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Un service dédié à l’égalité femmes/hommes à l’université: un besoin ou un luxe?

11 mai 2012, Libération.fr

Par Rachida Lemmaghti

 

La légitimité de son existence pourrait partir d’un constat: celui qu’aujourd’hui, en France, l’existence d’inégalités entre femmes et hommes est incontestée et incontestable. Et elles persistent, que ce soit dans le domaine professionnel ou politique. Qu’en est-il du monde académique?

Dans l’inconscient collectif, il semble difficile d’admettre que les inégalités hommes/femmes existent au sein de l’université, perçue comme un lieu démocratique, ouvert sur la société, dédié à la transmission égalitaire des connaissances. Un sentiment aisément accentué par le mode de recrutement du personnel de la fonction publique avec ce principe du concours, censé garantir l’égalité entre tous et toutes. Pourtant, l’université Paris Diderot a ressenti le besoin de créer un service dédié à l’égalité femmes hommes. Le Pôle égalité femmes/hommes existe depuis octobre 2010. Qu’avait-il à montrer, à prouver ?

 

Un décalage, entre perception et réalité 

Voici le témoignage d'un enseignant-chercheur en physique dans une étude  réalisée en 2005-2006 par Sophie Lhenry dans le cadre d'un contrat FSE/CEDREF/Université Paris Diderot:

«En physique, il y a pas mal de femmes […]. Il n’y a pas tellement de différence entre le nombre d’hommes et de femmes [….] Je pense qu’il y a plus de femmes, globalement». 

Au moment de l’entretien, il y avait seulement 22% de femmes parmi les enseignant.e.s-chercheur.e.s. Autre exemple: 

«En astronomie et astrophysique, il y a une parité qui n’est pas négligeable […]: on est une quinzaine de chercheurs. Y a dix chercheurs, et trois chercheuses à un niveau assez haut.»

Parle-t-on bien de parité?

«J’étais intimement convaincu qu’il y avait pas de différences entre le cerveau masculin et féminin. […] Mais (comme) il y a bien des différences au niveau du corps, on peut imaginer qu’il y ait une différence ailleurs», déclare encore un autre. 

Que veut-il dire ? Que les garçons réussissent mieux que les filles ? D'ailleurs, les garçons sont-ils plus nombreux dans l’enseignement supérieur ? Eh bien non! 60% des étudiants sont des étudiantes (tous cursus confondus) et au niveau national on compte 57 % d’étudiantes.

 

Le plafond de verre, ici aussi

Le saviez-vous ? Le pourcentage de femmes enseignantes-chercheuses à l’université Paris Diderot est de 37,6%. Ce n’est pas l’égalité parfaite. Pire, quand on examine ces chiffres au regard de la position hiérarchique des femmes (statut de maître de conférences - MC - et de Professeur - PR), il en ressort qu’au bas de la hiérarchie il y a 47,4% de femmes maîtresses de conférences et, en haut, les femmes professeures ne sont plus que 26,3%.

C’est ce qu’on appelle «le plafond de verre»: expression qui désigne la difficulté des femmes à accéder à des postes à responsabilités alors qu’aucun frein formel ne les en empêche. Ce phénomène est encore plus visible au sein des disciplines dans lesquelles les enseignantes-chercheuses sont plus nombreuses que les enseignants-chercheurs. Exemple en sociologie, les femmes représentent 51,9% des enseignant.e.s-chercheur.e.s. Il s’agit, à priori, d’une discipline paritaire. Quand on étudie la répartition MC/PR on s’aperçoit que la parité a ses limites: les femmes représentent en effet 69.2% des MC et 25% des PR. Ce phénomène de «plafond de verre» est reconnu par les spécialistes de la question du genre, à la fois pour le milieu de l’entreprise, mais aussi pour le milieu universitaire. Mais encore faut-il en faire prendre conscience aux différent.e.s acteurs et actrices de l’Université pour faire évoluer les choses.

Ce phénomène ne concerne que les personnels de l’université, du côté des étudiant.e.s, il y a tout un travail d’alerte à mener sur leurs orientations.

 

L’orientation sexuée des étudiant.e.s

L’université Paris Diderot comptent environ 25 mille étudiant.e.s, dont 60% de femmes.

Les femmes représentent 43% des étudiant.e.s en sciences et technologie, 69% des étudiant.e.s en lettre, langues, sciences humaines et sociales et 61% des étudiant.e.s en santé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a une corrélation entre le sexe des étudiant.e.s et leur orientation universitaire. Plus inquiétant: la poursuite des études des filles en doctorat. Alors que l’université compte 60% d’étudiantes, elles ne représentent que 54 % des étudiant.e.s en thèse.

Ce chiffre ne paraît pas alarmant si on ne le remet pas dans son contexte.

Le pourcentage d’étudiantes baisse entre le master et le doctorat dans toutes les disciplines, même celles ou les filles sont majoritaires. Par exemple, on passe de 69% de femmes en master dans l’UFR (unité de formation et de recherche) LAC (Lettre, art ,et cinéma) de Paris Diderot à 45% en thèse.

A la lecture de ce chiffre, on pourrait facilement croire qu’il y a une autocensure de la part des femmes. Sans doute qu’il existe une certaine autocensure, mais ce n’est pas la seule explication:

«Ce sera plus facile de placer un garçon et moi je veux avoir du succès, je ne veux pas qu’on puisse dire que mes doctorants n’ont pas eu de poste», estimait une enseignante-chercheuse dans cette même étude.

Aujourd’hui, en 2012, en tant que responsable du Pôle égalité femmes hommes à l’université Paris Diderot, je fais un constat : les inégalités femmes/hommes ne sont pas que l’apanage de l’entreprise privée. Les études démographiques et sociologiques que nous avons menées nous démontrent qu’à l’université les inégalités et les stéréotypes sont identiques au reste de la société française. Un service dédié à l’égalité femmes hommes au sein d’une université n’est définitivement pas un luxe, car, comme je viens de le montrer, ces inégalités existent bel et bien, d’une part, et d’autre part, l’université, en tant que service public, se doit de montrer l’exemple. Elle a en outre les moyens stratégiques de le faire: l’université Paris Diderot compte 25.000 étudiant.e.s et environ 5.000 personnels. Cela nous offre la possibilité d’alerter, de sensibiliser et de former 30.000 personnes. Parmi ces 30.000 personnes, 25.000 sont les futurs parents, employeurs et salarié.e.s.

Si toutes les universités françaises (environ 80) mettaient en place une vraie politique de formation et de sensibilisation sur la question des inégalités liées au sexe, nous pourrons, à défaut de l’éradiquer, atténuer cette discrimination.



11/05/2012
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