« Beaucoup d’idioties sont dites sur les drapeaux »
En pleine crise institutionnelle, Hamid Mokaddem propose, les 28 avril et 5 mai prochains, deux conférences « objectives », l’une sur la signification de l’accord de Nouméa, l’autre sur la symbolique des deux drapeaux.
- Les Nouvelles calédoniennes : Votre première conférence porte sur la « triple signification de l’accord de Nouméa ». Pourquoi ce choix ?
Hamid Mokaddem : Car très peu de gens connaissent l’accord. Je me suis aperçu qu’il existait un flottement quant à sa perception, et que ce flottement était délibéré. Peu de personnes savent que l’accord est un contrat social provisoire qui dure jusqu’en 2023 au plus tard. C’est-à-dire que ce qui est garanti par la constitution de la Ve République ne le sera plus à l’issue : le corps électoral, la citoyenneté, les compétences régaliennes... La définition du corps électoral est une exception qui prendra fin en même temps que l’accord.
- Qu’entendez-vous par « flottement délibéré » ?
Les trois signataires n’ont pas signé l’accord de Nouméa pour les mêmes raisons. L’accord scande notre quotidien, mais je crois qu’une bonne partie des gens n’ont pas lu de près les textes. L’accord provoque aujourd’hui des divisions et des conflits d’interprétations qui sont en fait contenus dans le texte, celui-ci étant un compromis. Il faut donc l’expliquer. Aujourd’hui, on empêche les gens de parler de politique. On réserve ces discussions à des « experts » et on raisonne uniquement autour de partis pris et de rapports de force. La Calédonie étant petite, toute analyse critique est prise comme une attaque personnelle. Or une analyse philosophique et anthropologique de l’accord de Nouméa est possible.
- Votre seconde conférence pose une question d’actualité : « Quel drapeau en commun ? » Là aussi, vous souhaitez corriger des erreurs ?
Je ne souhaitais pas intervenir sur le sujet. J’ai changé d’avis, au vu de la montée du racisme des deux côtés. Beaucoup d’idioties sont dites sur le drapeau kanak, qui n’est pas celui du FLNKS, puisqu’il a été créé avant la création du FLNKS. Suite à la table ronde de Nainville-les-Roches, en 1983, à laquelle avaient été conviés pour la première fois le Front indépendantiste, le parti centriste FNSC et le RPCR, une déclaration avait été faite pour reconnaître le droit inné et actif de l‘indépendance du peuple kanak, avec un passage sur les signes identitaires. C’est dans la foulée, au congrès de l’UC, qu’avait été créé le « drapeau du pays kanak ». Le FLNKS a été créé beaucoup plus tard, le 24 septembre 1984.
Le drapeau kanak a été levé, reconnu par les coutumiers. Il sera très difficile à baisser.
Le drapeau kanak a été levé, reconnu par les coutumiers. Il sera très difficile à baisser.
- Au-delà des conditions de sa création, le drapeau continue de symboliser, pour certains, les violences des Evénements...
En avril-mai 1988, le FLNKS a mené des actions symboliques pour s’emparer des fortins de gendarmerie, de façon à empêcher la sécurité des points de vote des élections, en cherchant à planter le drapeau Kanaky à la place du drapeau français. C’est ce geste qui a créé la psychose par rapport à ce drapeau. A l’époque, il s’agissait pour le FLNKS d’attirer le regard mondial sur la symbolique, pour revendiquer une souveraineté confisquée. L’accord de Nouméa a reconnu l’existence du désir de souveraineté du peuple kanak, avant la possible fondation d’une souveraineté partagée. Attention : l’accord parle bien d’un emblème identitaire, il ne dit pas qu’il représente cette souveraineté partagée. Aujourd’hui, le drapeau que certains associent au FLNKS est celui de l’identité kanak, que le peuple kanak veut partager avec les autres.
- Pensez-vous ce partage possible ?
De même qu’il faudra que le drapeau tricolore ne soit plus le drapeau colonial aux yeux des Kanak, le problème est de savoir si les Calédoniens sont capables de changer leur regard par rapport à ce drapeau, qui ne devra plus porter le nom de « kanak » ni de « Kanaky », mais celui de la Nouvelle-Calédonie (qui n’est pas obligée de changer de nom du pays). L’accord de Nouméa ne parle pas de drapeau commun, mais de drapeau choisi en commun, à la majorité des 3/5e du Congrès. L’action du « collectif pour un drapeau commun », qui demande la création d’un comité de réflexion, arrive trop tard. Il fallait le faire avant.
- Parmi ceux qui s’opposent au drapeau kanak comme signe identitaire, beaucoup souhaitent un drapeau qui soit plus représentatif de la diversité calédonienne. Que leur répondez-vous ?
Il est devenu impossible de créer un troisième drapeau. Le drapeau kanak a été levé, reconnu par les coutumiers. Il sera très difficile à baisser, au vu de l’histoire des mentalités. Dans le monde kanak, baisser quelque chose est perçu comme un affront. Revenir sur une parole donnée est une déclaration de guerre. Le travail est donc de faire en sorte que le drapeau kanak ne soit plus, aux yeux des Calédoniens, perçu comme le symbole des actions violentes. Le monde kanak n’est pas pour l’exclusion. Mais certains politiques ignorent sa capacité à englober l’exogène et à le faire sien.
Propos recueillis par Sylvain Amiotte
« La triple signification de l’accord de Nouméa », jeudi 28 avril à 18 heures à l’IFM-NC (Anse-Vata, face au collège Mariotti).« Quel drapeau en commun ? », jeudi 5 mai à 18 heures à l’IFM-NC.
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