Le long chemin vers la décolonisation
La première journée
du Séminaire régional pour le Pacifique sur la décolonisation, lancé à la CPS,
a mis en lumière les espoirs mais aussi les difficultés rencontrées sur la voie
de l’émancipation. Le FLNKS, l’entité pétitionnaire auprès des Nations unies,
tout en reconnaissant les efforts accomplis, a dressé une sévère liste des
points à corriger en Nouvelle-Calédonie.
«
Le système colonial a fait des Kanak des anonymes ». La pensée de
Jean-Marie Tjibaou se promène assurément du côté de la CPS, en ce moment. Pour
la première fois en Nouvelle-Calédonie, et la seconde dans un territoire non
autonome après Anguilla en 2003, le Comité spécial de la
décolonisation auprès des Nations unies, dénommé Comité des 24, tient son
Séminaire régional annuel pour le Pacifique, durant trois jours, à Nouméa.
Cette rencontre au sommet, qui coïncide notamment avec la fin de la deuxième Décennie
internationale 2001-2010 pour l’éradication du colonialisme, aidera par ses
travaux le Comité « à évaluer les progrès accomplis en matière de
décolonisation dans le monde et, en particulier, dans la région » note
l’ONU. Les conclusions et recommandations du Séminaire seront examinées par
cette instance des 24 « à sa session de fond de juin », avant
d’être soumises en octobre à l’assemblée générale de la 4e Commission des
Nations unies traitant de ces questions « pour adoption finale ».
La Nouvelle-Calédonie a été ré-inscrite sur la liste des territoires à
décoloniser en 1986. Aujourd’hui, « nous continuons à surfer sur cette
vague » d’indépendances connues dans les années 60, a observé hier Donatus
Keith St Aimée, président du Comité spécial. Mais, en quarante ans, les défis
ont changé. « Un seul territoire », en l’occurrence le Timor oriental,
dans l’actuelle liste composée de seize terres non autonomes, a accédé à la
pleine souveraineté. « Ce n’est pas un résultat dont nous pouvons être
fiers » a ajouté le haut responsable originaire de Sainte-Lucie. Avec les
accords de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998, un processus «
nous engage résolument sur la voie d’une décolonisation préparée, accompagnée
et assumée, qui contraste avec les situations vécues par de nombreuses
anciennes colonies de par le monde », a souligné dans la foulée Philippe
Gomès.
« Un
seul territoire » sur seize a accédé à la pleine souveraineté. « Ce
n’est pas un résultat dont nous pouvons être fiers. »
Si
« un chemin immense » a été parcouru depuis la célèbre poignée de
main, des difficultés demeurent, selon le président du gouvernement. «
Alors qu’en termes de richesse moyenne par habitant, la Nouvelle-Calédonie se
place devant la Nouvelle-Zélande, en termes d’inégalités, son « indice de
Gini », la place aux côtés de la Thaïlande et du Sénégal ». En clair,
des poches de misère subsistent.
Les indépendantistes ont justement tapé du poing, verbalement, dans l’hémicycle
de la CPS. Car des « déséquilibres spatiaux, sociaux, et économiques
persistent ». Dans le chapitre éducatif, « deux tiers de la
population de 14 ans et plus résidant en province Nord et dans la province des
Îles n’ont aucun diplôme », a lancé Victor Tutugoro, du FLNKS, avant
d’aborder la matière économique. « Un ménage résidant en province Sud
a un revenu 1,9 fois supérieur à celui d’un ménage de la province Nord et 2,3
fois supérieur à celui d’un ménage de la province des Îles ». Les Loyauté
où, selon l’indépendantiste de l’UPM, un foyer sur cinq s’éclaire encore à la
lampe à pétrole. Des voix s’élèvent au Front lorsque « 20% des ménages les
plus riches perçoivent 55% du total des revenus déclarés, et la pauvreté
relative touche près d’un Calédonien sur quatre ». Selon d’autres chiffres
de la coalition, 7 000 familles vivent dans des conditions précaires. Si un
effort considérable a été consenti et est aujourd’hui reconnu, ces points
pèsent sur la voie de la décolonisation. Voilà pourquoi le FLNKS, l’entité
pétitionnaire, « continue de solliciter » une aide « pour évaluer
les politiques publiques qui sont en place ». Une expertise afin
d’éclairer le chemin.
Yann Mainguet
La décolonisation, et après ?
Nourri
par des réflexions tant de représentants locaux que de dignitaires étrangers,
ce Séminaire régional de l’ONU sur la décolonisation tombe à point nommé dans
le calendrier. L’année 2010, dépourvue d’élections, est tout d’abord propice à
la concentration sur les conditions de transfert de compétences et autre sortie
de l’accord de Nouméa. Et cette rencontre programmée par les Nations unies
intervient juste avant le Comité des signataires au cours duquel les
discussions seront forcément politiques. Certes, mais sur quelle voie ? «
Il faut que, bien avant 2014, s’ouvrent des discussions pour que la
consultation prévue par l’accord de Nouméa se traduise par un résultat approuvé
par une très large majorité des électeurs », avait souligné le président
de la République Nicolas Sarkozy, en début d’année, lors des vœux à la France
d’outre-mer. Reste à préciser l’essentiel, le plus délicat et difficile :
définir le cadre. « La décolonisation peut avoir plusieurs facettes comme
l’indépendance ou la libre-association », a souligné à la CPS, Donatus
Keith St Aimée, président du Comité spécial, en marge des discours officiels. «
La décolonisation est l’expression de la volonté du peuple ». Et
justement, sur ce terrain souvent complexe, « la créativité » est la
bienvenue. Pour Philippe Gomès, lors de son intervention, « nous avons
rendez-vous avec nous-mêmes pour revisiter le lien qui nous unit avec la France
et le reconstruire conformément à notre histoire et aux réalités de notre temps
».
Ce lien futur avec Paris passe inévitablement, a rappelé Victor Tutugoro, par
une consultation sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences
régaliennes ainsi que sur « l’accès à un statut international de pleine
responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Ce
point a été souligné à voix haute lors du Séminaire mais aussi durant les
rencontres ministérielles il y a peu à Paris à l’invitation de Marie-Luce
Penchard. Entrevues au cours desquelles « l’État nous a demandé de
réfléchir sur les différentes formules » pouvant s’établir en sortie de
l’accord, pointe Rock Wamytan. En clair, il faut regarder ici et là sur la planète,
dès aujourd’hui, les différents schémas possibles. « En 2014, nous serons
arrivés pratiquement à un État associé », ajoute le président du groupe
FLNKS au Congrès. « Si quelque chose doit être discuté après - je dis bien
« si », éventuellement -, il faut que l’on aille plus loin que cette
étape-là ». Cette proposition, peut-être accrochée d’une manière ou d’une
autre à la consultation, devrait alors selon le vœu de Nicolas Sarkozy
rassembler « une très large majorité des électeurs ».
Dehors, la grogne monte
La
pelouse à l’entrée de la CPS avait hier matin des allures de terrain de
pique-nique improvisé. Chaises, sandwichs, et portables à l’oreille... car le
temps était bien long pour ces déçus. Le motif ? Une non-participation au
Séminaire régional de l’ONU. Dans ce groupe de mécontents, figuraient des
représentants du Sénat coutumier et du Conseil national du peuple autochtone
ayant reçu là le soutien du ténor du Parti travailliste et de membres du Palika
et de l’Union calédonienne. Au centre de ce petit monde, le sénateur du fenua,
Richard Tuheiava, et surtout le leader indépendantiste polynésien, Oscar
Temaru, étaient des plus remontés. « Nous sommes d’une colonie française du
Pacifique comme la Nouvelle-Calédonie, tempête l’actuel président de
l’assemblée. Nous étions sur cette liste des pays à décoloniser jusqu’en
1946, et De Gaulle nous en a virés, comme la Nouvelle-Calédonie en 1947 !
» Ce Séminaire, voilà « une opportunité. Il faut que l’on y aille !
Nous avons adressé un courrier au comité organisateur, il n’y a pas eu de
réponse ». Le souhait est là, « nous exprimer d’une façon
pacifique ».
A découvrir aussi
- Des bénévoles en quête de reconnaissance
- Charles Juni, travailleur indépendant
- Situation politique en Nouvelle - Calédonie: Ils ont répondu à vos questions
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 209 autres membres