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Genèse d'une révolte de la jeunesse grecque désenchantée

Par Elise Vincent
LE MONDE | 11.12.08 | 14h16  • 
ATHÈNES ENVOYÉE SPÉCIALE

Haut-parleurs posés sur les tables, banderoles des cortèges du matin rangées, les voix éraillées se succèdent, mercredi après-midi 10 décembre, sur l'estrade de l'amphithéâtre comble, au dernier étage de la faculté de droit, à Athènes. Au cinquième jour d'émeutes, c'est l'heure de l'assemblée générale dans cette place forte de la révolte de la jeunesse grecque.

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Rassemblés à l'appel d'organisations de l'éducation et de gauche (le syndicat étudiant Unef, les syndicats lycéens FIDL et, UNL, le MJS, les JCR ...), ils se sont massés dans la rue Auguste Vacquerie (XVIe), à quelques centaines de mètres de l'Arc de Triomphe et à proximité de l'ambassade, dont les forces de l'ordre leur barraient l'accès.
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Tout ce que la planète rebelle étudiante compte de mouvements syndicaux - EEK, EKKE, OKDE... - tient à s'exprimer. Ça dure des heures. Ils en baillent eux-mêmes. Mais après le succès des premiers jours de "lutte", tous redoutent désormais son délitement. Pour entretenir le mouvement, ils cherchent des convergences. La diversité des participants rend l'opération délicate.

Chronologiquement, les premiers à s'être mobilisés ont été les "anarchistes". Une heure et demie seulement après la mort d'Alexandre Grigoropoulos, 15 ans, tué par un policier le 6 décembre, ils ont démarré les premières violences. Le drame a eu lieu dans leur fief, le quartier d'Exarchia. Cagoulés, habillés en noir, ce sont eux, pour l'essentiel, chaque jour, les chefs d'État-major de la guérilla urbaine dans les rues de la capitale. Leur QG est à l'université polytechnique (Le Monde du 10 décembre).

La mouvance anarchiste a une histoire particulière, en Grèce. Elle s'est développée dans la foulée de la chute du régime des colonels, en 1974. Mais cette fois, leur violence et leur nombre a surpris. Jusqu'alors estimés à 200 ou 300 individus, ils sont évalués aujourd'hui entre 1 000 et 2 000. Secrets, ils refusent de parler aux médias. Des jeunes issus de l'immigration, sans papiers, se sont par ailleurs très vite joints à eux dans les pillages. En Grèce, à cause du droit du sang, un jeune né dans le pays de parents étrangers ne peut être naturalisé.

Dans le sillage des anarchistes, les lycéens se sont ensuite mobilisés le plus vite. L'adolescent tué avait leur âge. Un peu plus de vingt-quatre heures après le drame, rompus à Internet, aux chats et aux SMS, ils ont été les premiers en mesure d'organiser une manifestation. "On s'est appuyés sur le réseau "Hi 5" (un équivalent de Facebook) où tous les élèves sont inscrits", explique Jason, 15 ans, petit brun aux yeux verts en sweat-shirt. Dans chaque lycée, un groupe de 15 élèves suivent la mobilisation. Il fait partie de l'un d'entre eux. Les syndicats enseignants ont assuré leur liaison avec les étudiants.

Ces derniers les ont rejoints via leurs propres syndicats, ceux d'extrême gauche en particulier. "Et cette fois, ce n'est pas une minorité qui a imposé sa vision à la majorité, tout le monde était d'accord", souligne Nikos Dimou, écrivain et bon connaisseur de ces questions. Ils ont voté la grève des "facs" et l'occupation de deux d'entre elles. Toute une jeunesse désenchantée de 20 à 35 ans s'est alors agrégée. La "génération 600 euros", comme on l'appelle, en Grèce, à cause des bas salaires auxquels ils sont cantonnés.

Comment tous ces groupes se sont-ils mobilisés aussi vite, ensemble et massivement ? Les origines de ces retrouvailles seraient à chercher dans les violentes manifestations qui ont eu lieu en 2006, pendant plusieurs mois, contre un projet de privatisation du système éducatif.

A l'époque, lycéens, étudiants, professeurs et anarchistes avaient déjà fait front commun. Depuis, "on entretenait des liens informels, mais réguliers", raconte Themistoklis Kotsifakis, le secrétaire général du syndicat enseignant Olme. La révolte étudiante de 1974 a aussi un poids "considérable" dans les événements d'aujourd'hui, selon M. Dimous. L'imagerie populaire lui attribue la chute de la dictature du régime des colonels. L'histoire est plus complexe, mais le mythe est là, extrêmement mobilisateur.

Le dernier ciment s'est fait autour du ras-le-bol du système universitaire archaïque en place, incapable d'assurer une insertion professionnelle convenable. Basé sur un concours d'entrée, le cursus et le lieu des études sont fonction du classement qu'on y a obtenu et d'un certain nombre de voeux.

Un jeune Athénien espérant étudier la médecine peut ainsi tout à fait se retrouver à apprendre la théologie sur l'île de Rhodes. L'histoire et la religion y sont aussi toujours enseignées sous un angle très nationaliste. Les pesanteurs du système sont telles que plusieurs dizaines de milliers de familles, pas forcément aisées, décident chaque année de se saigner aux quatre veines pour envoyer leurs enfants étudier à l'étranger.

Après cinq jours d'émeutes, la mobilisation des jeunes grecs est en tout cas à un tournant. Leur seule revendication unanime pour l'heure : "Le renversement du gouvernement". Du coup, la vraie "vitrine" de leur révolte reste les violences urbaines.

Beaucoup de jeunes qui les désapprouvent s'en inquiètent. D'autant que, aussi affaibli soit-il, le gouvernement de Costas Caramanlis en joue, laissant entendre qu'il est "prêt à certaines concessions si les violences se calment", comme l'explique au Monde une source gouvernementale.

Sur le fond, la nébuleuse d'associations et de syndicats étudiants et lycéens ont du mal à s'entendre. Certains réclament la fin des occupations d'universités, d'autres non. Sur la forme, ils manquent de représentants clairement élus. Certains n'y voient pas de problème, d'autres, comme les Jeunesses communistes, en font la condition de leur participation aux assemblées générales.

Dans le capharnaüm de l'assemblée générale de la "fac" de droit, mercredi, le consensus s'est fait autour de la motion suivante : "Maintien de la fermeture des universités, maintien des occupations, tous les livres gratuits, enseignement public gratuit, récupérer nos vies volées, désarmement des policiers, suppression des MAT (policiers anti-émeute), appel à la manifestation le 12 décembre, occupation d'un bâtiment public pendant soixante-cinq heures le même jour".

Une étudiante s'agace : "Mais ça n'a aucun sens, il n'y a rien de neuf !". Une autre tente : "Et les violences, on dit rien dessus ?" Un vague brouhaha leur a répondu.




13/12/2008
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