« Le squat, c’est l’émanation d’un malaise »
Nouvelle préoccupation du président de la province Sud, les squats suscitent autant de fantasmes que d’interprétations souvent hâtives parmi les riverains de l’agglomération. Que sont ces lieux ? Rencontre avec le sociologue Jone Passa.
- Les Nouvelles calédoniennes : Comment définiriez-vous le « squat » ?
Jone Passa : C’est, tout d’abord, l’émanation d’un malaise. Est-ce un malaise social des sociétés océaniennes ou un malaise économique ? Les deux notions se chevauchent. Et leur aspect visible, aujourd’hui en Nouvelle- Calédonie, ce sont les squats.
- Existe-t-il, selon vous, différents types de squat ?
Il n’y a pas de catégories de squat. Mais des squats seront mieux gérés que d’autres. Tout dépend des personnes qui en sont à l’origine. Si ce sont des gens qui ont un nom socialement reconnu, ils sont en mesure de gérer des squats. Des habitants vont être nommés pour s’occuper de l’eau, des routes, etc. Il y a une structuration du squat. Mais tout dépend des fondateurs.
«Le squat est resté très stigmatisant. Il est vu comme quelque chose de négatif.»
- Quand sont apparus ces endroits ?
Il y en a toujours eu à Nouméa. Sauf qu’il n’y avait pas l’effet de masse observé à l’heure actuelle. Ce que nous avons pu appeler les squats, c’est un regroupement de personnes venant d’une même région, installées dans un endroit, un lieu où les gens viennent quand ils sont de passage. Ils vont être en fait les précurseurs du phénomène maintenant constaté. Puis le squat est devenu un lieu d’établissement quasi définitif de populations. Il y a toujours eu des endroits appelés « squat », même si cela ne correspond pas à l’imaginaire, ni à la mentalité locale.
- Peut-on dire que : plus la Calédonie a créé de la richesse, plus le phénomène s’est développé ?
Ce sont les inégalités sociales qui ont institué le phénomène. Ce sont elles qui vont apporter une dynamique à la création de squats. Plus l’argent est entré en Nouvelle-Calédonie, plus le squat va apparaître comme une réponse des Kanak et Océaniens à cette inégalité de redistribution. Ces endroits se retrouvent aujourd’hui à Nouméa et dans le Grand Nouméa, car ce sont là où se sont concentrées toutes les richesses du pays. Le squat est resté très stigmatisant. Il est vu comme quelque chose de négatif. Au tout début, à partir du moment où les enfants étaient localisés comme habitant dans des squats, ils étaient automatiquement signalés (auprès des services territoriaux, NDLR). Il y a tout ce passé qui vient perturber les analyses sur le phénomène.
- Pour l’un, le squat est un bidonville. Pour un autre, un prolongement de la tribu. Pour un troisième, un monde à part... Qu’en pensez-vous ?
Le squat est, je pense, une zone où les gens s’y retrouvent, en termes de mode de vie. Le caractère communautaire des squats donne une sécurité aux gens par rapport à leur insécurité économique. Un autre aspect est à prendre en compte au regard de l’aménagement urbain de Nouméa. Nouméa ressemble, de plus en plus, à des villes occidentales où tout est segmenté : il y a des espaces pour les affaires, des espaces pour les loisirs, etc. Les populations qui ne correspondent pas à cette mentalité-là, ont besoin d’échappatoire, de sas de décompression. Les squats constituent donc, à la fois des lieux de vie, mais aussi des lieux de loisirs. C’est là où l’on trouve les nakamals, des petits concerts... Pour les gens, c’est aussi une nécessité vitale. Ils ont besoin de ces espaces pour souffler, et ce, devant la contrainte économique.
«Bon nombre de partis politiques vont sillonner les squats pour recueillir des voix.»
- Ces lieux sont-ils aussi l’expression de l’échec du logement - notamment social - construit « à l’européenne » ?
L’échec, la France l’a déjà expérimenté avec l’arrivée de la première vague de populations immigrées et la construction des barres HLM. On reproduit ce même système, sauf que l’on ne fait pas des gros blocs d’immeubles. Au final, on se retrouve avec des gens qui vont être enfermés dans des appartements où ils vont tout de même appliquer leur mode de vie; ils vont toujours essayer de trouver un consensus. Il faut que l’on arrive à émettre des éléments de réponse.
- Quels sont les premiers motifs d’installation dans les squats ?
Il y a une succession de problèmes que les gens transportent avec eux, qui va se traduire par leur installation sur Nouméa. La réponse économique n’est pas la seule. Les gens ont pu avoir, par exemple, des problèmes en tribu. Leur seule porte de sortie - mais c’est une porte de sortie aléatoire - c’est la ville, c’est Nouméa. C’est en fait le pseudo-anonymat que Nouméa peut donner.
- Différentes communautés cohabitent parfois dans les squats. Est-ce une entente si naturelle ?
Il y a une entente naturelle, reposant sur le primo habitant, c’est-à-dire les personnes qui ont occupé l’espace en premier. C’est sur elles que vont se focaliser les autorisations ou refus d’installation. Il y a une espèce de reproduction des modes de vie océaniens. Quand quelqu’un a envie de s’installer dans un squat, il faut qu’il trouve tout d’abord qui sont les personnes donnant les autorisations. Ce qui offre à l’administration des situations parfois assez délicates à gérer. Intervient aussi la question foncière, une question qui soulève beaucoup de difficultés quand à la compréhension du phénomène d’installation.
- Ces habitants sont-ils réellement pris en compte ?
A chaque élection, bon nombre de partis politiques vont sillonner les squats pour recueillir des voix ou des procurations ! Après, la traduction de programmes dans l’habitat, c’est secondaire. Mais quand on vient séduire les gens dans les squats, on ne les séduit pas sur l’habitat. On ravive les sentiments d’appartenance pour les uns, on parle d’insécurité pour les autres. Ce n’est pas parce que l’on vit en squat que l’on est en difficulté, que l’on est délinquant, ou coupable... Des gens vont choisir ce mode de vie, car il correspond notamment à leur rapport à l’espace.
- Pierre Frogier parle d’un projet de réhabilitation de squats. Que voyez-vous dans ces mots ?
Le sujet de la réhabilitation répond surtout, à mon sens, à une première question, qui anime toutes les mégalopoles du monde : c’est l’insécurité. Donc par réhabilitation, il faut aussi entendre la sécurisation des populations qui ne sont pas dans les squats. On prend une problématique par l’autre bout. On préfère regarder dans les squats pour ne pas poser la question beaucoup plus globale sur l’aménagement de l’espace en Nouvelle-Calédonie. Réhabiliter, pourquoi faire ? Pour mieux surveiller les populations des squats ? On se cache derrière la réhabilitation, pour ne pas parler de sécurité et d’insécurité.
8 148 personnes recensées
Originaire de Tiga, Jone Passa, titulaire d’un DEA de sociologie, porte une réflexion sur les squats depuis de longues années, notamment de part son travail dans le secteur social auprès de la Dpass, la direction provinciale compétente. L’absence d’une étude sérieuse et approfondie sur ces lieux en bordure de Nouméa est pointée par bon nombre de professionnels. Une analyse croisant les disciplines qui permettrait de dégager de réelles pistes de travail.
D’après un recensement des squats dans l’agglomération du Grand Nouméa actualisé en novembre 2008 et réalisé pour le compte de la province Sud, le nombre de personnes vivant dans 1 553 cabanes était chiffré à 8 148. « À la population permanente de 6 080 personnes ou 1 860 ménages, sont ajoutées les personnes hébergées. Elles représentent 34 % des permanents, soit 2 068 personnes » rappelle un rapport du professeur Christian Jost, dénommé « Espaces d’appropriation ou d’évasion de la ville dans le Pacifique ? Terres coutumières, squats et nakamals ».
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