’envisage? En coulisses, le CNRS appuie la vision d’une université «confédérale » prônée par Guy Couarraze. Et si l’on garde un silence officiel sur le problème du déménagement de l’université, le propos privé est sans pitié pour la technocratie qui l’a enfanté.



31/01/2011
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