Emploi local : les recruteurs face à la nouvelle loi
Alors que
le projet de loi sur l’emploi local doit être soumis au vote du Congrès « avant
la fin de l’année », les interrogations sont nombreuses parmi les
agences de recrutement et d’intérim. La crainte principale concerne la
réactivité de la commission paritaire qui sera chargée du dispositif.
Sylvain Amiotte, les Nouvelles
Calédoniennes le 16/11/09
La commission deviendra-t-elle une « usine à
gaz » ?
Elisabeth Davo, responsable d’Atout Plus, questionne
d’emblée : « Qui sera dans cette commission ? Nous espérons
qu’il y aura des professionnels tels que nous, qui sommes les premiers
observateurs de l’emploi. Jusqu’ici, nous n’avons pas du tout été interrogés. »
Surtout, poursuit-elle, « il va falloir beaucoup de monde pour que
cette commission fonctionne correctement. Les besoins d’emplois fluctuent
énormément, et très rapidement. La commission devra s’adapter en permanence
pour coller à la réalité du marché. Est-ce possible ? »
Christine Nouveau, de Manpower, renchérit : « L’IDC
(Institut de développement des compétences) a déjà énormément de mal à avoir
des informations des entreprises pour ses études sectorielles. Comment vont
être répertoriés ces métiers ? »
Chez Adecco Nouvelle-Calédonie, Danièle Brault-Delahaie
confirme ces craintes : « Les compétences disparaissent très
rapidement. Par exemple, des maçons qui passent carreleurs perdent vite leur
compétence. Quelle sera la réactivité de la commission ? » Un autre
s’emporte : « Le mode de calcul semble fumeux, puisqu’il inclut les
personnes déjà embauchées comme si elles étaient disponibles… »
Selon le dernier projet de loi, la commission paritaire
statuera en un mois sur chaque offre d’emploi. « Selon moi, c’est de
la science-fiction, ils ne pourront pas se décider en un mois, tranche le
responsable d’une agence de recrutement. Or en l’absence de décision de la
commission, le recrutement sera considéré comme acquis. Au final, je crains que
cette commission se transforme en usine à gaz en décalage avec la réactivité du
recrutement. » Et un autre d’ajouter : « Il faudra sans
doute que nos clients soient un peu plus patients. »
Vers un « recours
massif » à l’intérim et aux CDD ?
Face à la lenteur pressentie des décisions de la commission
paritaire, les entreprises pourront être tentées de contourner la loi pour
gagner du temps et éviter la paralysie. Dans la dernière mouture du texte, les
recrutements en contrat à durée déterminée de moins de trois mois resteraient
libres. « On s’attend à un recours massif aux CDD et à l’intérim,
estime Emmanuel Jeanjean, directeur de l’agence Elite, ainsi qu’à de plus
en plus d’offres d’emplois sur mesure dans la foulée. » Par exemple,
si le CV de la personne embauchée en CDD indique qu’elle parle serbo-croate,
l’annonce pourra exiger des compétences en serbo-croate de façon à pouvoir
l’embaucher. « Comme tout système, il y aura des dérives. Des clients
s’organiseront pour mettre des critères très stricts », confirme un
autre.
Les interrogations des agences d’intérim sont nombreuses.
L’intérim sera-t-il assimilé à du CDD ? Que prévoit la loi en cas de
quatre CDD de trois mois d’affilée ?
Emmanuel Jeanjean prévoit en revanche que beaucoup de
petites entreprises « s’autocensureront et recruteront local »,
de par leur méconnaissance du texte et l’absence d’un service de ressources
humaines développé. Le professionnel constate aujourd’hui « beaucoup
d’ignorance et de questions » chez les employeurs calédoniens.
Une clarification bienvenue mais encore floue
Les agences d’intérim et de recrutement affirment toutes
privilégier déjà l’emploi local à compétences égales, et ce depuis des années,
sous la pression des employeurs et des syndicats. « Quand on a le
choix, notre préférence va déjà à 200 % vers un candidat local »,
jure Emmanuel Jeanjean, chez Elite. « Il est beaucoup plus simple
d’intégrer quelqu’un qui connaît déjà le pays », affirme Christine
Nouveau. Dans l’intérim pur, le recrutement local atteindrait les 90 %.
Chez Adecco, Atout Plus et Manpower, on approuve le projet de loi dans le sens
où « il cadrera des choses sous-jacentes, explique Elisabeth
Davo. Les non-dits sont dits. On saura maintenant clairement ce qu’est un
candidat local. Avant, la définition variait selon les exigences des
employeurs, entre celui qui est né en Calédonie et celui qui est là depuis
vingt ans. On avait aussi de l’emploi local localisé dans le Nord : le
candidat devait par exemple être originaire d’une région donnée. Au moins, avec
cette loi, tout sera clair et un patron pourra opposer la loi à ses syndicats. »
Avec là encore quelques interrogations et confusions. Les
années de résidence doivent-elles immédiatement précéder la candidature ?
Pourquoi les concubins ne sont-ils pas concernés, contrairement aux mariés et
« pacsés » ? Pourquoi le texte parle-t-il de « demandeurs
d’emploi », alors que de nombreux recrutements concernent des personnes
déjà en poste ?
Peu d’effets attendus au final
La loi atteindra-t-elle son but, en confiant plus d’emplois aux
« locaux » ? Les professionnels du recrutement sont sceptiques.
« Cela ne changera rien à mon avis, car on fait déjà de l’emploi
local », analyse Elisabeth Davo. « Nous allons épuiser tous
les Calédoniens mais nous n’en aurons pas assez car nous ne sommes que 250 000,
poursuit la responsable d’Atout Plus. S’il faut cent trente maçons et qu’il
n’y en a que cent en Calédonie, il faudra bien trouver quelque part les trente
qui manquent. »
Comme les autres, Danièle Brault-Delahaie soutient que son
agence « écume » déjà tous les réseaux locaux, de commune en
tribu, en passant par les associations, pour « faire ressortir »
les compétences locales en sommeil. « Avec ou sans loi, nous nous
heurterons toujours au problème du nombre. » Pas question en tout cas
de partir à la chasse aux « locaux » dans les autres
entreprises : « Nous aurons peut-être la pression pour aller
débaucher des gens, avec des surenchères de salaires. Mais nous n’irons pas
déshabiller Paul pour habiller Jacques. » Selon Emmanuel Jeanjean, la
loi replongera le secteur tertiaire dans un état de pénurie : « Si
on est obligé de recruter local, ce sera parfois au détriment de la qualité ».
En tout cas, en plaçant le critère de résidence en tête, la
loi pourrait justement profiter aux agences de recrutement, et éliminer les
offres lancées directement en Métropole. « Cela crédibilisera notre
métier », glisse un responsable, même si « sur un plan
éthique, il est bizarre d’engager une telle démarche de discrimination, à contre-courant
de ce qui se fait partout dans le monde ».
Ce que prévoit le projet de loi
Le projet de loi prévoit la création d’une commission
paritaire de l’emploi local (CPEL), incluant la Direction du travail, les
syndicats et les patrons. Sa tâche sera, d’une part, de constituer un tableau
des métiers par branches en les classant selon leur difficulté de recrutement
local, d’autre part, d’examiner chacune des offres d’emploi du marché, de les
ranger parmi les catégories définies précédemment, et de délivrer aux
employeurs, en cas de recrutement infructueux au bout d’un mois, un certificat
de carence leur permettant alors d’embaucher en toute liberté (notre édition du
14 octobre).
Pour tous les « citoyens » calédoniens et les
personnes justifiant de dix ans de résidence, toutes les offres seront libres
d’accès. Il ne faudra que cinq ans de résidence pour les emplois considérés
comme présentant entre 50 % et 75 % de « facilité de
recrutement local », trois ans pour la fourchette
25 %-50 %. À moins de 25 %, l’accès sera libre pour tous. Le
pourcentage fera le rapport entre, d’une part, le nombre de locaux déjà
embauchés, en demande d’emploi ou en formation pour le secteur considéré, et
d’autre part le nombre total d’emplois et d’offres d’emploi dans ce secteur en
Calédonie.
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