« Beaucoup de jeunes ne connaissent pas la culture kanak »
Interview. Clément Païta, grand chef coutumier
Les Nouvelles Calédoniennes. Publié le samedi 24 novembre 2012 à 03H00
La fête de l’aire coutumière Djubéa Kaponé, qui s’étend sur le Sud de la Calédonie, de l’île des Pins à Païta, a commencé hier et se poursuit aujourd’hui. Le thème de cette manifestation est la transmission des valeurs de la culture kanak. Explications avec Clément Païta.
Le grand chef Clément Païta a lui-même proposé que cette fête se fasse sur le terrain de la fête du bœuf, afin d’être accessible au plus grand nombre et notamment aux autres ethnies.
Photo AW
Les Nouvelles calédoniennes :Quel est l’objectif de cette fête de l’aire coutumière Djubéa Kaponé ?
Clément Païta : C’est une fête qui vise à faire revivre certains éléments de la culture. Elle représente beaucoup sur tous les domaines : notre aire est au milieu de la civilisation, et notre culture a tendance à disparaître. Si on pouvait organiser des fêtes comme ça deux fois par an ce serait très bien.
Les gestes qui seront faits pendant ces deux jours sont très importants. L’igname représente l’homme, le taro la femme. Au moment du décès, le pin colonnaire représente l’homme, et le cocotier la femme. On fait revivre ces choses dans les manifestations comme la fête de l’aire.
Le thème de la fête est la transmission de la culture. Y a-t-il un problème de transmission ?
Beaucoup de jeunes ne connaissent pas la culture kanak. Dans les gestes, chaque chose a sa signification : l’allumette c’est la lumière, le tabac symbolise l’odeur qui part. Même si ces éléments de la coutume sont modernes, ils veulent dire quelque chose. Beaucoup de jeunes ne le savent pas.
Les jeunes ne sont-ils pas curieux de connaître leurs racines ?
Si, mais tard, à partir de la quarantaine. Avant, c’était obligatoire, la culture se transmettait par les gwemba, ça veut dire « l’histoire ». On se réunissait autour du feu, les grands-parents avec les petits-enfants.
Aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qui ont changé, il y a eu des bouleversements dans la culture kanak. Certaines choses ont été abandonnées, il y a un manque d’instruction culturelle.
Que faire pour favoriser à nouveau la transmission ?
Ce genre de manifestations, la fête de l’aire coutumière, nous interpelle. Pendant deux jours, on va parler, il faudra qu’une position soit prise.
Ces deux journées de fête sont ponctuées par de nombreuses danses, traditionnelles comme modernes. Quel est le rôle de la danse ?
C’est une traduction de la vie du kanak. Chaque danse représente quelque chose de précis : la construction d’une case, le labourage des taraudières, etc. Avant chaque danse, nous précisons sa signification.
Il y a un renouveau. Les styles de danse cohabitent, l’un peut aider l’autre. C’est à une ethnie de voir ce qu’elle veut prendre dans ce qui l’entoure pour sa propre danse.
Une troupe de danse aborigène a été invitée, des interlocuteurs participeront au forum samedi après-midi. Les peuples premiers d’Australie et de Nouvelle-Calédonie partagent-ils beaucoup de points communs dans la confrontation avec la modernité ?
Il y a cinq ou six ans, nous sommes allés à Darwin, et à Cairns, à la découverte de leur culture. Il n’y a pas grand chose comme différence, nous avons la même racine.
Il y a toujours le geste de respect, qui est d’ailleurs commun à tous les gens du Pacifique. Ils ont su garder leurs coutumes basées sur le respect malgré leur histoire difficile.
La culture est encore très forte chez eux.
Pourquoi avoir organisé la fête sur le terrain de la fête du bœuf ?
Normalement, nous organisons ce rassemblement en tribu. J’ai demandé à l’aire d’organiser la fête dans le village, pour que toutes les ethnies puissent venir participer.
Pourquoi l’aire coutumière Djubéa Kaponé ne s’est-elle pas prononcée sur l’installation des cases Baie-de-la-Moselle ?
L’aire coutumière ne s’est pas prononcée parce que personne n’est venu nous voir avant de faire les cases. La mairie a traité avec un groupe, avec aussi le Sénat coutumier mais elle n’est pas venue nous voir. L’aire Djubéa Kaponé a son importance, elle représente toutes les chefferies de l’aire. Le comité 150 ans après, le collectif Une tribu dans la ville sont ensuite venus nous parler, le maire aussi nous a contactés.
On a dit : «voyez les responsables avec qui vous avez traité ». Ils ont pris des engagements, mais pas avec nous. Ceux qui ont fait les cases profitent, parce qu’ils pensent que les coutumiers vont être de leur côté. Mais les coutumiers sont des sages, qui réfléchissent.
Propos recueillis par Alexandre Wibart
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