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L’ivresse publique cache un iceberg

Les Nouvelles Calédoniennes, le jeudi 01 septembre 2011.

 

Il y a eu moins d’ivresses publiques et manifestes en 2010. Les restrictions de vente d’alcool ont pesé, mais la réduction des places en cellule aussi. Malgré cette baisse, le problème de l’alcool reste très important. Un plan d’envergure est nécessaire.

Selon l’Isee, en 2008, le montant mensuel moyen dépensé dans l’alcool est de 5 200 F (2 500 en vins, 1 500 en bière et 1 100 en alcools forts). La dépense en boissons non alcoolisées est de 4 500 F.

 

Moins d’ivresses publiques et manifestes en 2010 (IPM, dans le jargon judiciaire), c’est le bilan établi par l’Association médicale de lutte contre l’IPM, dont les médecins sont de garde dans les geôles du commissariat central de Nouméa. L’association recense ainsi 4 324 (*) personnes ivres en cellule en 2010, contre 4 668 en 2009 et 5 682 en 2008. Pas de quoi crier victoire pour autant. Ces chiffres en baisse ne sont pas seulement dus à la politique de restriction des ventes d’alcool les week-ends, portée par le haussariat.

Travaux. « La mesure d’interdiction à partir de 16 heures a été forte, relève Robert Mine, président de l’association. Nous, la nuit, on a ressenti brusquement une baisse des ivresses. Ça a été très net. » Selon l’estimation du Dr. Patrick Chene, qui intervient au commissariat, cette politique a ainsi pesé à 20 % dans l’amélioration des chiffres.
Mais d’autres circonstances, qui prêtent moins au satisfecit, ont joué. « On est passé de 60 à 25 places en geôles, à cause des travaux », souligne le Dr. Chene. Avantage : les cellules sont enfin aux normes européennes : eau, couverture, et  douche ont notamment été installées pour les personnes en état d’ivresse. C’était une forte revendication de l’association. Désavantage : le nombre de places a diminué et donc le « ramassage » par les forces de police aussi. De fait, atterrissent, aujourd’hui, au commissariat notamment, les buveurs ayant créé un trouble à l’ordre public (délit routier, atteinte aux biens, violences volontaires, etc.).

Occasionnel. Quatre vingt-dix pour cent des interpellés en état d’ivresse ne font qu’un passage dans l’année au commissariat. « On est dans l’occasionnel, dans le coup de fête », commente Robert Mine, qui pointe les chiffres toujours en hausse de la consommation : 1,74 million de litres en 2009, 1,73 million en 2008, 1,57 en 2007.
Mais cet « occasionnel » recèle un gros problème de société. Selon le service addictions de l’Agence sanitaire et sociale-NC, 25 à 30 % de la population adulte a une consommation nocive, responsable de complications sanitaires et sociales : violences physiques, sexuelles, conjugales, échec scolaire, santé dégradée, exclusion sociale, accidents de la route. Et la question qui se pose n’est plus : Mais que fait la police ? Mais bien que fait la Nouvelle-Calédonie ?

Plan. Vendredi dernier, Nicolas Sarkozy a vivement appelé les élus calédoniens « à lutter avec plus de fermeté contre ce fléau ». Sollicitée, la membre en charge de la santé et du social au gouvernement répond qu’un « travail va démarrer », devant aboutir « pour la fin de l’année ». Pas de détails, car ce travail n’en est pas au stade d’être sur la table des membres du gouvernement, ni du Congrès. Mais l’idée est un plan global rassemblant tous les acteurs décisionnels : Etat, membres et directions du gouvernement, Congrès, justice, provinces, etc. Augmentation des taxes sur l’alcool, durcissement des sanctions, réglementation de la publicité pour l’alcool, interdiction de la vente d’alcool aux mineurs, fermeture des commerces illégaux, prévention ciblée. Tout est envisageable si les élus sont prêts à frapper fort. Sylvie Robineau, chargée de la Santé, assure que la lutte contre les addictions est une priorité du gouvernement. Le travail a d’ailleurs été prémâché. Il existe un plan addictions 2011-2015 bardé de préconisations, mais passé quelque peu inaperçu puisque rendu lors des remous politiques de début 2011. (*) Parmi les 4 324 personnes interpellées ivres, 3 203 ont pu être examinées en cellule par les médecins de garde de l’Association de lutte contre l’ivresse. La loi fait obligation de s’assurer que la personne n’a pas besoin d’être hospitalisée. L’originalité calédonienne est que cela se fait dans les locaux du commissariat.

L’éternel recommencement

Pour les forces de l’ordre, dissuader les gens de consommer de l’alcool dans la rue constitue la première étape pour éviter les problèmes de voisinage, de dégradations en tout genre ou bien encore de risques de bagarres. Et pour l’instant, ce n’est pas la loi qui risque de changer les mentalités. Depuis qu’elle a été votée en 1995, la délibération « relative à la lutte contre l’alcoolisme » n’a pratiquement jamais été appliquée. Pourquoi ? Elle prévoit une amende de 1 000 francs en cas de consommation d’alcool sur la voie publique. « Il faut rédiger un procès-verbal avec l’identité de la personne, que bien souvent nous ne pouvons pas vérifier s’il refuse de nous la donner, indique un policier qui ne préfère pas être cité. Pour faire simple, la procédure est beaucoup trop longue pour une sanction de 1 000 balles », dit-il sans détour. Autre fossé entre ce que prévoient les textes et la réalité : l’ivresse publique et manifeste (IPM) est punie d’une contravention de 10 000 francs. « Mais comme la majorité des personnes que nous interpellons n’est pas solvable, le résultat est quasi nul », se lamente un autre. Bref, l’efficacité pédagogique de la sanction, un concept cher à la justice, reste inconnue à ceux qui sont interpellés en état d’ébriété. C’est pour cette raison que les forces de l’ordre plaident toutes pour une aggravation de la sanction. Pas une hausse des amendes, qui serait tout autant inefficace, mais de la possibilité d’une peine de prison en cas de récidive. « De toute façon, on ne lutte pas contre l’alcoolisme, on gère juste les conséquences », se lamente aussi d’une certaine manière Johann Gognetti, patron de la police municipale, dont la principale activité nocturne des patrouilles se résume à l’interpellation de personnes ivres. A ses yeux, cette mission ne peut cependant pas être remplie correctement. « Le volume des IPM est énorme au regard de nos effectifs », indique-t-il. Autre hic des textes, à ses yeux : l’impossibilité pour les agents de saisir les bouteilles d’alcool encore pleines à disposition des buveurs de macadam. « On ne peut pas non plus les vider nous-mêmes. Alors, on demande souvent aux gens de partir, ce qui ne fait malheureusement que déplacer le problème. » La police municipale compte proposer prochainement aux élus du pays une réforme de la loi.

Le chiffre : 32

C’est le nombre de passages au commissariat central d’un irréductible accro à l’ivresse en six mois, en 2008. Ce même irréductible est venu 23 fois en 2009, en six mois toujours, et 23 fois encore sur les six premiers mois de 2010. On ne sait pas si la palme de 66 passages en 2006 lui est attribuée.

Repères

Profils de buveurs. En 2010, l’Association médicale a relevé trois profils généraux.
- Adulte 20-24 ans : homme, employé ou chômeur, il est né à Nouméa, interpellé ivre un samedi vers 23 heures, et s’il a troublé l’ordre public c’est, en général, par un délit routier.
- Sans domicile fixe : homme, âgé de 35 à 39 ans, né en Nouvelle-Calédonie, chômeur, interpellé un mardi à 15 heures pour ivresse publique et manifeste
- Mineur : homme, âgé de 17 ans, élève ou étudiant, né à Nouméa, interpellé un samedi à 2 heures du matin pour ivresse publique et manifeste, dans 40 % des cas pour atteintes aux biens.   En 2010, l’Association note le pic d’entrées en état d’ivresse au commissariat central de Nouméa à 23 heures, et une activité forte jusqu’à 5 heures du matin. Les arrivées augmentent chaque jour un peu plus au fil de la semaine avec un maximum le samedi.

Horaires étendus. A l’occasion de la visite présidentielle et des Jeux, la municipalité de Nouméa a voulu étendre les plages horaires des placements en dégrisement. Elles sont désormais possibles à partir de 15 heures, au lieu de 20 heures. Une mesure « rendue nécessaire par l’afflux supplémentaire de population », indique Johann Gognetti, patron de la police municipale. De ce fait, la ville a aussi dû mettre la main à la poche pour augmenter les vacations des médecins pour la prise en charge des IPM.

Textes : Bérengère Nauleau et Pierrick Chatel



31/08/2011
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