«Un verrou vient de sauter»
Ven 16 Juil 2010 |09:14, Les Nouvelles Calédoniennes
Les
deux drapeaux côte à côte signifient pour l’universitaire Guy
Agniel une reconnaissance solennelle des deux légitimités
calédoniennes. Deux drapeaux dans lesquels tous les Calédoniens
vont pouvoir se reconnaître et commencer à discuter concrètement
de l’avenir commun.
Les Nouvelles calédoniennes : Le lever du drapeau FLNKS à côté du drapeau français est-il, à vos yeux, un pas en avant, un pas de côté, ou un pas en arrière, sur la route du destin commun voulu par l’accord de Nouméa ?
Guy Agniel : Un pas en avant, clairement. Le destin commun passe par la définition de la place de la Nouvelle-Calédonie à l’issue du processus de l’accord de Nouméa. Or les indépendantistes avaient fait des signes identitaires un préalable à toute entame de discussion pour la suite. Et celui auquel ils tenaient le plus, c’était le drapeau. Depuis douze ans, des tas de propositions ont été faites, mais aucune ne convenait à l’ensemble de la population. Ce lever des deux drapeaux marque la reconnaissance réciproque des deux légitimités. Il fait sauter un verrou qui va permettre de discuter concrètement de l’avenir commun. Le symbole c’est beau, mais ça ne fait pas avancer grand chose.
Chacun des deux camps ne met pourtant pas la même chose dans cet événement…
Oui, mais le point commun, c’est cette reconnaissance de la légitimité de l’autre. Ca ne veut pas dire adhérer mais reconnaître son existence. Cela atténue l’affrontement entre les deux légitimités. Par la même occasion, le FLNKS reconnaît l’existence du drapeau français.
Voilà vingt-deux ans que les deux drapeaux flottent déjà côte à côte dans le Nord, sans faire autant de bruit… En quoi est-ce un événement aujourd’hui ?
C’est un événement pour la province Sud, le bastion des non-indépendantistes, qui était très arc-boutée jusqu’ici et qui a décidé de changer de ligne. Ce qui était acquis dans le Nord ne l’était pas dans le Sud. Lors de sa venue en 2003, Jacques Chirac avait fait son discours sous les deux drapeaux, c’est sa fille Claude qui avait amené le drapeau FLNKS de Paris.
Derrière ces deux drapeaux, au moins nous sommes sûrs que tous les Calédoniens sont rassemblés.
Justement, ce lever du drapeau FLNKS sera demain le point phare de la visite du Premier ministre en Calédonie. En solennisant cet événement, le gouvernement français serait-il à la recherche d’un fait historique, qui lui fait défaut actuellement ?
Non, car je pense que cet événement n’aura pas un retentissement au niveau national. Le Premier ministre vient solenniser l’événement pour éviter que ça reste un détail auquel on puisse déroger sans problème.
S’agissant d’un simple voeu dénué de valeur légale, ne se dirige-t-on pas malgré tout vers une application à géométrie variable ?
Il s’agit d’un voeu sans caractère obligatoire, mais je pense qu’il fera certainement l’objet d’une circulaire du Premier ministre, à l’instar de celle sur le drapeau européen. Une circulaire du Premier ministre, ce n’est pas du papier hygiénique sur lequel on s’asseoit. Il y aura peut-être une ou deux exceptions, à l’île des Pins sans doute, mais je pense par exemple que la mairie de Nouméa les mettra.
Selon vous, l’arrivée de l’emblème du FLNKS représente-t-elle un réel bouleversement, voire un coût, pour une partie de la population calédonienne ?
Peut-être pour les beaux quartiers de Nouméa. Mais ça ne pose aucun problème aux Calédoniens de Brousse. Ils ont fait du chemin. Autant ils auraient eu des réticences au drapeau FLNKS seul, autant là ils vont le ressentir comme une sorte d’apaisement. Avant que cette proposition soit faite, la famille Tual — dont le jeune a été tué pendant les Evénements — a été consultée. Son père a dit : « Je n’oublierai pas qu’ils ont tué mon fils, mais si c’est pour faire avancer la Nouvelle-Calédonie, je n’y suis pas opposé. »
Certains partis politiques voient dans cet événement plus un rappel des divisions anciennes qu’un rassemblement autour d’un drapeau consensuel. Ce n’est pas votre avis ?
Non, c’est de l’argutie politicienne. Derrière ces deux drapeaux, au moins nous sommes sûrs que tous les Calédoniens sont rassemblés. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de drapeau commun. Maintenant, il y aura deux drapeaux représentant les deux tendances de la Calédonie. C’est mieux que rien du tout. Je suis plutôt pour respecter l’esprit, et pas forcément la lettre de l’accord. Mardi, lors du vote du voeu au Congrès, l’émotion était palpable, surtout chez ceux qui ont connu la violence des Evénements.
Justement, s’agit-il à votre avis d’une simple étape vers un drapeau unique, ou bien est-ce le début d’une coexistence durable des deux drapeaux ?
Je pense que le fait va être intégré rapidement, dans les six prochains mois. Ensuite, je pense que la réaction des Européens eux-mêmes sera de dire : « On l’a, on le garde. » Le drapeau FLNKS ne redescendra pas, à mon avis. L’acccord de Nouméa demande de marquer au mieux l’identité kanak et parle d’un drapeau qui flottera à côté du drapeau français. Je pense que le drapeau FLNKS deviendra ce drapeau commun. Cette question sera réglée et on pourra quitter le symbolisme pour entrer dans le concret.
Pensez-vous que les Calédoniens non kanak s’en satisferont ?
Oui. L’existence des deux drapeaux servira leur bivalence, de se sentir à la fois français avec le drapeau tricolore, et différent des zoreils avec le drapeau FLNKS. Le Calédonien ne peut pas avoir de drapeau, car il est bivalent.
Les Mélanésiens loyalistes ne seront-ils pas embarrassés ?
Ce sera beaucoup plus facile à intégrer pour eux, si ce n’est déjà fait. Car ils sont d’abord Mélanésiens avant d’être non indépendantistes. Il faut dépasser les clivages politiques et les conflits d’egos. Le drapeau FLNKS est un drapeau identitaire maintenant. Ce n’est plus un drapeau de lutte.
Pas sûr que ce soit l’avis des militants du FLNKS…
Ils ne le diront pas tout de suite…
1983-2010, la jeune histoire d’un emblème
Quand le monde kanak vivait sans drapeau
L’identification par le drapeau n’est pas quelque chose d’ancré profondément dans la tradition mélanésienne. Rock Wamytan l’a rappelé cette semaine au Congrès. « Nos ancêtres n’avaient pas les mêmes marqueurs pour affirmer leur droit territorial, leur ralliement et leur souveraineté. Ils le faisaient par des totems. Quand ils ont vu les Français planter le drapeau tricolore à Balade le 24 septembre 1853, puis sur la presqu’île de Nouméa le 16 août 1854, ils n’avaient aucune conscience que c’en était fini de leur liberté sur leur terre ancestrale. Que la France venait par ces gestes d’affirmer sa souveraineté au regard du droit international de l’époque. »
Les drapeaux et la violence
Le drapeau du FLNKS est entaché de violence. Celle des événements de 1984 à 1988. Mais comme le note Rock Wamytan, pratiquement toutes les communautés et tous les drapeaux se sont forgés dans la violence. C’était le cas de l’emblème tricolore lors de la Révolution française. C’était aussi le cas du drapeau bleu blanc rouge dans les regards kanak, quand la France a colonisé la Calédonie, déplacé des populations et maté des révoltes.
Première apparition officielle
Pendant plus d’un siècle (environ 130 ans), le monde kanak a vécu sous l’ombre du drapeau tricolore sans arborer de signe identitaire propre, autre que ceux des clans et des chefferies. C’est en 1983 que Jean-Marie Tjibaou a lancé la réflexion sur un drapeau qui allait symboliser le combat du front indépendantiste pour la reconnaissance du peuple kanak et la décolonisation. Le drapeau FLNKS a été acté lors du congrès constitutif du front, les 22, 23 et 24 septembre 1984. Il a été présenté la même année par Eloi Machoro et Yeiwéiné Yeiweiné à Georges Lemoine, secrétaire d’État à l’Outre-Mer du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. A l’époque, la flèche faîtière n’avait pas sa forme définitive et était de couleur rouge.
Le drapeau FLNKS
Il composé de trois bandes horizontales : vert, rouge et bleu. Le vert symbolise la terre, les ancêtres, la richesse du sol et l’espoir. Le rouge évoque le sang versé dans la lutte pour l’unité du peuple kanak et l’aspiration socialiste. Le bleu symbolise le ciel et l’océan Pacifique, et la souveraineté mélanésienne dans cette région. Au centre, un rond jaune symbolise le soleil. Et, silhouette noire au milieu de l’astre, le sommet d’une case, une flèche faîtière et sa toutoute. La flèche faîtière représente le chef de clan et illustre l’organisation clanique et coutumière de la société kanak. La signification de cet emblème a été formulée la première fois par Jean-Marie Tjibaou.
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