Quelle place pour le Sénat coutumier ?
À la croisée des chemins économique, politique et culturel, le Sénat coutumier a encore du mal à s’inscrire dans le paysage institutionnel calédonien. Les raisons sont multiples, tout comme les analyses.
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Pour le président sortant de l’instance, Julien Boanemoi, dans son discours de clôture de la mandature 2005-2010, «
le Sénat coutumier et les conseils d’aires avec 350-400 millions de
francs ne consomm (ent) qu’un pour mille des 350 milliards des dépenses
des collectivités en Nouvelle-Calédonie ». La remarque tombe : « Il
paraît logique que l’on ne donne rien à des institutions qui ne font
que de la représentation. Mais est-ce vraiment le cas, au vu des
problématiques sur lesquelles les autorités coutumières sont aujourd’hui
saisies ? »
L’équation, que l’on retrouve en divers points du globe, taraude aussi les esprits en Nouvelle-Calédonie : comment conserver sa part d’âme kanak, ancrée dans les traditions, tout en s’épanouissant dans un espace contemporain bousculé par la mondialisation ?
À l’image de leurs prédécesseurs, les seize nouveaux sénateurs coutumiers, installés officiellement hier pour la mandature 2010-2015, devront se pencher sur cette délicate problématique. Et fournir des éléments à partager avec les autorités. La société calédonienne les attend.
Comme en convenaient d’ailleurs certains vieux à l’issue de la cérémonie, le Sénat est insuffisamment reconnu. « Depuis 1999, on s’est toujours battus pour une pleine reconnaissance de l’institution en tant qu’institution », observe le président sortant Julien Boanemoi. L’entité demeurait « le parent pauvre, le laissé-pour-compte ». Et cela alors que son rôle est pourtant essentiel sur le chemin du destin commun, « il est important que la parole du Sénat soit une parole construite et entendue », estime le président de l’exécutif, Philippe Gomès. Force est pourtant de constater que sa place n’est pas totalement faite dans le paysage. À la lecture de l’article 2 de la loi organique, « le Sénat devrait être une institution, commente un représentant politique indépendantiste, or il fonctionne comme une simple direction du gouvernement ».
Le Sénat devrait être une institution, or il fonctionne comme une direction du gouvernement.
Le Sénat devrait être une institution, or il fonctionne comme une direction du gouvernement.
À qui la faute ? Une reconnaissance se construit sur des actes, et « nous ne sommes pas vraiment consultés !
», se plaint un coutumier évoquant un maigre bilan : un seul texte
passé au Congrès en cinq ans. Oubliée, la maison de l’avenue James-Cook à
Nouville ? Sans doute un peu. Mais pour l’ancien, Gabriel Païta, « il faut aussi que le Sénat soit composé de gens capables ». Autrement dit, motivés et participatifs. Une qualité rare ? « Le Sénat n’a pas su, voulu, ou pu, traiter des questions coutumières importantes dans le passé », remarque un élu loyaliste. « Il aurait pu traiter les sujets du cadastre coutumier, ou du fonds de garantie des terres coutumières… Ça n’a pas été le cas. » Cet amer commentaire est doublé parfois d’une critique évoquant une instrumentalisation politique de l’instance. « Nous sommes consensuels. Mais, en réalité, nous sommes plus que ça. Sur le terrain, on est efficaces », assure pourtant le nouveau président de la structure, le Drehu Pascal Sihaze. « Il faudra arriver, un jour, à nous donner la possibilité de prendre les décisions. »
Reste
un chantier à ouvrir : le mode de désignation des représentants
constitue un point sensible, qui revient chaque année sur la table. La
thématique divise, sans toutefois déchirer. Les vieux avaient parlé et
tranché en début d’année à la tribu d’Azareu, à l’occasion d’un congrès
extraordinaire. Les futurs sénateurs seront toujours désignés selon les « usages de la coutume »,
et non par élection. Toutefois le vœu d’une meilleure transparence
avait alors été formulé. Plus qu’un simple duel de textes, une véritable
opposition de pensées.
Yann Mainguet et Philippe Frédière
Quelques clés sur son fonctionnement
- Onze ans d’existence
Le Sénat coutumier va avoir onze ans. Il a été institué par la loi organique de 1999 qui prolongeait l’accord de Nouméa. Mais il existait auparavant une structure représentative des autorités coutumières en Nouvelle-Calédonie: c’était le Conseil consultatif coutumier, créé en 1988 au lendemain de l’accord de Matignon.
- La deuxième institution du territoire
D’un point de vue formel et protocolaire, le Sénat coutumier est la deuxième institution calédonienne, derrière le Congrès et avant les provinces ou les communes. Il rayonne sur tout le territoire et, à l’instar du Congrès, il possède des prérogatives législatives, certes restreintes au champ de la coutume. C’est aussi une instance ayant vocation à trancher certains différends (coutumiers), et un organe consultatif (comme le conseil économique et social) appelé à émettre des avis sur les actions entrant dans son domaine de prédilection.
- Sa composition
Le Sénat coutumier est composé de seize membres, soit deux représentants pour chacune des huit aires coutumières qui découpent la Nouvelle-Calédonie. Les sénateurs sont désignés pour cinq ans par les conseils coutumiers de chaque aire, en fonction des usages propres à chaque pays kanak. Ce sont tous des hommes. La question de l’élection au suffrage universel (à l’intérieur des aires) des sénateurs coutumiers a souvent été évoquée, notamment par Déwé Gorodey, alors membre du gouvernement en charge des affaires coutumières. Elle y voyait un moyen d’augmenter la représentativité des sénateurs, et donc le poids du Sénat dans la vie institutionnelle calédonienne. Mais jusqu’à présent, cette proposition a rencontré l’opposition d’une majorité de coutumiers. Le sénat reste donc une chambre « aristocratique ». Le président du sénat est désigné par ses pairs pour un an.
- Son budget
Bien qu’il soit une institution à part entière, le Sénat coutumier n’a pas de budget propre, mais reçoit une dotation annuelle de la Nouvelle-Calédonie.
- Un rôle encore insuffisant ?
Au bout de onze ans, le Sénat coutumier n’occupe pas encore toute la
place qui pourrait lui revenir dans la vie institutionnelle
calédonienne. La faute à qui ? Au Sénat, on estime être trop souvent
laissé à l’écart et pas toujours saisi comme le prévoit la loi organique
sur l’élaboration des textes touchant directement ou indirectement au
droit coutumier.
Et c’est vrai qu’il n’a pas été associé à certains
débats au cours des dernières années. Inversement, dans les autres
cercles de pouvoir, on reproche souvent au Sénat coutumier son manque
d’initiative. Le rapport rendu en 2009 sur la jeunesse kanak est l’un
des travaux majeurs de la dernière mandature, Mais il l’a été à la
demande du haut-commissaire. Et non sur auto-saisine des sénateurs.
- Réinventer la coutume
Un autre serait de mieux redéfinir la place de la coutume et des autorités coutumières dans la vie des tribus, notamment par rapport au droit civil et pénal de droit commun.
Trop souvent, les chefs coutumiers constatent leur perte progressive d’autorité, surtout vis-à-vis des jeunes, et l’imputent d’abord aux interférences avec le droit français. Quand les châtiments coutumiers disparaissent, parce que réprimés par la justice française, ils sont remplacés par... rien. Et c’est tout le problème.
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