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Destin en main

Les Nouvelles Calédoniennes. Publié le samedi 22 septembre 2012 à 03H00

 

L’événement permet de peser les avancées du destin commun. A l’université, si des « barrières invisibles » persistent entre groupes, des efforts sont faits pour favoriser les échanges.

Le campus a l’humeur arc-en-ciel, ce matin. Des étudiants, mâchoire serrée, angoissent avant le plongeon dans un examen, tandis que d’autres pensent déjà aux rigolades du week-end. A deux pas de l’escalier, le vent fait tourner les couleurs, tricoloreS et kanak.

Si l’école est le berceau du destin commun, l’université en est un des révélateurs. Les 3 000 jeunes inscrits aux cours le diront la main sur le cœur, « tout se passe bien ici, tout le monde s’entend bien ». Pas l’ombre d’un conflit ouvert, ni d’un signe d’ostracisme. Car un même dessein bétonne la solidarité estudiantine : la réussite en fin de cursus, l’obtention des diplômes. Et puis, l’âge est aux rencontres. Toutefois, « les groupes se croisent, et se côtoient, mais il n’y a pas vraiment de mélange », note Lara, en première année de biologie. A la cafétéria, Josimona est sur la même longueur d’onde. « On s’échange des “bonjour-bonsoir”, mais il y a des limites entre groupes », regrette l’étudiante vanuataise de 25 ans, loin de son île de Pentecôte. La cause saute aux yeux, « les origines ».

 

Affinités. L’université de Nouville est le creuset de connaissances, pour de nombreuses communautés, issues de Calédonie, d’Océanie, ou d’Europe.

Et « il y a des barrières invisibles, inconscientes », relève Curtis, natif de Lifou, actuellement en troisième année d’histoire-géographie. Pourquoi ces frontières ? Est-ce le poids du passé ? « Franchement, je ne sais pas », avoue le garçon, également président de l’association universitaire Découvre ton Caillou. Ces jeunes, nés à la fin des années 80 ou début 90, n’ont pas connu les Evénements. La notion de destin commun a même marqué l’environnement de leur enfance. Reste à préciser finalement la définition : est-ce vivre, ensemble, ou côte à côte en paix ? Ces barrières invisibles à la fac, « oui, peut-être, mais il y en a partout, dans les universités de France par exemple », argue Pierre, président de l’Association des étudiants de Nouvelle-Calédonie. « On se regroupe par affinités culturelles. » Sauf qu’ici, ces positions prennent un relief particulier, au regard de l’histoire et des enjeux politiques.

 

Cadres. Mais de gros efforts sont faits pour que ce fameux mélange s’opère. La Maison de l’étudiant, avec son directeur Thierry Dombrowsky, concocte très régulièrement des actions favorisant les échanges, dans des domaines variés : du sport à la cuisine en passant par la musique.

Et les jeunes eux aussi ne chôment pas. « Nous sommes les futurs cadres du pays, donc il faut le connaître et se connaître, explique Curtis. On a des préjugés, parce que l’on ne se connaît pas assez. » Voilà pourquoi son association a mis sur pied récemment un déplacement à Lifou, et prévoit en 2013 un voyage en Nouvelle-Zélande. Toute occasion est bonne pour bavarder entre gens d’horizons culturels différents. Comme la fabrication un jour d’un four traditionnel kanak à l’université, « des étudiants de partout sont venus nous aider : on a fait un four “métis” ! Des manifestations, à l’instar de la fête de l’indépendance du Vanuatu, rassemblent des traditions océaniennes. « Il y a des gestes qui montrent bien que l’on favorise les échanges et le mélange entre nous », insiste Isaake, 21 ans, président de l’Association des étudiants de Wallis et Futuna. Les intentions sont donc palpables.

Les échéances politiques à venir ne doivent pas, néanmoins, stopper l’élan du destin commun.

 

 

Questions à… Elie Poigoune, président de la Ligue des droits de l’homme

« Encore une ou deux générations »

 

Les Nouvelles calédoniennes : Existe-t-il un destin commun ?

Elie Poigoune : L'accord de Nouméa permet aux gens de se côtoyer, de vivre, de construire un pays ensemble. C'est-à-dire construire déjà son humanité, pour demain et après-demain. Cette construction n'est pas si facile. Pourquoi ? Parce qu'il y a tout de même le précédent historique, avec la colonisation. Le peuple kanak qui l'a subie, est en train de se reconstruire. Et d’autres gens sont venus ici. Les rapports qui ont été jusque-là dominés par les violences, les tensions, l'exclusion, la confrontation, doivent être maintenant des rapports de construction, de valeurs échangées. Et ce n'est pas en l'espace de vingt ans que l'on peut construire réellement ici une société harmonieuse. Cela demande du temps. Mais nous sommes sur de bons rails.

 

Beaucoup de temps ?

Le destin commun n'est pas si facile, cela demande encore une ou deux générations pour le construire. Mais à notre époque, les adultes que nous sommes, doivent faire en sorte que les jeunes dans les écoles puissent grandir dans les valeurs qui réconcilient, qui rassemblent, des valeurs de respect, de pardon, de construction.

 

Le politique n'a-t-il pas aussi un rôle essentiel à jouer, vis-à-vis des jeunes qui n'ont pas connu les Evénements ?

Oui, les personnalités politiques doivent, je pense, donner des directions à ce que nous sommes en train de construire. Actuellement, on navigue un peu dans le flou. Chacun dans les institutions regarde ses intérêts, et ne voit pas l'intérêt de tous. Il faut essayer de s'élever au-dessus de tout cela, pour tirer tout le monde dans le même sens.

Je suis optimiste, car à l'intérieur de tout le monde, Caldoche ou Kanak, il y a des fonds humains qui vont finir par ressortir et s'imposer demain. Il faut y travailler.

 

Le destin commun passe aussi par la réduction des inégalités ?

Oui, beaucoup. Des gens s'expriment aujourd'hui par la violence, parce qu'ils se sentent exclus du partage des richesses. Dans les années à venir, si on ne fait rien, ça va éclater. Mais nous avons les atouts ici pour que tout le monde ait sa part du gâteau.

Au Centre TjibaouA HouaïlouAu Mwa Ka (Nouméa)

Une exposition de photos sur le thème de la citoyenneté par les jeunes de la Maison de quartier de Rivière-Salée est présentée aujourd’hui, de 9 heures à 17 heures. Un échange est prévu à 11 heures, avec Emmanuel Tjibaou, sur le rôle du Centre dans la construction de la citoyenneté. A 20 heures, le spectacle Le destin de Cowadis clôturera cette journée.

C'est à Poro que se tiendra, dimanche de 8 heures à 18 heures, la Fête de la citoyenneté organisée par le gouvernement.

 

 

Yann Mainguet



21/09/2012
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