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Notre bagne à l’Unesco ?

Dim 15 Aou 2010 |09:52, Les Nouvelles Calédoniennes


Les bagnes australiens viennent d’obtenir leur inscription au Patrimoine mondial de l’humanité. Selon l’archéologue Christophe Sand, qui a expertisé le dossier, les vestiges du bagne calédonien représentent pourtant un intérêt supérieur, au moins complémentaire. Mais sur le Caillou, le chemin est encore long pour restaurer et valoriser ce patrimoine aujourd’hui menacé - en partie - de disparition.

 

  • Les Nouvelles calédoniennes : En tant que président de la branche Pacifique de l’Icomos (*), vous êtes l’un des deux experts à avoir évalué le dossier des bagnes australiens pour l’Unesco. Quels étaient leurs atouts ?

Christophe Sand : Les Australiens avaient présenté une série de onze sites disséminés (**), datant de la colonisation pénitentiaire britannique. J’ai notamment travaillé sur les bagnes des îles de Norfolk et de Tasmanie. C’est incroyable de voir comment ces onze sites ont été parfaitement restaurés et mis en valeur. Le dossier australien avait aussi pour atout principal d’être massivement soutenu par la population et les politiques australiens.

  • Quel était leur point faible ?

Leur point faible c’est qu’il y a, dans le monde, des sites de bagne bien mieux conservés. Les Australiens avaient peur que la Nouvelle- Calédonie se présente. Ça m’a fait prendre conscience de l’extraordinaire qualité de notre patrimoine pénitentiaire, à nous, en Calédonie. Là-bas, tout est en ruine. Ce que nous avons est plus important et encore en meilleur état. Dans leur dossier de candidature, les Australiens ont d’ailleurs minimisé ce qui existe ici pour mieux démontrer le caractère universel exceptionnel de leurs sites. Dans mon rapport, j’ai signalé que c’était faux.

  • Vous voulez dire que le bagne de Nouvelle-Calédonie pourrait être inscrit au Patrimoine mondial ?

Oui, je pense sincèrement que, là, on a raté un coche. On aurait pu déposer certainement un dossier avec eux. Les Australiens ont axé leur dossier sur le thème d’un déplacement massif de personnes pour créer un monde nouveau en Australie, d’où cette série de onze sites qui inclut bien d’autres bâtiments que ceux servant à l’enfermement. Il ne s’agissait pas seulement de se débarrasser socialement des délinquants. En Calédonie, on était aussi dans la création d’une colonisation pénale et la mise en place d’une société nouvelle. C’était un déplacement de milliers de personnes, très organisé et structuré par la France, vers une île du Pacifique.

  • Si notre patrimoine est si exceptionnel, qu’est-ce qu’on attend pour le mettre en valeur et demander son inscription ?

Aujourd’hui, personne n’est prêt en Calédonie. La mise en valeur du patrimoine intéresse peu nos politiques. Ça peut pourtant générer de vraies retombées touristiques. Mais il faut un homme politique pour porter ça. Une candidature au Patrimoine mondial ne sera jamais étudiée sans un soutien massif et inconditionnel en Calédonie. Là, on bricole, les financements sont minimes, les dossiers dorment depuis des années. Certaines choses sont faites à Nouville, mais d’autres sites mériteraient une réelle attention.

  • Auxquels pensez-vous ?

FDJ-PRISON-NBLes sites incontournables sont les bâtiments de l’île des Pins, Camp-Brun à Boulouparis, Fonwhary près de Téremba, ou encore la chapelle de Néméara. Plus on attend, plus on voit les sites se délabrer. Certains sont déjà à moitié perdus. Les murs du Camp- Brun, qui accueillait les bagnards les plus durs, sont noyés dans la brousse. Fonwhary (pénitencier de femmes, NDLR) est en danger réel et immédiat. Il y reste pourtant la porte du bagne, avec l’arche d’époque et le mur d’enceinte. Personne n’y a touché depuis un demisiècle. Dans l’ouest, les maisons du bagne ont été démontées. La chapelle de Néméara, qui avait été restaurée il y a une dizaine d’années, est en train de s’effondrer. Il y a des graffitis partout, c’est un cauchemar. A l’île des Pins, il y a des brousses partout dans la partie visitable, et 95% des visiteurs n’ont aucune idée de tous les bâtiments qui subsistent autour. Les problèmes fonciers n’expliquent pas tout.

  • D’autres sites comme Fort Téremba et la boulangerie de Nouville ont connu meilleur sort...

Oui, Téremba est un site emblématique grâce à l’association Marguerite. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Il n’y a aucune volonté politique globale de mise en valeur. C’est la même chose pour les pétroglyphes et le patrimoine kanak. On s’en gargarise, mais on ne fait pas grand-chose. Aucun inventaire n’a été réalisé et les chambranles sont en train de pourrir au fond des grottes.

  • En Calédonie n’y aurait-il pas aussi des réticences par rapport à une valorisation du bagne qui représente la colonisation ?

L’histoire ne peut pas s’envisager comme des tranches de gâteau. On ne peut pas dire que le bagne c’est seulement un machin de Blancs. Le bagne fonctionnait grâce aux Kanak ; on leur a pris des terres pour le construire et y mettre, pas des colons, mais des prisonniers. C’est aussi parce que le bagne a été fermé qu’on a fait appel à la main-d’oeuvre javanaise et vietnamienne pour compenser. Le bagne transcende l’histoire européenne pour toucher tout le monde. J’espère vraiment que les Calédoniens, en voyant le label australien, se disent nous aussi on a ça chez nous et on peut le faire.

(*) Icomos est une ONG qui oeuvre à la conservation des monuments et des sites historiques. Comme l’UICN (Union mondiale pour la nature) évalue les sites naturels pour l’Unesco, l’Icomos est son conseiller scientifique pour les sites culturels.
(**) Les onze colonies sont situées sur le pourtour maritime fertile australien, dont les Aborigènes furent chassés, autour de Sydney et dans l’île de Tasmanie, mais aussi dans l’île de Norfolk, et à Fremantle. Selon l’Unesco, le site « présente les meilleurs exemples survivants de la déportation de criminels à grande échelle et de l’expansion colonisatrice des puissances européennes par la présence et le travail des bagnards ».

Textes : Bérengère Nauleau et Sylvain Amiotte
Photos : Thierry Perron et Jacquotte Samperez

 

Un chantier « en cours de réflexion »

A la province Sud, le chantier sur le patrimoine du bagne est « en cours de réflexion ». Depuis « deux-trois ans », et d’ici « deux-trois ans », la collectivité projette de créer un réseau de musées traitant du bagne et de l’histoire coloniale. Intitulé « Itinéraires du bagne », ce réseau historico-touristique s’articulerait autour de la villamusée de Païta, du musée de Bourail, du musée de la mine de Thio, de la boulangerie de Nouville et de fort Téremba. Depuis un an, ces deux derniers sites font l’objet de travaux de restauration, pour un coût respectif de 77 et 86 millions de francs. Leur inauguration est prévue en novembre. L’idée de la province serait de professionnaliser tous ces musées aujourd’hui gérés par des associations de passionnés. Pour le reste ? Il y a eu les opérations du théâtre de l’Ile et du musée de Bourail, mais la province Sud reconnaît qu’il y a « encore une étape à franchir ». Suite à une demande du maire, une étude serait en cours à l’île des Pins pour évaluer les travaux nécessaires. La prison des libérés de Ducos fait également partie des sites que la collectivité « aurait envie de restaurer ». Au service du patrimoine, on considère que la menace la plus urgente est celle que l’urbanisation fait peser sur les maisons coloniales de Nouméa. Et que la collectivité n’entreprendra rien « s’il n’y a pas l’implication d’une association ». Bref, il faut du temps, des bonnes âmes (cinq agents aujourd’hui sur le patrimoine) et de l’argent pour aller plus vite et plus loin sur le bagne. Quant à l’Unesco, n’en parlons pas...



17/08/2010
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