Pourquoi tant d'échecs ?
Article paru dans les Nouvelles Calédoniennes - 04/02/2010
Pourquoi tant d’échecs ?
Sur quelque 1200 inscrits en première année en formation initiale, le taux de réussite n’est que de 30 % à l’université de Nouvelle-Calédonie. Pourquoi un tel nombre d’échecs ? Combien de diplômés sortent de l’UNC chaque année ? L’offre de formation est-elle adaptée ? Eléments de réponse à l’heure de la rentrée.
Un diplômé pour cinq inscrits au départ
L’an passé, l’UNC comptait environ 2050 étudiants inscrits dans les trois départements de la formation initiale : Droit éco-gestion (DEG), Lettres langues et sciences humaines (LLSH), Sciences et techniques (ST). Fait marquant : les deux tiers sont des filles.
Ils étaient 1200 en première année, 477 en deuxième année et 370 en troisième année. Clairement, le cap de la première année est le plus difficile à franchir, avec seulement 30 % de réussite. Cette année, la moitié des inscrits en première année sont des nouveaux bacheliers (650*), ce qui signifie que l’autre moitié sont des « redoublants ». Ce cap franchi, le succès s’améliore sensiblement, avec 46 % de réussite en deuxième année et 62 % en troisième année, ce dernier taux étant « au moins égal » à celui de la Métropole, selon Jean-Marc Boyer, président de l’UNC. Au final l’an passé, 227 étudiants calédoniens sont sortis diplômés d’une licence, niveau maximal dispensé par l’UNC. Soit 19 %, un sur cinq, au regard des 1 200 inscrits en première année. « On est là bien en dessous de la Métropole », reconnaît le président.
Une évaporation de 50 % en première année
Pour expliquer le taux d’échec de 70 % observé en première année, l’université avance « un taux impressionnant d’évaporation » : 50 % des inscrits, soit environ 600 jeunes, ne se présentent même pas aux examens du premier semestre ! En enlevant ces absents, le taux de réussite réel passerait de 30 % à 60 %. Comment expliquer une telle déperdition ? Selon Jean-Marc Boyer, il y a certes « le lot classique de ceux qui s’inscrivent sans conviction », mais également une part significative, évaluée à 10-15 %, d’étudiants qui s’inscrivent « en attendant de partir pour la rentrée en Métropole en septembre ». Des jeunes qui ont souvent opté pour une filière non proposée en Calédonie et qui ne veulent pas buller durant les six mois à attendre. Pour le reste des déserteurs, l’université ignore ce qu’ils deviennent. Elle étudie avec l’IDC la possibilité de les contacter pour « leur proposer quelque chose qui leur convienne » et ne pas les laisser dans la nature, leur bac en poche. Dans leur majorité, ces jeunes ont un bac inadapté aux études universitaires (lire ci-dessous).
Un grand nombre d’inscrits « par défaut »
Selon l’UNC, l’échec important en première année s’explique aussi en très grande partie par un nombre significatif d’inscriptions « par défaut » de jeunes bacheliers « totalement inadaptés aux études universitaires » : en clair, tous les titulaires de bacs pros et de bacs techno (STG), qui « sont faits pour des études courtes de type BTS ou DUT ». A cause d’un manque criant de places en BTS sur le Caillou (une compétence du vice-rectorat), l’UNC compte ainsi parmi ses inscrits 35 % de bacs STG (50 % en droit éco-gestion !) et 10 % de bacs pro, « ce qui ne se voit pas ailleurs ». Soit environ 600 jeunes pour qui la fac est une véritable forteresse. Car le constat est sans appel : sur 100 inscrits, seulement 14 % des STG réussisent au premier semestre et 40 % se présentent aux examens, contre respectivement 40 % et 60 % pour les bacheliers généralistes (S, ES et L). Pour les bacs pro, le taux de réussite tourne autour de 2 % ! Lors de l’avis donné à chaque lycéen avant son inscription, l’UNC « déconseille très fortement » à ces bacheliers de s’inscrire et prévient les obstinés qu’il leur faudra « travailler trois fois plus ».
« Clairement, la filière droit éco-gestion est plutôt faite pour les bacs ES », indique Jean-Marc Boyer. En Sciences et techniques, filière occupée à 85% par les bacs S, le taux de réussite en 2e année est de 62% (contre 38% en Droit éco-gestion, prisée des STG). « La Calédonie produit un très grand nombre de bacs STG, mais l'offre équivalente en BTS ne suit pas. Une autre partie des STG part faire un BTS en Métropole, où la sélection est également très rude et l'investissement important. Il ne reste ensuite ici que les plus fragiles, qui vont à la fac sans conviction et sans y être prêts. »
Difficultés sociales et de transport
Sur ses 2050 étudiants en formation initiale, l’UNC compte 640 boursiers (30 %). Si elle leur apporte une aide primordiale, la bourse peut aussi en inciter certains à se réinscrire seulement pour la toucher, sachant qu’elle « constitue parfois un moyen de subsistance pour la famille », note Jean-Marc Boyer. « La plupart d’entre eux se réinscrivent en première année. » Evidemment, ce faible niveau social entraîne des conditions d’étude difficiles : « Beaucoup n’ont pas de chambre pour eux seuls », relève Yannick Lerrant, vice-présidente de l’UNC. « 37 % des jeunes sont en grande difficulté à l’issue de la première année, c’est-à-dire qu’ils n’ont validé qu’un dixième des enseignements. Nous avons des dispositifs d’aide à la réussite, mais ils ne sont pas coercitifs. » Livrés à eux-mêmes par rapport à l’encadrement important du lycée, ces étudiants défavorisés se heurtent aussi au problème du transport, par manque de logements étudiants : « Cette question freine évidemment la réussite. Pour un jeune de La Coulée ou de Plum, c’est une galère sans nom pour venir à l’université avec Carsud et Karuïa. S’il a un TD le soir jusqu’à 19 heures, il est sûr de devoir rentrer chez lui à pied », pointe Jean-Marc Boyer. Les 500 chambres en construction près du campus devraient faire du bien à cette population.
Des bacheliers pas toujours au niveau
Le président l’affirme haut et fort : « L’UNC a un niveau d’exigence élevé, plus que certaines facs de Métropole. En master, à l’IUFM ou sur le marché de l’emploi, nous avons vraiment d’excellents retours de nos étudiants diplômés de leur licence, dont une petite moitié part poursuivre ses études en Métropole. » Une façon de souligner que l’UNC est « très loin d’avoir à rougir » de son enseignement. Et de mieux mettre en exergue, à l’inverse, « le public très hétérogène qui arrive chez nous avec un bac ».
Pour appuyer ses propos, Jean-Marc Boyer tend un courrier reçu d’une bac pro secrétariat souhaitant s’inscrire cette année à la fac. Courrier truffé d’énormes fautes d’orthographe, de syntaxe et de sens. « C’est une vraie réalité pour nous », souligne-t-il, sans accuser directement le vice-rectorat. Et de résumer : « Un élève qui arrive chez nous avec un bac adapté, avec des conditions de transport et de logement raisonnables et qui travaille, il réussira parfaitement. »
« Une offre aujourd’hui adaptée »
L’UNC estime marginal le nombre de bacheliers qui partent dès la première année à la fac en Métropole : « Ils y vont pour suivre des filières que nous n’avons pas : espagnol, Staps ou psycho… Aujourd’hui, l’UNC colle bien à ses missions et aux besoins locaux du marché de l’emploi, tant au niveau des formations professionnalisantes que des licences généralistes. »
Seule piste de réflexion pour l’avenir : « Nous allons devoir faire un effort pour tous ces bacheliers STG qui n’ont rien, en instaurant peut-être des licences en alternance plus professionnalisantes, en sciences de gestion ou en marketing par exemple. » Quant à la création d’un IUT sur le Caillou, elle semble exclue : « Cela coûte des milliards et ce n’est pas assez souple par rapport à l’échelle de la population calédonienne. Au mieux, il faudrait qu’il soit pluridisciplinaire. »
(*) En 2009, la Calédonie a produit environ 2600 bacheliers : 867 en bac général, 660 en bac pro et 1103 en bac techno. L’UNC en capterait donc un sur quatre.
Pourquoi tant d’échecs ?
Sur quelque 1200 inscrits en première année en formation initiale, le taux de réussite n’est que de 30 % à l’université de Nouvelle-Calédonie. Pourquoi un tel nombre d’échecs ? Combien de diplômés sortent de l’UNC chaque année ? L’offre de formation est-elle adaptée ? Eléments de réponse à l’heure de la rentrée.
Un diplômé pour cinq inscrits au départ
L’an passé, l’UNC comptait environ 2050 étudiants inscrits dans les trois départements de la formation initiale : Droit éco-gestion (DEG), Lettres langues et sciences humaines (LLSH), Sciences et techniques (ST). Fait marquant : les deux tiers sont des filles.
Ils étaient 1200 en première année, 477 en deuxième année et 370 en troisième année. Clairement, le cap de la première année est le plus difficile à franchir, avec seulement 30 % de réussite. Cette année, la moitié des inscrits en première année sont des nouveaux bacheliers (650*), ce qui signifie que l’autre moitié sont des « redoublants ». Ce cap franchi, le succès s’améliore sensiblement, avec 46 % de réussite en deuxième année et 62 % en troisième année, ce dernier taux étant « au moins égal » à celui de la Métropole, selon Jean-Marc Boyer, président de l’UNC. Au final l’an passé, 227 étudiants calédoniens sont sortis diplômés d’une licence, niveau maximal dispensé par l’UNC. Soit 19 %, un sur cinq, au regard des 1 200 inscrits en première année. « On est là bien en dessous de la Métropole », reconnaît le président.
Une évaporation de 50 % en première année
Pour expliquer le taux d’échec de 70 % observé en première année, l’université avance « un taux impressionnant d’évaporation » : 50 % des inscrits, soit environ 600 jeunes, ne se présentent même pas aux examens du premier semestre ! En enlevant ces absents, le taux de réussite réel passerait de 30 % à 60 %. Comment expliquer une telle déperdition ? Selon Jean-Marc Boyer, il y a certes « le lot classique de ceux qui s’inscrivent sans conviction », mais également une part significative, évaluée à 10-15 %, d’étudiants qui s’inscrivent « en attendant de partir pour la rentrée en Métropole en septembre ». Des jeunes qui ont souvent opté pour une filière non proposée en Calédonie et qui ne veulent pas buller durant les six mois à attendre. Pour le reste des déserteurs, l’université ignore ce qu’ils deviennent. Elle étudie avec l’IDC la possibilité de les contacter pour « leur proposer quelque chose qui leur convienne » et ne pas les laisser dans la nature, leur bac en poche. Dans leur majorité, ces jeunes ont un bac inadapté aux études universitaires (lire ci-dessous).
Un grand nombre d’inscrits « par défaut »
Selon l’UNC, l’échec important en première année s’explique aussi en très grande partie par un nombre significatif d’inscriptions « par défaut » de jeunes bacheliers « totalement inadaptés aux études universitaires » : en clair, tous les titulaires de bacs pros et de bacs techno (STG), qui « sont faits pour des études courtes de type BTS ou DUT ». A cause d’un manque criant de places en BTS sur le Caillou (une compétence du vice-rectorat), l’UNC compte ainsi parmi ses inscrits 35 % de bacs STG (50 % en droit éco-gestion !) et 10 % de bacs pro, « ce qui ne se voit pas ailleurs ». Soit environ 600 jeunes pour qui la fac est une véritable forteresse. Car le constat est sans appel : sur 100 inscrits, seulement 14 % des STG réussisent au premier semestre et 40 % se présentent aux examens, contre respectivement 40 % et 60 % pour les bacheliers généralistes (S, ES et L). Pour les bacs pro, le taux de réussite tourne autour de 2 % ! Lors de l’avis donné à chaque lycéen avant son inscription, l’UNC « déconseille très fortement » à ces bacheliers de s’inscrire et prévient les obstinés qu’il leur faudra « travailler trois fois plus ».
« Clairement, la filière droit éco-gestion est plutôt faite pour les bacs ES », indique Jean-Marc Boyer. En Sciences et techniques, filière occupée à 85% par les bacs S, le taux de réussite en 2e année est de 62% (contre 38% en Droit éco-gestion, prisée des STG). « La Calédonie produit un très grand nombre de bacs STG, mais l'offre équivalente en BTS ne suit pas. Une autre partie des STG part faire un BTS en Métropole, où la sélection est également très rude et l'investissement important. Il ne reste ensuite ici que les plus fragiles, qui vont à la fac sans conviction et sans y être prêts. »
Difficultés sociales et de transport
Sur ses 2050 étudiants en formation initiale, l’UNC compte 640 boursiers (30 %). Si elle leur apporte une aide primordiale, la bourse peut aussi en inciter certains à se réinscrire seulement pour la toucher, sachant qu’elle « constitue parfois un moyen de subsistance pour la famille », note Jean-Marc Boyer. « La plupart d’entre eux se réinscrivent en première année. » Evidemment, ce faible niveau social entraîne des conditions d’étude difficiles : « Beaucoup n’ont pas de chambre pour eux seuls », relève Yannick Lerrant, vice-présidente de l’UNC. « 37 % des jeunes sont en grande difficulté à l’issue de la première année, c’est-à-dire qu’ils n’ont validé qu’un dixième des enseignements. Nous avons des dispositifs d’aide à la réussite, mais ils ne sont pas coercitifs. » Livrés à eux-mêmes par rapport à l’encadrement important du lycée, ces étudiants défavorisés se heurtent aussi au problème du transport, par manque de logements étudiants : « Cette question freine évidemment la réussite. Pour un jeune de La Coulée ou de Plum, c’est une galère sans nom pour venir à l’université avec Carsud et Karuïa. S’il a un TD le soir jusqu’à 19 heures, il est sûr de devoir rentrer chez lui à pied », pointe Jean-Marc Boyer. Les 500 chambres en construction près du campus devraient faire du bien à cette population.
Des bacheliers pas toujours au niveau
Le président l’affirme haut et fort : « L’UNC a un niveau d’exigence élevé, plus que certaines facs de Métropole. En master, à l’IUFM ou sur le marché de l’emploi, nous avons vraiment d’excellents retours de nos étudiants diplômés de leur licence, dont une petite moitié part poursuivre ses études en Métropole. » Une façon de souligner que l’UNC est « très loin d’avoir à rougir » de son enseignement. Et de mieux mettre en exergue, à l’inverse, « le public très hétérogène qui arrive chez nous avec un bac ».
Pour appuyer ses propos, Jean-Marc Boyer tend un courrier reçu d’une bac pro secrétariat souhaitant s’inscrire cette année à la fac. Courrier truffé d’énormes fautes d’orthographe, de syntaxe et de sens. « C’est une vraie réalité pour nous », souligne-t-il, sans accuser directement le vice-rectorat. Et de résumer : « Un élève qui arrive chez nous avec un bac adapté, avec des conditions de transport et de logement raisonnables et qui travaille, il réussira parfaitement. »
« Une offre aujourd’hui adaptée »
L’UNC estime marginal le nombre de bacheliers qui partent dès la première année à la fac en Métropole : « Ils y vont pour suivre des filières que nous n’avons pas : espagnol, Staps ou psycho… Aujourd’hui, l’UNC colle bien à ses missions et aux besoins locaux du marché de l’emploi, tant au niveau des formations professionnalisantes que des licences généralistes. »
Seule piste de réflexion pour l’avenir : « Nous allons devoir faire un effort pour tous ces bacheliers STG qui n’ont rien, en instaurant peut-être des licences en alternance plus professionnalisantes, en sciences de gestion ou en marketing par exemple. » Quant à la création d’un IUT sur le Caillou, elle semble exclue : « Cela coûte des milliards et ce n’est pas assez souple par rapport à l’échelle de la population calédonienne. Au mieux, il faudrait qu’il soit pluridisciplinaire. »
(*) En 2009, la Calédonie a produit environ 2600 bacheliers : 867 en bac général, 660 en bac pro et 1103 en bac techno. L’UNC en capterait donc un sur quatre.
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