Le plus dur commence
Reflets
d’un territoire, trois des cinq signes identitaires, la devise, l’hymne
et le graphisme des billets de banque, ont été adoptés hier à une large
majorité du Congrès. La population calédonienne devra désormais se les
approprier, et les institutions les inscrire dans une réalité. La
question sensible du nom et du drapeau du pays reste, elle, sur la
table.
La devise
« Terre de parole — Terre de partage » : la formule retravaillée est signée de Jean-Brice Herrenschmidt, géographe, qui se qualifie comme « un passeur de mots » ou le « traducteur » d’une expression populaire. Plus qu’une création, cette phrase est le fruit d’expériences sur le terrain. Le mot « Terre », ce « support de l’identité collective », signifie l’enracinement en Nouvelle-Calédonie tant des Kanak que de tous ceux dont les ancêtres y sont enterrés. La « parole », elle, « a organisé la société. C’est le fondement de la culture kanak. C’est ce qui permet à une démocratie de vivre ». Le « partage » enfin invite, selon le lauréat, « à l’interculturalité », mais aussi à la solidarité, à une meilleure répartition des richesses, à la communauté de destin.
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L’hymne
« Soyons unis, devenons frères » : la proposition, paroles et musique, émane de la chorale Mélodia, dirigée par Philippe Millot. Le refrain est repris en français et en nengone. Une introduction « toutoute » marque l’identité kanak. Une interprétation a été réalisée par l’orchestre d’harmonie de l’armée de terre française. Si l’air suscite au final un consensus de la classe politique, des mots heurtent l’oreille d’élus. L’Union calédonienne aurait aimé une référence plus appuyée à l’histoire du pays. Le RUMP, après s’être interrogé sur le « devenons frères » — c’est déjà une réalité selon le parti -, souhaite voir figurer le terme « accueil » dans le texte. En clair, comme l’a été à maintes reprises La Marseillaise, l’hymne calédonien est promis à des corrections dans l’hémicycle.
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Les billets
Cerf, cagou, poisson cocher, cases… Le chapitre du graphisme des billets de banque a livré aux élus du Boulevard-Vauban, trois voire même quatre propositions pour chacune des monnaies de 500, 1 000, 5 000, et 10 000 F. La compétence revenant à l’État, l’Institut d’émission d’Outre-Mer fera ensuite le choix, au regard d’une longue liste de critères : techniques d’impression, coût, sécurité… Évoquées il y a deux ans en séance par le Conseil économique et social, de lourdes questions se posent : ce saut colossal est-il nécessaire si le passage à l’euro est envisagé ? Ou, surtout, que faire de la face dite polynésienne, devant bien entendu être en harmonie avec sa « soeur » calédonienne ? L’antenne locale de l’IEOM va aujourd’hui composer une équipe devant s’emparer de ces problématiques.
Un déluge de satisfaction mais une unanimité ratée
« La séance d’aujourd’hui fera date » d’après Didier Leroux. « Nous nous réjouissons de l’aboutissement de ce travail collectif, étape essentielle vers la citoyenneté calédonienne », affirme l’Avenir ensemble Isabelle Ohlen. « Notre groupe votera avec fierté le présent projet de loi du pays », clame l’UNI Valentine Eurisouke. Enfin, « nous vivons un moment historique », exulte Daniel Goa de l’UCFLNKS… L’examen du texte relatif à trois des cinq signes devant exprimer « l’identité kanak et le futur partagé entre tous » au regard de l’accord de Nouméa, a généré un déluge d’expressions de satisfaction, remerciements et autres voeux d’une construction aboutie du destin commun.
L’enthousiasme fut modéré par Nidoïsh Naisseline. « Il faut se méfier des récupérations politiques », a prévenu le grand chef avant de regretter l’impossibilité d’une véritable traduction de la devise en nengone, ou encore, en souriant, l’origine même de la formule : « je me méfie des spécialistes du monde kanak ou monde calédonien ». Dans le cas présent, l’auteur, « comme James Cook, arrive de l’extérieur ». Malgré tout, l’élu du LKS a soutenu le projet, texte qui, au final, a raté l’unanimité.
Pour des raisons bien diverses, cinq voix ont prôné l’abstention. Celle du RPC Jean-Luc Regent tout d’abord, au motif que le remplacement des billets de banque constituerait une opération « coûteuse et inutile et sans effet quant au but recherché ». Une nouvelle fois d’ailleurs, le divorce est apparu avec la collègue de parti, Nathalie Brizard, ayant elle validé le document, comme les militants de Calédonie ensemble.
En revanche, le Parti travailliste et ses quatre représentants ont émis une réserve lors du vote, préférant notamment d’autres signes identitaires comme l’hymne produit par « quelqu’un du pays ».
Nom et drapeau : encore du pain sur la planche
Ce vote réveille une soustraction : il reste deux autres signes identitaires sur la table. Et pas des moindres, le nom du pays et le drapeau. Ce « sujet sensible » fera l’objet d’« un autre projet de loi qui vous sera transmis pour examen ultérieurement » a indiqué hier, prudemment, le rapporteur Uni Jean-Pierre Djaïwé aux élus du Congrès. Avant de préciser : le comité des signataires, tenu à Paris le 24 juin dernier, a recommandé l’engagement de travaux sur ces questions, conformément au point 1.5 de l’accord de Nouméa. Et là, les interprétations divergent. De l’Uni au Parti travailliste, les indépendantistes ont leurs propositions : « Kanaky », et l’étendard bleu, rouge et vert orné d’un cercle jaune et d’une flèche faîtière. Côté loyalistes, la discussion est envenimée, comme la séance de ce mercredi a pu le démontrer. L’Entente républicaine, déjà bien malmenée pour d’autres motifs, se fissure sous les coups nés des échanges sur ce chapitre des signes identitaires.
Le RUMP Pierre Frogier l’a hier répété : « ma conviction, c’est qu’il est prématuré de rechercher un drapeau du pays selon les directives du point 1.5 de l’accord de Nouméa ». Plus encore, « ma conviction, c’est qu’il faudra du temps mais que la Nouvelle-Calédonie finira par s’approprier ces deux drapeaux qui représentent sa part mélanésienne et océanienne indissociable de son identité européenne et française ». En clair, la coexistence des deux emblèmes, officialisée à Nouméa sous le regard du Premier ministre, est inscrite dans les airs pour un bon moment.
Le « partenaire » dans le pacte stabilité, Calédonie ensemble, ne l’entend pas du tout ainsi, et a porté le mois dernier au Congrès un voeu sur l’ouverture de discussions concernant la recherche du nom et du drapeau du pays. Voeu qui, pour l’instant, est resté sans écho dans l’hémicycle. « Il faut ouvrir les discussions » répète Philippe Gomès, leader du parti. « Il faut engager le chemin, même s’il est abrupt, ou escarpé. Il n’est jamais inutile de discuter ». L’agacement est croissant. Des logiques s’affrontent. Reste à évaluer l’impact des étincelles.
Texte : Yann Mainguet
Photos : archives LNC
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