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Des papys et mamies de substitution

LE MONDE | 22.05.10 | 13h36  •  Mis à jour le 23.05.10 | 14h10

Le petit Evan, 3 ans, aime bien bricoler dans le jardin avec son papy Christian. Il adore aussi faire un câlin à sa mamy Françoise. Pourtant, tout ce petit monde se connaît depuis peu : c'est en juin 2009 que Christian et Françoise François ont commencé à correspondre avec Carole Folli, la maman d'Evan. Mère célibataire habitant à Ploemel, dans le Morbihan, et n'ayant que des liens distendus avec sa famille restée à Paris, elle avait expliqué, sur le site Supergrandparents.fr, qu'elle souhaitait trouver des grands-parents de substitution pour son petit garçon.

De leur côté, M. et Mme François, âgés respectivement de 66 et 70 ans, remariés tous les deux, et domiciliés loin de leurs petits-enfants, venaient de s'inscrire sur le site car " ça (leur) manquait de s'occuper d'un enfant". Ils ont décidé de répondre à Carole, qui habitait à quelques kilomètres de chez eux. "Nous nous sommes bien entendues et nous avons souhaité nous rencontrer assez vite, bien que ce soit déconseillé par le site", raconte Mme François. " Nous nous sommes vues pour la première fois à la capitainerie du port de La Trinité-sur-Mer, où travaille Carole, et nous sommes tombées dans les bras l'une de l'autre. Carole, désormais, c'est comme notre fille !", ajoute-t-elle, en faisant l'éloge de son sens des responsabilités et de son courage.

"Le dimanche suivant, nous avons rencontré Evan et son grand frère, Antoine, 15 ans", que Carole a eu d'une première union. "Ça s'est tout de suite bien passé avec Evan. Il ne voulait plus nous laisser partir. Depuis, on se téléphone tous les soirs, et on prend Evan un week-end par mois. Nous sommes tous très heureux de cette rencontre", assure Mme François qui juge le site Supergrandparents.fr "magnifique".

Carole, une brune discrète de 42 ans, partage sa satisfaction. "Depuis quelque temps, Evan appelait son grand frère "papa", ce qui me déplaisait beaucoup. Une semaine après la rencontre, il a cessé de le faire, ce qui a été le changement le plus remarquable, confie Carole. Avant, il était très agressif, il pouvait me taper, et la pédopsychiatre me disait qu'il m'en voulait, inconsciemment, de ne pas avoir "su retenir" son père, qui nous a quittés lorsqu'il avait 5 mois. Depuis qu'il a son papy et sa mamy, ça va beaucoup mieux. Christian joue un rôle masculin qui lui a sans doute manqué."

Mme François rappelle que son mari, un ancien militaire, ne transige pas avec l'autorité : "A la maison, par exemple, Evan n'a pas le droit de sauter sur le canapé. Quand il gronde, je suis la mamy qui console, alors que Carole doit jouer les deux rôles à la fois."

Comme Carole, de nombreuses mères seules sont inscrites sur Supergrandparents.fr : 35 %, selon Christelle Levasseur, sa fondatrice. Beaucoup cherchent, selon elle, "un papy qui prenne l'enfant par la main pour l'emmener à la pêche", "un modèle masculin". Or il n'y a que 5 % de grand-pères seuls, contre 47 % de grand-mères seules. A Paris notamment, aucun postulant au rôle de grand-père ne s'est plus inscrit depuis des mois.

C'est après une rupture avec ses propres parents que Christelle Levasseur, ancienne journaliste spécialisée dans l'informatique, et mère de quatre enfants, a eu l'idée de créer le site : "Depuis son lancement, en décembre 2007, il y a eu 10 400 inscrits en France, et nous recensons 850 rencontres durables, d'au moins trois mois." Néanmoins, la demande est plus forte que l'offre : 65 % de parents pour 35 % de grands-parents. Pour Samuel Lepastier, pédopsychiatre et psychanalyste, "la présence de grands-parents a l'intérêt de situer l'enfant dans une histoire : elle lui fait prendre conscience du fait que ses parents ont été enfants, eux aussi, et qu'il ne restera pas éternellement petit, mais qu'il grandira, à son tour".

Qu'en est-il des grands-parents de substitution trouvés sur un site de rencontres ? "Certes, ils ne connaissent pas l'histoire des parents, mais le fait qu'ils appartiennent à une génération antérieure à celle des parents permet aussi à l'enfant de se situer", estime le médecin, membre de la Société psychanalytique de Paris.

Pour que le lien fonctionne, toutefois, "il faut que la mère ou le père reconnaisse les grands-parents de substitution comme étant un peu ses parents, ce qui ne va pas de soi : que se passera-t-il si les grands-parents d'adoption empiètent un peu trop sur la vie privée d'une mère seule ? S'ils s'opposent sur l'éducation de l'enfant ?", s'interroge M. Lepastier. "Il se peut que, après l'enthousiasme initial - qui serait un équivalent de la "lune de miel" -, l'apparition des premières désillusions, inévitables dans toute histoire familiale, entraîne une rupture du lien", les membres d'une famille non liés par une histoire commune ayant "moins d'inhibition à exprimer leurs sentiments négatifs", note le pédopsychiatre.

Une crainte dont seule l'observation sur une longue période permettra de dire si elle est fondée.

Rafaële Rivais
Article paru dans l'édition du 23.05.10


23/05/2010
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