Alcool prohibé : une galère nécessaire ?
Voilà
déjà plus de six mois que la vente d’alcool à emporter est interdite
après 16 heures le vendredi et le samedi dans les commerces de Nouméa.
Une mesure radicale prise par le haussaire face à la recrudescence de
la délinquance et des accidents liés à l’alcoolisation massive en fin
de semaine.
Cette prohibition semble porter ses fruits, avec une chute persistante du nombre d’ivresses publiques manifestes recensées par le haussariat, qui auraient été divisées par trois. Mais l’interdiction fait aussi les beaux jours du marché noir, au grand dam des commerçants. Parmi eux, cavistes et petites boutiques de proximité semblent les plus touchés, l’impact étant plus faible et moins vital dans les grandes surfaces. Fabricants et importateurs sont aussi obligés de s’adapter à ce nouveau marché.
La contrainte est surtout mal vécue par les consommateurs, pour qui l’anticipation est difficile à intégrer et pas toujours aisée. Ce mal pour un bien est-il nécessaire et justifié ? Peut-il durer sur le long terme ? Faut-il autoriser la vente tardive dans les seuls magasins spécialisés ? Quel accompagnement en terme de prévention ? Débat avec un caviste et un médecin de permanence au commissariat.
sylvain Amiotte (Les Nouvelles Calédoniennes - 22/04/09)
1 - Un véritable fléau
En 2008, 5 100 personnes ont été interpellées à Nouméa en état d’ivresse publique et manifeste (IPM). C’est énorme, l’alcool est un vrai fléau ici. Notre rôle à la permanence du commissariat, c’est d’ausculter ces personnes en IPM pour savoir si elles n’ont aucune contre-indication à rester en cellule de dégrisement durant sept heures. Nous jouons en fait un rôle de filtre, afin d’éviter la surcharge des urgences et le blocage des patrouilles de police. Ce système n’existe quasiment pas en Métropole. Nous voyons uniquement des gens qui ont causé des troubles à l’ordre public : rixes, divagations, dégradations de véhicules, etc. Nous faisons de la bobologie. La plupart des gens restent en dégrisement, mais certains sont parfois envoyés à l’hôpital pour des fractures ou autres. Dans les cas plus graves, ils vont directement au CHT.
2 - Une efficacité indéniable
L’interdiction a eu un effet indéniable. Lors de nos permanences au commissariat le vendredi soir et le samedi soir, de 20 heures à 7 heures du matin, nous voyons en moyenne entre 40 et 50 personnes par week-end aujourd’hui, contre plus de 80 avant l’interdiction. Soit une diminution sensible de 40 %. Nous avons senti une très nette différence dès l’application de la mesure, même pour les conduites en état d’ivresse. Avant, je pouvais voir jusqu’à 70 personnes un samedi soir. Ce n’est plus le cas. La mesure est réellement pertinente, sinon les gens achèteraient de l’alcool toute la soirée. 16 heures, c’est la bonne heure. Sinon ils repasseraient à la boutique, c’est sûr. Car la soirée débute très tôt. Dès avant 20 heures, les premières personnes arrivent, cela jusqu’à minuit. Avant la mesure d’interdiction, les interpellations commençaient beaucoup plus tôt et continuaient tard dans la nuit.
3 - C’est le prix à payer
À la permanence, nous voyons régulièrement un petit groupe de SDF, toujours les mêmes. Mais la grande majorité des gens, on ne les voit qu’une seule fois. Ce sont surtout des jeunes âgés de 20 à 24 ans qui boivent ponctuellement le week-end. Ils boivent énormément en peu de temps et se retrouvent en ivresse aiguë. Pour eux, c’est la fin de semaine donc ils boivent, plus encore le vendredi que le samedi. C’est « culturel » si on peut dire. Mais ce ne sont pas des alcooliques chroniques. Ils ne calculent pas et donc ne vont pas faire de provisions. L’interdiction les coince. Certes, ce ne sont pas eux qui achètent du bon vin à 5 000 francs la bouteille. Ils boivent plutôt de la bière, du whisky et des poppers de vin rouge. Je comprends donc la réaction des cavistes. Mais cette interdiction est le prix à payer pour la santé et l’ordre public à Nouméa, même si ça pénalise tout le monde.
1 - Très pénible pour la clientèle
Cette interdiction est très pénible pour la clientèle. Le vendredi et le samedi, ce sont 30 à 40 % des gens qui se font encore avoir par les horaires aujourd’hui. L’interdiction n’est pas rentrée dans les habitudes. C’est une perte importante pour nous. Le vendredi et le samedi, je tire le rideau à 16 heures mais j’ai des coups de fil de clients jusqu’à 18 heures. On leur explique, mais ils ont souvent du mal à comprendre. Tous les achats à la dernière minute, c’est fini maintenant. Vous êtes invité au dernier moment, vous ne pouvez plus trouver de bouteille de vin. Tant mieux pour les fleuristes ! Du coup, certains clients reviennent le lundi m’acheter la bouteille qu’un ami leur a dépannée le samedi... On marche sur la tête. De toute façon, si le haussaire a pris cette mesure, c’est parce que les politiques ont refusé de le faire juste avant les élections. Nous verrons ce que feront les nouveaux élus.
2 - On se trompe de cible
Les cavistes ne vendent pas de briques de vin à 100 francs. Cette mesure a été prise pour que les gens arrêtent de consommer sur le trottoir et sur les routes. Ce n’est pas notre clientèle. Ceux qui sont visés ne vont pas mettre plus de 1 000 francs dans une bouteille de vin. On se trompe de cible. Plutôt que de tout interdire, il aurait fallu que seuls les professionnels puissent rester ouverts. C’est ce qu’avait décidé le haussaire au départ, en octobre. Mais comme les grandes surfaces ont fait la gueule, pour éviter la zizanie, tout le monde a été remis à la même enseigne. Pourtant, nous, les cavistes, ne vivons que de ça, ce qui n’est pas le cas des grandes surfaces. C’est injuste et arbitraire. On nous empêche de travailler.
3 - Un retour 30 ans en arrière
L’interdiction n’empêche pas de voir les gens qui veulent se saouler sortir avec leur stock d’alcool. Eux ne se font jamais avoir. Pour les accros, il y a toujours une solution et le marché noir fleurit. Finalement, la mesure pénalise beaucoup plus ceux qui n’ont pas de problème avec l’alcool. Il faut trouver une solution pour la majorité de ceux qui ont l’art de bien boire. Certes, il fallait faire quelque chose pour éviter les troubles le week-end. Mais dans un pays civilisé comme le nôtre, il est difficile de comprendre qu’on en arrive à une mesure aussi radicale. C’est un retour 30 ans en arrière. L’Australie, qui est 100 fois plus peuplée que nous, a réussi à trouver une solution. Pourquoi pas nous ici ?
Cette prohibition semble porter ses fruits, avec une chute persistante du nombre d’ivresses publiques manifestes recensées par le haussariat, qui auraient été divisées par trois. Mais l’interdiction fait aussi les beaux jours du marché noir, au grand dam des commerçants. Parmi eux, cavistes et petites boutiques de proximité semblent les plus touchés, l’impact étant plus faible et moins vital dans les grandes surfaces. Fabricants et importateurs sont aussi obligés de s’adapter à ce nouveau marché.
La contrainte est surtout mal vécue par les consommateurs, pour qui l’anticipation est difficile à intégrer et pas toujours aisée. Ce mal pour un bien est-il nécessaire et justifié ? Peut-il durer sur le long terme ? Faut-il autoriser la vente tardive dans les seuls magasins spécialisés ? Quel accompagnement en terme de prévention ? Débat avec un caviste et un médecin de permanence au commissariat.
sylvain Amiotte (Les Nouvelles Calédoniennes - 22/04/09)
Docteur François Guemas : « Sans l’interdiction, les gens qui boivent rachèteraient de l’alcool toute la soirée »
Médecin
généraliste à Nouméa, assure des permanences de nuit au commissariat le
week-end pour ausculter les personnes interpellées en ivresse publique
et manifeste.1 - Un véritable fléau
En 2008, 5 100 personnes ont été interpellées à Nouméa en état d’ivresse publique et manifeste (IPM). C’est énorme, l’alcool est un vrai fléau ici. Notre rôle à la permanence du commissariat, c’est d’ausculter ces personnes en IPM pour savoir si elles n’ont aucune contre-indication à rester en cellule de dégrisement durant sept heures. Nous jouons en fait un rôle de filtre, afin d’éviter la surcharge des urgences et le blocage des patrouilles de police. Ce système n’existe quasiment pas en Métropole. Nous voyons uniquement des gens qui ont causé des troubles à l’ordre public : rixes, divagations, dégradations de véhicules, etc. Nous faisons de la bobologie. La plupart des gens restent en dégrisement, mais certains sont parfois envoyés à l’hôpital pour des fractures ou autres. Dans les cas plus graves, ils vont directement au CHT.
2 - Une efficacité indéniable
L’interdiction a eu un effet indéniable. Lors de nos permanences au commissariat le vendredi soir et le samedi soir, de 20 heures à 7 heures du matin, nous voyons en moyenne entre 40 et 50 personnes par week-end aujourd’hui, contre plus de 80 avant l’interdiction. Soit une diminution sensible de 40 %. Nous avons senti une très nette différence dès l’application de la mesure, même pour les conduites en état d’ivresse. Avant, je pouvais voir jusqu’à 70 personnes un samedi soir. Ce n’est plus le cas. La mesure est réellement pertinente, sinon les gens achèteraient de l’alcool toute la soirée. 16 heures, c’est la bonne heure. Sinon ils repasseraient à la boutique, c’est sûr. Car la soirée débute très tôt. Dès avant 20 heures, les premières personnes arrivent, cela jusqu’à minuit. Avant la mesure d’interdiction, les interpellations commençaient beaucoup plus tôt et continuaient tard dans la nuit.
3 - C’est le prix à payer
À la permanence, nous voyons régulièrement un petit groupe de SDF, toujours les mêmes. Mais la grande majorité des gens, on ne les voit qu’une seule fois. Ce sont surtout des jeunes âgés de 20 à 24 ans qui boivent ponctuellement le week-end. Ils boivent énormément en peu de temps et se retrouvent en ivresse aiguë. Pour eux, c’est la fin de semaine donc ils boivent, plus encore le vendredi que le samedi. C’est « culturel » si on peut dire. Mais ce ne sont pas des alcooliques chroniques. Ils ne calculent pas et donc ne vont pas faire de provisions. L’interdiction les coince. Certes, ce ne sont pas eux qui achètent du bon vin à 5 000 francs la bouteille. Ils boivent plutôt de la bière, du whisky et des poppers de vin rouge. Je comprends donc la réaction des cavistes. Mais cette interdiction est le prix à payer pour la santé et l’ordre public à Nouméa, même si ça pénalise tout le monde.
Henri-Philippe Chombeau : « La mesure pénalise beaucoup plus ceux qui n’ont pas de problème avec l’alcool »
Gérant
du commerce de vins Le Bottle Shop, qu’il a créé fin novembre 2008.
Issu d’une famille de cavistes installée depuis les années 1970 au
Motor-Pool.1 - Très pénible pour la clientèle
Cette interdiction est très pénible pour la clientèle. Le vendredi et le samedi, ce sont 30 à 40 % des gens qui se font encore avoir par les horaires aujourd’hui. L’interdiction n’est pas rentrée dans les habitudes. C’est une perte importante pour nous. Le vendredi et le samedi, je tire le rideau à 16 heures mais j’ai des coups de fil de clients jusqu’à 18 heures. On leur explique, mais ils ont souvent du mal à comprendre. Tous les achats à la dernière minute, c’est fini maintenant. Vous êtes invité au dernier moment, vous ne pouvez plus trouver de bouteille de vin. Tant mieux pour les fleuristes ! Du coup, certains clients reviennent le lundi m’acheter la bouteille qu’un ami leur a dépannée le samedi... On marche sur la tête. De toute façon, si le haussaire a pris cette mesure, c’est parce que les politiques ont refusé de le faire juste avant les élections. Nous verrons ce que feront les nouveaux élus.
2 - On se trompe de cible
Les cavistes ne vendent pas de briques de vin à 100 francs. Cette mesure a été prise pour que les gens arrêtent de consommer sur le trottoir et sur les routes. Ce n’est pas notre clientèle. Ceux qui sont visés ne vont pas mettre plus de 1 000 francs dans une bouteille de vin. On se trompe de cible. Plutôt que de tout interdire, il aurait fallu que seuls les professionnels puissent rester ouverts. C’est ce qu’avait décidé le haussaire au départ, en octobre. Mais comme les grandes surfaces ont fait la gueule, pour éviter la zizanie, tout le monde a été remis à la même enseigne. Pourtant, nous, les cavistes, ne vivons que de ça, ce qui n’est pas le cas des grandes surfaces. C’est injuste et arbitraire. On nous empêche de travailler.
3 - Un retour 30 ans en arrière
L’interdiction n’empêche pas de voir les gens qui veulent se saouler sortir avec leur stock d’alcool. Eux ne se font jamais avoir. Pour les accros, il y a toujours une solution et le marché noir fleurit. Finalement, la mesure pénalise beaucoup plus ceux qui n’ont pas de problème avec l’alcool. Il faut trouver une solution pour la majorité de ceux qui ont l’art de bien boire. Certes, il fallait faire quelque chose pour éviter les troubles le week-end. Mais dans un pays civilisé comme le nôtre, il est difficile de comprendre qu’on en arrive à une mesure aussi radicale. C’est un retour 30 ans en arrière. L’Australie, qui est 100 fois plus peuplée que nous, a réussi à trouver une solution. Pourquoi pas nous ici ?
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