Je suis Kanak, et homosexuel
Les Nouvelles Calédoniennes, Publié le jeudi 29 novembre 2012 à 03H00
« C’est contre nature » ou « Il n’y en a pas chez nous », les propos qu’ont tenus certains maires mélanésiens au sujet des homosexuels dans nos colonnes font réagir. Un jeune Kanak du Nord, fils de chef de tribu et homosexuel, a tenu à témoigner.
Par respect pour son entourage, ce jeune homme de près de 30 ans a d’abord tout fait pour cacher son homosexualité.
Photo DR
« Je tenais à raconter ma vie, cette vie que je mène et qui n’est pas vraiment la mienne ». Voici comment commence le témoignage d’un jeune Kanak, fils d’un chef de tribu et homosexuel, qui a décidé de faire son coming out à près de 30 ans « pour respirer normalement et vivre normalement ». C’est aussi, pour cet homme très ancré dans la culture kanak, l’occasion de mettre à la lumière des faits, à l’intention de tous ceux, et notamment certains maires mélanésiens, qui pensent et ont affirmé dans nos colonnes que ça n'existe pas. Son témoignage en dix points.
- Enfance heureuse
J’ai eu une enfance merveilleuse avec des parents attentionnés et qui nous ont inculqué une éducation digne de notre réussite, à moi et à mes frères et sœurs. C’est dans cette optique que j’ai toujours eu du respect pour ma famille, pour ma maman et surtout pour mon papa, chef d’une tribu, très respecté. J’ai eu tout l’amour que les parents peuvent donner à leurs enfants, j’étais comblé. A l’âge de 14 ans, comme tous les jeunes, j’ai commencé à fréquenter des filles. Je rêvais déjà d’avoir des enfants, une maison, et vivre une vie de couple parfait.
- Adolescence perturbée
Mais au moment où tout le monde fêtait le second millénaire, moi, je commençais à découvrir une autre partie de moi. J’avais des vues sur les garçons. Je les regardais comme des filles. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, mais je pensais surtout que ce n’était qu’un passage, et que tout redeviendrait comme avant. Sans m’en rendre compte, mon attirance envers les garçons se faisait sentir.
- Nier l’évidence
J’avais développé une stratégie pour nier cette attirance et y faire obstruction. Je m’enfermais chez moi. Mais le pire est que je trouvais toujours plus à dire sur la beauté d’un garçon que sur celle d’une fille. Et le temps a fait que la balance a fini par pencher du côté des garçons. J’ai tout essayé pour refuser ça, je me dégoûtais, je priais Dieu de m’enlever ça car j’en souffrais. Je partais loin de chez moi, dans la nature, pour m’isoler, pleurer, et crier ma douleur, ma souffrance.
- Comme une maladie
A 24 ans, j’ai entendu parler de cette personne qui pouvait me transformer, me changer et m’enlever toutes ces mauvaises pensées. Je l’ai accepté de tout mon cœur, j’étais fidèle à Dieu. On me disait que c’était l’esprit du mal qui était en moi, que c’était lui qui alimentait de mauvaises pensées. J’étais heureux mais, même à l’Eglise, j’avais toujours ces pensées. J’ai fini par quitter l’église pour ne pas la salir encore plus. Je ne me sentais pas digne d’être là.
- L’acceptation
Tout compte fait, j’ai fini par comprendre que je suis né comme ça, que Dieu est un Dieu d’amour, et qu’il devait m’aimer comme je suis. Je ne pouvais pas gâcher la vie d’une fille, et faire semblant d’être heureux.
- L’amour
Un beau jour, j’ai fait une merveilleuse rencontre qui a marqué ma vie jusqu’à aujourd’hui. J’ai rencontré un garçon avec qui je me sentais bien. Pour une fois dans ma vie, j’étais moi, j’étais libre. Les chaînes se transformaient en couronnes de roses. J’avais toujours envie de le voir, on passait des nuits blanches à discuter dehors, au milieu de la place ou en face de chez lui. Je pouvais faire des distances pour lui. Pour une fois, j’étais heureux dans mes relations. Le soir de mon premier baiser, j’ai fondu en larmes, de bonheur, mais aussi parce que je savais que le soleil allait se lever et que ce rêve s’envolerait encore pour douze heures.
- La peur du qu’en dira-t-on
Cela a duré pendant des mois, jusqu’au jour où, bien que je l’aimais toujours, je suis parti. Je lui ai annoncé par téléphone que tout était fini. La seule explication que j’ai pu lui donner était que je ne l’aimais plus, alors que j’avais simplement peur de ce que je ressentais pour lui. J’avais peur de ce que mes parents, mes frères, penseraient.
- Le temps des regrets
Aujourd’hui, je pense toujours à lui, j’ai raté tant de choses. J’ai perdu des années que j’aurais aimé passer avec lui. J’ai appris qu’il avait trouvé quelqu’un d’autre, et j’espère qu’il est heureux. J’ai fait des choix en faveur de mon identité, par respect pour mon peuple, pour ma tribu, pour mes frères et sœurs, pour ma maman et mon regretté papa.
- L’incompréhension
Si être gay était une maladie, s’il vous plaît, apportez-moi le remède. Je n’ai pas voulu cette vie. Mais si mon destin est tracé ainsi, je le suivrai. Je suis fier d’être Kanak, de ma culture, de mes traditions et pour rien au monde, je l’échangerais. Je ne suis qu’une victime de mes sentiments. J’ai besoin d’être heureux et vivre normalement comme tout le monde.
- Le coming out
Je tenais quand même à m’incliner, m’humilier devant ma maman, mes petits frères, qui ont eu beaucoup de respect pour moi durant toutes ces années et qui m’ont fait confiance. Continuez à le faire, mes sentiments pour vous n’ont pas changé. Je vous aime encore plus. A mes grandes sœurs qui auraient voulu avoir une belle-sœur, je suis désolé de ne pas pouvoir vous apporter ce bonheur. A ma tribu, à mon regretté papa, qui aurait la sagesse de me comprendre, mais par respect pour lui, pour sa fonction, j’ai essayé de vivre une vie de mensonges.
Oui, je suis Kanak et je suis homosexuel.
Propos recueillis par Ludovic Lafon
Ils se cachent
Selon l’association Homosphère, les jeunes Mélanésiens homosexuels qui abordent l’association lors de leur permanence à Koné, attendent la nuit pour se manifester. Ils ne parlent d’ailleurs pas d’eux, ils font croire qu’ils viennent de la part d’amis. « Pour ne pas être vus, ils utilisent énormément les réseaux sociaux pour nous poser leurs questions. Ils sont en souffrance et ils veulent savoir quoi faire pour gérer leur homosexualité sans être exclu de leur famille, de leur tribu, explique le coprésident Olivier Testemalle. Ils refusent de faire leur coming out, mais ils sont complètement partagés entre l’amour de leur famille et leur homo- sexualité ».
Mariage Gay, marche arrière
François Hollande a reconnu le 20 novembre « la liberté de conscience » aux maires, dont certains refusent de célébrer des mariages gay, si la loi le prévoyant est votée. Un retour en arrière que n’apprécient pas les associations LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) qui trouvent déjà que la loi est « très en retrait » sur l’autorité parentale.
Nos maires pas chauds
Dans notre édition du 29 octobre, des maires avaient été virulents sur le mariage entre homosexuel. Hilarion Vendegou et Basile Citré avaient déclaré : « C’est totalement contre nature et je peux vous dire que ça n’arrivera pas chez moi », pour le premier, et « de toute façon, il n’y en a pas chez nous », pour le second.
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