Le débat sur l’école rend sa copie
1 - Respect et solidarité
À la devise de la République (liberté, égalité, fraternité) et aux principes de son école (laïcité, gratuité, droit à l’éducation et à l’instruction), la commission propose d’ajouter la devise de la Nouvelle-Calédonie (Terre de parole, terre de partage) et trois valeurs propres aux communautés du Caillou : le respect, la persévérance et la solidarité. Ce socle fondateur devra donner lieu à « des expressions concrètes dans l’espace scolaire » et nourrir l’école au quotidien, via une charte, des symboles et des documents pédagogiques.
2 - Mission : le destin commun
Cultures locales. Créer un enseignement obligatoire des cultures kanak et « océaniennes » (au sens de non-kanak), 2 heures par semaine, durant la scolarité obligatoire (du CP à la 3e) : coutumes, éléments de langue, géographie, histoire, cuisines, modes de vie d’hier et d’aujourd’hui, découvertes en tribus… Objectif : « lutter contre les préjugés » et prendre conscience « de ce qui rapproche et de ce qui sépare ». La commission plaide aussi pour une plus grande « contextualisation » des programmes.
Langues kanak. Développer leur enseignement : d’abord par une meilleure formation des enseignants et la création d’outils ; ensuite par « l’offre obligatoire d’au moins une langue kanak » à chacun des niveaux du primaire (2 heures en option par semaine) ; enfin par la création d’écoles primaires bilingues françaiskanak (puis de collèges bilingues).
Français. Faire de la maîtrise du français (mal compris par un jeune de 17 ans sur trois) une priorité absolue, en renforçant son enseignement, en lançant un apprentissage du « français langue seconde » et en créant « des dispositifs de remédiation », comme à La Réunion.
Inégalités. L’idée d’un uniforme commun à la Calédonie a été écartée, mais celle d’un uniforme par établissement a été très discutée. La commission recommande de lancer « une grande politique d’accompagnement des élèves », s’inspirant des meilleures initiatives existantes, pour que « les inégalités de départ ne commandent plus la réussite scolaire », objectif « prioritaire » de l’école.
3 - La maternelle dès 5 ans
La commission estime que la maternelle doit dépasser sa mission d’accueil et inculquer les compétences nécessaires en vue du CP. Sans lisibilité sur la diversité actuelle, elle demande un audit sur l’ensemble des structures d’accueil avant 6 ans et la création d’un poste d’inspecteur pour animer ce pôle préélémentaire.
Pour les enfants de 3-4 ans, la commission propose une alternative : soit deux années dans une école maternelle « rénovée », « plus attentive à l’environnement culturel » ; soit deux années dans des « structures alternatives innovantes » (crèches, cases éducatives en tribus…) accordant plus de place « à la langue et aux cultures d’origine », avec des intervenants locuteurs. Objectif : accroître le choix des familles, sachant qu’une entrée après l’âge de 4 ans pénalise la réussite future.
Enfin, pour généraliser la fréquentation et mieux articuler la grande section avec le CP et le CE1, la commission préconise d’avancer la scolarité obligatoire dès 5 ans, année déjà décisive, au lieu de 6 ans.
4 - Vers un socle calédonien
Socle commun. Mettre en oeuvre le socle commun de connaissances et de compétences (du CP à la troisième), via une politique « très déterminée » et « opiniâtre ». La commission s’inquiète que de nombreux élèves quittent le système sans maîtriser ces fondamentaux.
Et recommande la définition d’un socle « calédonien » spécifique, qui reprendrait des éléments du socle national (avec un plus fort accent sur le français et les maths), tout en adaptant deux des sept piliers : celui de la « culture humaniste » et celui des « compétences sociales et civiques ». Tourné vers la citoyenneté et le vivre-ensemble, ce dernier pilier serait étoffé par la connaissance institutionnelle, culturelle et historique du pays et de ses communautés. Il deviendrait « le socle du socle ». Trois paliers d’évaluation auraient lieu en fin de CE1, fin de CM2 et fin de 5e.
Transition. À l’entrée au collège, où trop d’enfants arrivent avec des lacunes, la commission conseille de développer les relations entre les enseignants de CM1-CM2 et ceux de 6e-5e. Ces derniers interviendraient en « nombre réduit » de manière à ce que « les élèves ne perdent pas leurs repères », par rapport au primaire.
Alternatives en 4e-3e. Près du quart des collégiens sont dans de multiples structures alternatives (4e aide et soutien, 3e d’insertion etc.), pas toujours lisibles et « considérées par les élèves comme des voies dévalorisantes ». La commission propose que les élèves de 4e-3e ayant des difficultés suivent des dispositifs de réussite « spécifiques » et « innovants ». Créés dans le cadre de l’autonomie des collèges, avec une petite équipe de professeurs et un fort appui extérieur (MIJ, LP, ALP, CFA, entreprises…), ils viseraient d’abord la maîtrise du socle.
Violence. Créer des « dispositifs relais » (deux ou trois par province), en lien avec la protection judiciaire de la jeunesse, pour prendre en charge les éléments perturbateurs (avec l’objectif d’un retour au collège ou en ALP).
5 - Lycée : la voie professionnelle
Général et technologique. Poursuivre la réforme en cours et évaluer « immédiatement » ses effets. Accroître « l’éducation au choix » pour une meilleure orientation dans le supérieur.
Voie professionnelle. En faire « une vraie voie de réussite » jusqu’au bac pro. Selon la commission, c’est cette voie, plus tournée vers l’alternance, qui permettra d’augmenter sensiblement la proportion de bacheliers calédoniens et de limiter celle des « sans qualification ni diplôme ». Pour sortir du « remplissage » et orienter davantage les LP vers « l’excellence », la commission demande la création de « lycées de métiers », bien identifiés.
BTS. En lien avec l’emploi, accroître les places en BTS, « notamment dans le tertiaire », pour que l’accueil des bacheliers technologiques et professionnels y soit « beaucoup plus important ». Les BTS devraient même leur être « réservés », défend la commission. Objectif : éviter leur arrivée par défaut à l’université, là où ils sont aujourd’hui nombreux et promis à l’échec.
6 - Raccourcir les journées
Rythmes. L’idée-phare est de réduire l’amplitude des journées — « surchargées » — et d’allonger en conséquence celle de l’année scolaire (36 semaines actuellement). Au lycée, la correction locale du bac (2012 ou 2013) faciliterait cette démarche. L’expérimentation de nouveaux rythmes quotidiens est recommandée sur des sites pilotes, durant un à trois ans, sur le mode « cours le matin, activités sportives et culturelles l’après-midi ».
Internats. Faire un « audit immédiat » sur l’état des internats, en vue d’un plan quinquennal de remise à niveau, et lancer de nouvelles constructions (collèges de Nouméa et sa périphérie). Ouvrir tous les internats le week-end, avec l’intervention de personnels spécifiques, d’étudiants et de professeurs pour aider les jeunes. Face au « déterminisme social », étendre les internats d’excellence, lancés cette année en province Sud.
Transports. Créer une commission de régulation dans chaque province ainsi qu’à l’échelle du pays, associant collectivités, transporteurs, parents et personnels éducatifs. « L’état des transports scolaires est très préoccupant […]. Les logiques de marché sont prépondérantes, au détriment de l’intérêt des élèves. […] Il est urgent de modifier entièrement le dispositif », tranche la commission, devant un système de ramassage jugé divers et aléatoire. Objectif : pas plus d’une heure par trajet. Un accueil est sollicité avant et après les cours.
7 - Impliquer les parents
Créer dans chaque école et chaque collège « un conseil de la coéducation » réunissant personnels, élèves et parents. Objectif : dialoguer et monter des partenariats permettant aux parents de s’investir dans l’école. Ouvrir une permanence des parents au sein de l’établissement et délocaliser des réunions en dehors de l’établissement. Nommer un « médiateur » par établissement, pour aider au dialogue et à la gestion des conflits. Concevoir une « mallette des parents » servant de base à un atelier-débat trimestriel en sixième. Créer un « point écoute » avec du personnel formé pour prévenir l’absentéisme et la violence.
8 - Des enseignants sur profils
Incitation. Créer un observatoire dédié à la « gestion prévisionnelle, quantitative et qualitative » des 4 800 enseignants du pays. Tout en maintenant le nombre d’heures d’enseignement, augmenter celui dédié à « l’accompagnement des élèves ». Rendre plus attractifs les postes extérieurs au Grand Nouméa, « dévolus par défaut à des maîtres-auxiliaires », en révisant les procédures d’affectation et de mutation, en passant par « une incitation financière ou des bonifications », une assurance de logement, et « une augmentation des postes à profils ».
Primaire. Pour plus « d’efficience », « fusionner » à terme les dispositifs de formation initiale et continue des enseignants du premier degré (IFM-NC, Enep et IUFM). Dans un premier temps, « mutualiser » et fusionner si possible l’IFM-NC et l’Enep (privé). Insister sur la formation en maths.
Secondaire. Du côté du recrutement local, le constat est rude : peu de candidats pour 22 spécialités à couvrir et des besoins évalués à 840 profs d’ici 2015 (45 % des personnels). Pour inciter les jeunes Calédoniens, un plan d’ensemble est préconisé via des aides financières aux étudiants et la réservation d’un certain nombre de places aux concours nationaux (tout en conservant la barre d’admission). Encourager les maîtres-auxiliaires (19 % des enseignants) à présenter les concours.
Pour le recrutement métropolitain, la création d’une commission permettrait de « sélectionner les dossiers selon des critères liés au contexte ». Une idée forte est d’allonger le séjour de ces expatriés à six ans, au lieu de quatre, « les trois premières années se passant obligatoirement dans l’établissement d’affectation ». Avant leur arrivée, les enseignants suivraient un stage de formation sur la réalité du pays à la Maison de la Nouvelle-Calédonie, puis à Nouméa, puis par zone géographique.
9 - Vers un pilotage territorial
Instaurer, « d’ici cinq ans », une nouvelle organisation, recentrant les responsabilités sur le gouvernement, pour un pilotage plus « efficace et juste » en termes de moyens, et plus de cohérence entre les politiques provinciales. Pour la commission, le partage des compétences et son « enchevêtrement » dans la perspective du transfert, rendent impossible toute politique globale et nuisent « largement aux performances du système éducatif ».
Une « grande politique territoriale d’éducation prioritaire » est fortement préconisée, avec l’octroi de « moyens supplémentaires » dans les établissements difficiles et un « différentiel de rémunération » pour les personnels. En parallèle, une « autonomie » croissante des établissements est souhaitée, ainsi que leur regroupement en « réseaux » géographiques.
Augmenter les forces d’inspection. Restructurer les relations entre le privé et les autorités publiques, pour plus de « transparence » et de « parité » de moyens. Créer une agence libre et « indépendante » pour évaluer et rendre compte de la performance du système éducatif.
10 - Connecter les entreprises
Construire des « liens solides » entre l’école et le monde du travail, dans un contexte où la moitié des demandeurs d’emploi n’a pas de diplôme professionnel. Créer une « fiscalité professionnelle » forte, dédiée à « l’effort de formation ». Chercher à impliquer tous azimuts les acteurs économiques — et les administrations — dans les établissements (parfois comme présidents des conseils d’administration des lycées professionnels).
Demander aux enseignants d’oeuvrer plus directement à l’insertion des élèves.
Créer une commission formationemploi pour établir un schéma quinquennal des formations, en lien avec l’emploi.
Le chiffre
3 700
C’est le nombre de participants aux 210 débats publics organisés sur le territoire entre avril et octobre 2010.
Repères
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La commission
La commission était composée de trente-neuf membres, tous issus de la société civile et de la communauté éducative. Installée en mars 2010 par le gouvernement, voulue « libre et indépendante », elle avait été missionnée pour organiser le grand débat (débats publics, auditions d’experts, d’associations, des syndicats et des partis politiques), en faire la synthèse, puis proposer des recommandations aux élus. Son président était Claude Thélot, spécialiste français de l’éducation, et ses vice-présidents Michelle Durand-Roire (inspectrice en maths) et Octave Togna (vice-président du CES et sénateur coutumier).
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Le rapport sera-t-il appliqué ?
La composition de la commission, sa méthode de travail (avec l’appui de toutes les institutions) et sa large concertation, confèrent à son rapport une grande légitimité démocratique et une force de consensus. Remis au gouvernement le 19 avril dernier, il doit « nourrir » la rédaction d’une loi d’orientation et de programme fondant le projet éducatif calédonien, en vue du transfert du secondaire au 1er janvier 2012. L’heure est donc à l’arbitrage politique. Même si le gouvernement Martin s’est gardé de faire la moindre publicité à ce rapport (en tant qu’initiative « gomésienne »), il semble improbable que nos élus en fassent l’impasse.
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Quel financement ?
Pour mener à bien ses recommandations, qu’elle juge réalisables à court ou plus long terme, la commission reconnaît que « des taxes nouvelles, au moins transitoires » devraient être créées, en complément d’une « réorientation » des moyens existants. Une décision « courageuse » présentée comme « un investissement au profit de la jeunesse ».
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