Après Blog Service

Après Blog Service

Lycée, troisième voie

Maryline Baumard  LE MONDE | 11.06.09

 

Serait-on en train d'inventer une troisième voie en matière de politique éducative ? Ni réforme ex cathedra ni statu quo. Un chemin médian entre l'immobilisme et un lycée du troisième millénaire, sorti de cerveaux bien huilés, certes, mais déconnectés des attentes du terrain. Le rapport remis à Nicolas Sarkozy, le 2 juin, par le directeur de Sciences Po, Richard Descoings, propose l'accouchement sans douleur et sans précipitation d'un lycée nouveau. Avec assentiment du terrain.

 

Encore plus décevant quand la menace d'explosion d'une jeunesse déclassée impose de bâtir rapidement une école plus juste. A l'heure où toute une frange de la population n'a pas accès aux filières nobles du lycée général et est orientée vers le lycée professionnel. Sorte de tiers-lycée où les fils d'ouvriers sont surreprésentés et occupent 35 % de la première année, quand les enfants de cadres n'y sont que 4,5 %. Mais l'impatience est souvent mauvaise conseillère et face au cimetière des réformes mort-nées, cette politique des petits pas et de l'écoute du terrain prend tout son sens.

 

En bon énarque, M. Descoings a intégré ces paramètres et pédagogiquement opposé réforme et refondation. La langue française est ainsi faite que certains mots s'usent prématurément. A force de toilettages vendus pour des réformes, ce mot s'est affadi. Le sens qu'on lui donnait hier a glissé vers le substantif plus radical de refondation. Un tout jeune mot entré au dictionnaire en 1991. Bref, la refondation n'est rien d'autre qu'une réforme digne de ce nom.

 

En constatant que l'opinion publique n'est pas mûre pour cette refondation, il renvoie aux calendes grecques deux réformes. Ni la redéfinition du métier d'enseignant ni un changement radical de l'emploi du temps des élèves ne verront le jour avant 2012.

 

Pour élargir le service enseignant à d'autres tâches que les seuls cours, il faudrait revoir le décret de 1950. Gageure quand les enseignants-chercheurs ont combattu quatre mois durant la modification du décret sur leur propre service. Entrer dans le dossier par l'emploi du temps des élèves est tout aussi risqué dans un paysage où les lobbies disciplinaires sont embusqués. Comme y entrer par une réforme du très symbolique baccalauréat d'ailleurs.

 

Cet examen qui pilote tout l'enseignement secondaire ne peut être modifié que dans le cadre d'une refondation globale et magistrale. M. Descoings explique qu'il ne serait pas sage d'ouvrir ces dossiers dès aujourd'hui. D'autant plus que la politique de non-remplacement des départs en retraite des fonctionnaires rend M. Sarkozy suspect dans le milieu enseignant.

 

Le rapport Descoings propose donc leur contournement par une aide à l'orientation, un temps d'accompagnement des élèves à côté des cours magistraux, un apprentissage du maniement oral des langues vivantes étrangères ou une valorisation de l'engagement des jeunes... Des mesures 100 % consensuelles qui offrent autant de portes d'entrée bien commodes - ce qui ne veut pas dire inutiles - et réalisables avant la fin du quinquennat. Dans le même esprit, Xavier Darcos, le ministre de l'éducation nationale, encadre des expérimentations dans 123 lycées. L'autonomie et la politique de la tache d'huile prendraient le relais sur la réforme tombée du ciel. La révolution laisserait place à l'amélioration.

 

Plus délicats à mettre en oeuvre, la revalorisation des bacs technologiques et le sauvetage du bac littéraire, en voie d'extinction, font partie des préconisations. Ces mesures peuvent changer l'architecture de l'édifice, rendre moins discriminante cette institution qui fonctionne comme une machine à exclure dans un système qui ne compte pas un lycée mais trois : le général, le technologique et le professionnel. Avec une vraie hiérarchie.

 

Aujourd'hui, une fois en seconde générale et technologique, il faut rester sur le bon rail pour le bac général, et de préférence intégrer la bonne série : la scientifique qui permet de décrocher un bac S. Le tout avec l'option mathématiques et préparé dans le bon établissement de centre-ville, celui qui ouvre la porte des classes préparatoires aux grandes écoles. A l'issue de ce parcours pour initiés, les fils de cadres sont huit fois plus nombreux que les enfants d'ouvriers à obtenir un bac S, à côté duquel les autres bacs font pâle figure.

 

Une refondation voudrait qu'on s'attaque vraiment à ce super-bac, ce bac ès bourgeoisies. Une réforme préférera garder intact ce fleuron de notre culture - en ajustant à peine les coefficients des épreuves - et redonner un coup de peinture aux autres bacs, y compris en en améliorant les débouchés. Est-ce que cela suffira à éviter la menace d'un autre décembre 2005 ? Est-ce que cela modifiera les profils sociologiques des différentes filières ? Et fera décoller le taux de bacheliers des 63 % (63,6 % à la session 2008) où il stagne depuis le milieu des années 1990 ? Une véritable troisième voie devrait être capable d'y conduire. Mais à petits pas.

 



12/06/2009
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 209 autres membres