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Quelle place pour les langues kanak à l’école ?

Article paru dans les Nouvelles Calédoniennes le 01/13/2010

Quelle place pour les langues kanak à l’école ?


Le Congrès organisait, mardi dernier, une conférence-débat sur le thème des langues maternelles à l’école. Les outils juridiques sont là. Il manque encore de la méthode, et surtout des enseignants. Plus que tout, il reste à convaincre que le bilinguisme est valorisant.

Que de chemin parcouru entre le décret Guillain de 1863, qui interdisait l’usage à l’école des « idiomes indigènes », et l’accord de Nouméa de 1998, qui déclare que les langues kanak sont, avec le français, « des langues d’enseignement et de culture ». Cette reconnaissance, a rappelé mardi soir Léonard Sam, linguiste, premier vice-président du Congrès et organisateur de la conférence-débat, est le fruit d’un « long cheminement » qui a mis bien longtemps à s’inverser.
Car le décret Guillain de 1863, comme l’arrêté de 1921 interdisant toute publication en langue indigène, n’ont été abrogés qu’en 1984. En réalité, ils n’ont pas été appliqués à la lettre. L’école privée a résisté et enseigné et publié en langue. Pour l’anecdote, a rappelé Léonard Sam, le seul à avoir été officiellement puni pour avoir écrit en nengoné est  Nidoish Naisseline, à cause de ce fameux tract de 1969 qui a signé l’apparition des Foulards rouges. Il n’y a pas loin, évidemment, de l’interdiction d’une langue à la notion politique d’assimilation.
Ce sont les revendications culturelles kanak des années soixante-dix, alors centrées sur le droit à la différence et la reconnaissance des cultures minoritaires, qui ont commencé à desserrer l’étau. En 1979 a été créé le Bureau des langues vernaculaires, première structure à réfléchir à la mise en place d’un enseignement des langues maternelles. La revendication a dès lors gagné la sphère pédagogique, et s’est amplifiée après les événements marqués, sur ce plan spécifique, par l’éphémère émergence des écoles populaires kanak.
En 1988, les accords Matignon-Oudinot donnent un cadre officiel à l’enseignement des langues maternelles dans le premier degré, à raison de 5 heures par semaine. En 1992, la loi Deixonne introduit quatre langues kanak dans les épreuves facultatives du bac. En 1998, l’accord de Nouméa va plus loin encore et permet l’ouverture l’année suivante de la filière LCR, Langues et cultures régionales. En 2005, le Congrès introduit les langues kanak et océaniennes dans les programmes offciels du primaire, pour les enfants dont les parents en ont exprimé le vœu. Débute alors un certain nombre d’expérimentations jugées positives.

Le « monolinguisme est une exception à l’échelle mondiale »

L’arsenal juridique est aujourd’hui présent. Pourtant, a indiqué Léonard Sam, « tout n’est pas acquis, deux discours continuent de coexister. » L’un est contre, estimant que la langue est « un frein à la réussite de l’élève qui ne s’intègre pas dans la société. » L’autre est pour, estimant que cet « enjeu pédagogique est un des éléments indispensables à la construction du destin commun. »
Du côté des linguistes, on est plutôt « pour ». Le bilinguisme précoce, a ainsi indiqué Jacques Vernaudon, linguiste à l’Université de Nouvelle-Calédonie, est selon de multiples études scientifiques un facteur de mobilité conceptuelle et de créativité, d’effets positifs sur la lecture et les fonctions exécutives, sur l’estime de soi. Il développe la tolérance, et permet l’acquisition plus facile d’autres langues. On l’a vérifié ici même entre 2002 et 2005, sur deux classes témoin. Le groupe expérimental qui pratiquait le drehu en plus du français a montré, lors des évaluations CP en français, de meilleures performances, et notamment dans les épreuves les plus difficiles.
Les linguistes notent en fait que le « monolinguisme est une exception à l’échelle mondiale », qu’il n’y a « pas de risques cognitifs liés au plurilinguisme précoce, si tant est que la société et l’institution scolaire le valorisent. » Est-ce le cas ? L’institution scolaire est en retard. Elle bute, entre autres problèmes majeurs, sur le manque d’enseignants qualifiés. La société elle-même défaille. La transmission de la langue maternelle se perd, mangée par la ville. Une étude de 2006 dans les maternelles du Sud montrait qu’une langue kanak était pratiquée dans seulement 22 % des familles, mais que seuls 8 % des enfants la parlaient.

  Le chiffre : 18 
Dix-huit langues kanak, sur une trentaine, sont considérées comme « en danger » par l’Unesco.
  Un patrimoine à valoriser 
En Calédonie, dix-huit langues kanak, sur une trentaine, sont considérées comme « en danger » par l’Unesco. Dommage, car les langues kanak font partie de la remarquable famille des 1 200 langues austronésiennes, parlées de Madagascar à l’île de Pâques, de Taïwan à la Nouvelle-Zélande. Elles sont un patrimoine à préserver.
Comment ?
Devant les quelque 300 personnes venues assister à la conférence de mardi soir, parmi lesquelles des militants de longue date de la pratique des langues kanak à l’école, Jacques Vernaudon a formulé quelques suggestions  : informer les familles sur le plurilinguisme précoce, former tous les enseignants, ne pas mettre en concurrence les langues locales et l’anglais, et surtout poursuivre la politique de valorisation des langues d’origine dans l’espace public et à l’école. C’est la « responsabilité partagée, a-t-il estimé, de la collectivité et des familles. »
De la collectivité parce que « ce qui n’est pas valorisé par la société dominante n’est pas valorisé par les familles ».
Et des familles « parce que la transmission bilingue impose un engagement personnel des parents ou des grands-parents, et une attention particulière et soutenue. »


01/03/2010
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