La course aux hypers
Ces quinze prochaines années, le Grand Nouméa va gagner 65 000
habitants et autant de consommateurs. Un potentiel commercial inexploré, mais
pas pour longtemps : jeudi, trois projets de grandes surfaces sont présentés en
commission de l’urbanisme. L’enjeu se mesure en milliards. Et intéresse les
partis politiques.
Ce n’est pas du petit business. La
grande distribution est l’un des secteurs les plus rentables qui soit, et le
besoin est criant, dans le Grand Nouméa.
D’après le dernier recensement,
les quatre communes comptent aujourd’hui 186 000 habitants. Dans quinze
ans, elles en auront 250 000, si la croissance démographique se tient.
Pour la grande distribution, ce bouleversement représente un marché aussi
énorme que nouveau. Rien que pour la consommation alimentaire, la croissance
des dépenses est estimée à 12 milliards de francs d’ici 2012 (1). Et cela
ne fait que commencer.
Jeudi, trois projets de grandes
surfaces vont être présentés en commission provinciale d’urbanisme commercial
(lire l’encadré). En tout, ils représentent 10 000 mètres carrés de super ou
d’hypermarchés, répartis dans les trois communes périphériques. C’est énorme :
en comparaison, les enseignes de la grande distribution ne totalisent
aujourd’hui « que » 35 000 mètres carrés dans tout le pays, plus 10
000 m2 (dont l’Hyper U de l’Anse Uaré) qui attendent d’être construits.
L’investissement le plus important
est le complexe commercial que le groupe Lavoix cherche à
construire à Dumbéa-sur-Mer, dans la future zone d’aménagement
concerté (ZAC). L’ensemble se compose d’un hypermarché comparable à Géant
Sainte-Marie (5 500 m2), et d’une galerie de 6 500 m2. L’ouverture est prévue
en 2014, ce qui intrigue ses concurrents (lire l’interview de Romain Babey, ci-contre),
d’autant qu’« il n’y aura pas la clientèle nécessaire, même en
2014 », d’après un membre de la commission.
Interrogé sur le sujet, le groupe
Lavoix réserve ses commentaires, indiquant simplement que « les
rumeurs qui courent sont sans fondement », au sujet d’un éventuel
rachat de tout ou partie du groupe.
« On pourrait aller vers un arrangement. »
Le second projet est un Hyper
U devant voir le jour à Païta, près des Fraisiers.
Enfin, le groupe Aline
demande à construire un Magéco de 1 500 m2 (celui de Doniambo
fait 1 600 m2) au Mont-Dore. L’implantation est prévue au carrefour d’Auteuil
et de Yahoué, et la modeste taille de l’équipement devrait éviter toute
contestation. Pour finir, l’hypermarché Carrefour demande à
s’agrandir de 800 m2 dans des locaux existants, ce à quoi personne ne devrait
s’opposer.
L’enjeu principal de la commission
de jeudi sera de donner un avis sur les deux gros projets, ceux des groupes
Lavoix et SCD Païta, dont la taille va structurer le paysage commercial de la
zone.
Traditionnellement, le groupe
Lavoix obtient le soutien des élus du Rassemblement. À l’opposé, les
investisseurs de l’Hyper U, proches de Philippe Germain et du gouvernement,
comptent sur les voix des élus Calédonie ensemble et Avenir ensemble. Ces
derniers sont favorables à l’arrivée de nouveaux acteurs, censée favoriser la
concurrence et la baisse des prix. Les débats promettent donc d’être vifs, même
si c’est finalement Pierre Frogier, et lui seul, qui tranchera.
« On pourrait aller vers
un arrangement, envisage un élu. Ça pourrait être : « oui »
au projet Lavoix, en échange du permis de construire pour l’Hyper U de Ducos »,
ce sésame indispensable que la mairie de Nouméa rechigne à accorder pour
l’instant.
(1) D’après la direction de
l’économie et de la province Sud, citée dans Courrier Sud en février 2009.
Marc
Baltzer et Xavier Serre
Comment
ça marche ?
La
commission d’urbanisme commercial (CPUC) comprend douze membres. Pour avoir un
avis favorable, il faut 8 voix sur 12. Toute absence ou abstention est
considérée comme un vote contre.
Une fois l’avis donné, le président de province a un mois
pour rendre une décision, conforme ou non à celle de la CDUC.
Jeudi, les douze membres seront :
-
Quatre élus provinciaux : Philippe Michel (CE), Isabelle
Ohlen (AE-LMD), Nicole Andrea-Song et Georges Naturel (RUMP).
-
Deux représentants de la Chambre de commerce et d’industrie,
à définir.
-
Deux représentants d’associations de
consommateurs (UFC-Que Choisir et FO-consommateurs).
-
Un représentant de la Chambre de métiers et de
l’artisanat.
-
Le secrétaire adjoint de la province Sud en
charge de l’aménagement (Dominique Simonet).
-
Un représentant de la commune concernée.
La commission prévoit aussi un siège pour l’association de
centre-ville de la commune concernée, mais Païta et Dumbéa n’en ont pas. A
noter que le président de province assiste à la commission sans voter.
« La résistance est organisée et puissante
! »
Romain Babey est un
nouvel actionnaire dans le projet de l’Hyper U de l’Anse Uaré. Le jeune
entrepreneur explique, à l’aube de la commission d’urbanisme commercial
provincial, les raisons qui l’ont poussé à se lancer dans cette aventure.
Vous venez de racheter les parts que Philippe Germain
détenait dans le projet de l’Hyper U Anse Uaré, pourquoi ?
Romain Babey : Philippe
Germain m’avait déjà proposé au début de son projet d’être l’un de ses
partenaires. A l’époque, après réflexion, je n’avais pas souhaité donner suite
de peur des représailles de certains de mes clients grands distributeurs. Et
pourtant, il y a un peu plus d’un an, quand ce projet a été annoncé, j’ai été
déréférencé quasi intégralement de tous mes produits et brutalement par le
groupe Lavoix. Sans discussions, sans explications. En réalité, c’est donc
grâce à Charles Lavoix que je me lance dans cette aventure...
Justement, où en est le dossier ?
Juste après les élections, la grande distribution a déposé
neuf recours et elle a perdu à chaque fois. C’est bien la preuve que le projet
a été fait dans les règles. Mais la résistance est organisée et puissante. Il
faut dire que l’enjeu est important, un marché de plus de 60 milliards, divisé en
trois groupes qui en contrôlent près de 90 %, où l’on retrouve encore le groupe
Lavoix en tête avec 45 % de parts de marché. Nous ne serons qu’un Petit Poucet.
Reste qu’ils viennent d’engager des procédures auprès de la cour d’appel de
Paris, histoire de continuer à gagner quelques années en procédures, mais
surtout quelques années supplémentaires sans concurrence.
Il n’existe donc plus d’obstacle à l’ouverture ?
Pas tout à fait car nous allons passer à la phase dépôt du
permis de construire, et que les choses se compliquent. J’ai entendu dire que
la mairie semblait privilégier un projet d’hypermarché en centre-ville, sur le
Carré Ballande, dont l’échéance, dix ou quinze ans, n’est pas encore connue.
Par ailleurs, il semble qu’une partie de notre terrain de Ducos ne serait pas
constructible, car classé partiellement en zone « ND », qui veut dire
zone naturelle protégée, en raison de la qualité des sites ou des paysages et
dont le maintien à l’état naturel doit être assuré. Ce terrain n’est pourtant
aujourd’hui qu’un tas de terre qui avait été remblayé, puis déclassé suite à
une demande du groupe Cipac en 1999. Je ne comprends pas bien en quoi cette
zone est « naturelle...»
Mais bon, je suis d’un naturel optimiste, et je ne peux pas
croire que la mairie prenne la responsabilité de bloquer la situation. J’ai
parfaitement confiance en le maire, en le député Yanno, le 1er adjoint, ou en
Jean-Claude Briault, chargé de l’urbanisme. Je n’ai simplement pas encore eu
l’occasion de leur présenter ce projet de vive voix depuis que j’en suis
actionnaire.
On risque néanmoins de vous opposer la problématique
des accès ? De la circulation dans la zone ?
En se mettant tous
autour de la table, on trouve toujours des solutions. Quand Carrefour a ouvert,
il n’avait pas de bretelle d’accès. Elle a été faite après. C’est même la
province qui a financé. De plus, la province Sud a engagé les travaux pour la
réalisation de l’échangeur de l’Étrier qui va désengorger de manière
considérable la zone. Nous avons également commandé une étude à un cabinet
spécialisé qui propose des solutions qui fonctionnent parfaitement. Et puis,
j’ai lu dans Les Nouvelles que la mairie avait signé une convention avec le
groupe Lavoix pour lui agrandir ses parkings le week-end en lui louant le
terrain de l’école municipale. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures.
Jeudi, lors de la commission d’urbanisme commercial
provincial, vous allez aussi défendre un autre projet d’ouverture sur Païta. De
quoi s’agit-il ?
Nous avons effectivement le projet d’ouvrir un petit Hyper U
de 3 000 m2 avec une galerie commerciale en plein centre de Païta, près des
Fraisiers. La commission examinera aussi trois autres dossiers : une extension
du Carrefour Kenu-In, un supermarché Mageco au Mont-Dore, mais également, encore
et toujours le groupe Lavoix avec un projet d’Hyper à Dumbéa-sur-Mer de 5 500
m2 avec une galerie commerciale pour un total de 12 000 m2. Il faut quand même
savoir que ce projet n’est prévu que pour 2014, alors pourquoi le déposer
aujourd’hui ? Pour geler et empêcher la constitution de toute nouvelle
enseigne pour les quinze prochaines années dans le grand Nouméa ? Pour
obtenir à tout prix cette autorisation avant la mise en place d’une loi
antitrust ? Pour améliorer le prix de vente du groupe ? Ou parce que,
à la date d’aujourd’hui, le marché ne permet pas d’absorber un équipement de
cette taille en plus de l’Anse Uaré ? La commission de jeudi risque donc
d’être animée ! Elle sera composée de onze membres et chacun votera en son
âme et conscience. Encore une fois, je suis peut-être naïf, mais j’ai
confiance. Ce sont les deux voix des consommateurs et les deux voix de la CCI
qui feront basculer le vote dans un sens ou dans un autre.
En clair, l’enjeu de jeudi est simple :
Si la commission autorise le projet Lavoix à Dumbéa et que,
dans le même temps, nous ne parvenons pas à obtenir le permis au motif de
tracasserie administrative pour l’Anse Uaré, les Calédoniens pourront dire
adieu à la concurrence ! Il n’y a pas de place pour ces deux projets, ce
sont les chiffres des techniciens des services de la province Sud qui le
disent…
Ne craignez-vous pas les pressions politiques ?
Je ne souhaite absolument pas que ce dossier redevienne un
sujet politique, et que l’on reste au niveau de l’économie. Cependant, je ne
comprendrais pas que l’on me mette des bâtons dans les roues pour le projet de
l’Anse Uaré. C’est un projet, au risque de me répéter, qui apportera une vraie
concurrence et permettra de faire véritablement baisser les prix pour les
consommateurs.
Repères
Guyenne change d’enseigne
C’est un secret de Polichinelle. La famille Guyenne quitte
les enseignes U pour un autre nom de la grande distribution. Les Super U
Kaméré, Michel-Ange, Tontouta, et le futur magasin du Pont-des-Français
porteront bientôt un autre logo.
Il y a quelques années, le groupe U avait déjà
« déçu » la famille Guyenne en envisageant de s’allier avec un
investisseur réunionnais, pour construire un hypermarché en Calédonie. En 2009,
la marque s’est finalement reportée sur un consortium d’industriels locaux,
pour l’Hyper U de Ducos. Le divorce était consommé. Le groupe n’a pas souhaité
s’exprimer, au sujet d’un éventuel nouveau partenaire.
Qui fait quoi ?
Groupe Lavoix : 44 % (1)
-
Son bateau amiral est l’hypermarché Géant Sainte-Marie,
ouvert en 1989 à Nouméa (5 300 m2).
-
Possède les cinq Casino de l’agglomération et celui de La
Foa, ce qui représente 8 000 m2 de rayonnages. Le plus grand Casino est le
Johnston du quai Ferry (2 957 m2, considéré comme un hypermarché). Le plus petit
est celui de la Vallée-des-Colons (530 m2).
-
Présent sur le « discount » avec six
Leader Price (5 000 m2 au total) dont ceux de Bourail et Pouembout. Le plus
grand « LP » est celui de Rivière-Salée (1 200 m2), le plus petit est
à Ducos (480 m2).
-
Total grandes surfaces du groupe : plus de 18 000
m2.
En amont, possède une dizaine de sociétés d’importation ou
grossistes, parmi lesquels la SA Rabot et la Maison Guy Courtot.
Holding du Pacifique-Pentecost : 35 %
-
Hypermarché Carrefour-Kenu In à Dumbéa (6 500 m2).
-
Cinq supermarchés Champion dans le Grand Nouméa,
pour un total de 5 575 m2. Ouverture prochaine d’un Champion de 1 000 m2 à
l’Orphelinat (Nouméa).
-
Six magasins Arizona (Ouémo, Ducos, Robinson,
Païta, Mont-Dore, Bourail) et six Discount (Koumac, Bourail, Nera, Poindimié,
Magenta et Trianon). Surfaces détaillées non disponibles.
-
Possède également le magasin SIB, à Ducos (550
m2).
Total grandes surfaces : plus de 14 000 m2.
Guyenne : 11 %
-
Supermarchés Super U de l’Anse-Vata (1 500 m2) et Kaméré (1
400 m2) à Nouméa, et Super U de Tontouta (900 m2) à Païta. Soit un total de 3
800 m2 réservés à la vente.
-
Ouverture prochaine d’un Super U de 1 800 m2 au Pont-des-Français
(Mont-Dore).
(1) Pourcentage des surfaces de vente. Chiffres IEOM, 2008.
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