L’Ordre et la morale fait couler de l’encre
Les Nouvelles Calédoniennes. Publié le mercredi 16 novembre 2011 à 03H00
Comme Le Figaro Magazine (à g.) ou Paris Match (à d.), la presse française se fait l’écho de la sortie du film.
Photos : DR
A la veille de sa sortie dans l’Hexagone ce mercredi, quasiment tous les médias de Métropole se sont intéressés à L’Ordre et la morale. La plupart d’entre eux se penchent sur le film en tant que tel, sur le refus de l’exploitant de le diffuser en Nouvelle-Calédonie ou sur les critiques de Bernard Pons et du général Vidal. Peu se sont lancés dans un décryptage historique. Il faut dire que l’amnistie qui avait suivi a empêché la justice de faire toute la lumière sur l’assaut de la grotte d’Ouvéa et la tentative d’occupation de la gendarmerie.
Le Figaro s’y est néanmoins essayé. L’article, signé de l’ancien rédacteur en chef de L’Hebdo* est de parti pris. Il s’en prend vertement au réalisateur et à l’ancien chef du GIGN. Le journal de droite l’a d’ailleurs intitulé : « Ouvéa : les mensonges de Kassovitz ». Il accuse Kassovitz et Legorjus de « s’afficher (très) à gauche », Legorjus de « schizophrénie » ou, encore, d’avoir été « incapable de diriger l’assaut ». Dans une dernière partie, le rédacteur met carrément en cause l’honnêteté du réalisateur : « Au générique du film, au chapitre des remerciements, on appréciera le soutien apporté - même symbolique financièrement - par la province Nord et la province des Îles, à majorité pro-indépendantiste […]. Une vraie garantie d’objectivité et… d’indépendance ».
Houleux. La semaine dernière, l’émission « Ce soir ou jamais », diffusée sur France 3, a réussi un joli coup. Frédéric Taddei a monté un face-à-face Kassovitz/Legorjus - Vidal/Pons. Après les critiques de ces derniers, le réalisateur s’en est pris à Bernard Pons. « Comment pouvez-vous avoir un avis sur le film alors que vous avez refusé de le voir ? », lui a-t-il demandé.
Ces derniers jours, le quotidien Le Parisien a titré sur le refus de Douglas Hickson de diffuser le film en Nouvelle-Calédonie. Dans l’article, Mathieu Kassovitz met directement en cause Pierre Frogier : « L’exploitant de la salle a reçu des pressions politiques qui viennent de l’UMP, directement du sénateur de la Nouvelle-Calédonie ». Dans nos colonnes, Pierre Frogier a indiqué qu’il n’était pas intervenu pour empêcher la diffusion du film.
Rocard. A la télévision, La chaîne info BFM TV souligne que « Mathieu Kassovitz livre un film qui se veut fidèle à la réalité », mais elle relève que la version « crée la polémique au sein du personnel politique concerné par ce drame ». Le reportage interroge alors l’ancien ministre de l’Outre-Mer Bernard Pons, qui qualifie le film de « caricature ». Michel Rocard contrebalance en indiquant que « le film est cruel mais qu’il semble qu’il est juste ». L’ancien Premier ministre conclut avec plus d’assurance : « Tout ce que je sais confirme. »
Plébiscité. L’Ordre et la morale a raflé la mise au festival du film de Sarlat. Il reçu le prix du public, celui des lycéens et le prix du jury jeune. Le journal Sud-Ouest n’a pas manqué de relever que le maire de la commune est l’ancien ministre de l’Outre-Mer RPR, Jean-Jacques de Peretti. Lors de l’assaut, celui-ci était membre du cabinet de Jacques Chirac. Le quotidien régional note qu’il n’a pas eu l’air choqué par la version de Mathieu Kassovitz : « Il y a des zones d’ombre qui demeurent, j’en ai d’ailleurs parlé avec Mathieu Kassovitz qui semblait d’accord. (…) Si ce palmarès me dérange ? Non. Bernard Pons a mis en cause le travail de Mathieu Kassovitz, certes, mais il n’empêche, je le trouve très bien fait, ce film. »
* Jusqu’au rachat des Nouvelles Calédoniennes par le groupe Hersant, L’Hebdo, réalisé par des proches de Jacques Lafleur, était distribué le jeudi en même temps que le quotidien.
Questions à… Macki Wéa
« Ce film est une libération »
Pour le frère de l’homme qui a abattu Jean-Marie Tjibaou et Yeweiné Yeweiné, ce film ne rouvre pas les plaies, il crève au contraire un vieil abcès.
Comment avez-vous vécu la tournée de promotion du film, que vous venez de terminer ?
Macki Wéa, qui incarne le rôle de son frère, Djubelly Wéa : C’était inimaginable, très intense et très fort en émotion. Nous avons fait des plateaux télés, des émissions radio, des interviews à la presse écrite. La projection en avant-première sur les Champs-Elysées était un moment très fort. Il y avait beaucoup de personnalités politiques, il y avait Marie-Claude Tjibaou que je remercie tout spécialement d’être venue. Elle est marraine du film et Michel Rocard en est le parrain. François Hollande était là aussi. Tous ces gens-là ont parlé de notre pays. J’ai réalisé qu’il avait fallu ce film pour que l’ensemble de la France s’intéresse au peuple kanak, et au-delà, à la Calédonie. Pendant cette semaine, nous n’avons pas arrêté. Mais le moment le plus fort a été la rencontre que nous avons eue, nous les fils ou les frères de preneurs d’otages et de ceux qui ont été abattus, avec les familles des gendarmes tués ou capturés. Il y avait des victimes et des orphelins de part et d’autre. Je peux vous dire que beaucoup de gens ont pleuré.
Avant cela, il y avait eu les avant-premières à Gossanah.
C’était très important de montrer le film d’abord aux habitants d’Ouvéa. Les gens arrivaient souvent en pleurant, et repartaient aussi en pleurant. Il y avait des torrents d’émotion, parfois des moments de colère. Mais en sortant, les gens étaient libérés, apaisés. On a censuré ce film en disant qu’il allait rouvrir les vieilles plaies. C’est faux, il fait mal parfois, et à tout le monde, mais il crève l’abcès. Les gens les plus concernés, comme ceux d’Ouvéa, en sortent en se sentant libérés d’un poids qui pèse sur leurs épaules depuis vingt-trois ans.
Vous incarnez le rôle de votre frère Djubelly qui a assassiné Jean-Marie-Tjibaou après avoir participé aux événements d’Ouvéa. Ça n’est pas un peu lourd à porter ?
C’est très lourd. Mon frère était un guerrier, l’homme des solutions extrêmes. On ne peut pas dire qu’il laissera une trace positive dans l’histoire de la Calédonie. Dans ce film, tout le monde en prend pour son grade, c’est pour ça qu’à mes yeux, c’est un film qui aide à la réconciliation.
Roch Wamytan porte un regard critique sur ce film...
Il dit que c’est un film de Blanc. Peut-être. Moi, je retiens qu’il y a quarante-cinq minutes dédiées aux Kanak, et l’on y trouve aussi notre vision. Peut-être qu’un jour un cinéaste mélanésien aura la notoriété et les moyens de refaire un film sur le sujet. En attendant, celui-là a le mérite d’exister. Il porte un regard sur tous les protagonistes. Ce n’est pas que l’histoire d’Ouvéa, ce n’est pas que l’histoire des Kanak, c’est aussi celle de tous les Calédoniens et même de l’Etat français. Donc c’est notre histoire commune. Un élément du destin commun.
Repères
Sortie limitée le 12 décembreC’est le 12 décembre que le film doit sortir en Calédonie. Et Mathieu Kassovitz devrait revenir pour accompagner et commenter les premières projections. Rien n’est encore définitivement calé puisque le fim ne sera pas diffusé au CinéCity, mais empruntera des circuits parallèles. C’est logiquement Ciné Brousse qui doit récupérer les droits, ainsi que trois copies. Les trois projections programmées le 12 décembre au centre Tjibaou, en présence de Mathieu Kassovitz, se feront à guichet fermé. La troisième sera suivie d’un débat qui sera diffusé sur Internet. La première sera réservée au personnel de l’ADCK, les deuxièmes et troisièmes aux acteurs associatifs, culturels, politiques ainsi qu’aux médias. Le centre Tjibaou n’envisage pas de faire d’autres projections, ouvertes au grand public, en tout cas pas avant l’année prochaine, si le film ne trouve pas de circuit de diffusion important à Nouméa.
Plein air ?
Si les droits et les copies du film sont accordés à Ciné Brousse, c’est surtout en plein air ou dans des maisons communes que L’Ordre et la morale sera diffusé. De leur côté, les acteurs kanak du film emprunteront les voies coutumières pour faire des projections en tribu à partir d’une copie en DVD.
Le circuit de Ciné Brousse devrait passer par les salles de La Foa et de Bourail.
Reste la question de Nouméa et de son agglomération. La FOL ne dispose plus de sa grande salle fermée pour cause de vétusté. En revanche, des projections en plein air pourraient être organisées sur la colline où se trouve le bâtiment, en utilisant un de ses murs et en installant des sièges sur le parking. D’autres pourraient avoir lieu sous un préau à la Vallée-des-Colons.
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