Le retour d’Ataï ?
Publié le jeudi 07 juillet 2011 à 03H00, Les Nouvelles Calédoniennes.
Le crâne du grand chef, qui pourrait bientôt retrouver sa terre natale.
Quatre lettres, tracées au crayon noir sur une boîte crânienne découpée, lèvent une énigme de plus d’un siècle : « Ataï ». Si l’identité est scientifiquement authentifiée, la découverte est d’une portée considérable en Nouvelle-Calédonie.
Le moulage de la tête du guerrier kanak ainsi que son crâne sont conservés dans les réserves du musée de l’Homme à Paris, signale le magazine du Nord calédonien Le Pays dans son dernier numéro. « Je ne peux pas vous dire à quel point je suis content, se réjouit Bergé Kawa, descendant du célèbre rebelle. Je n’ai pas de doute (sur l’authenticité de cette pièce). »
L’écho dépasse bien entendu le cercle familial, « C’est très important pour le peuple kanak, pour la lutte du peuple kanak, ajoute le grand chef basé à la tribu de Petit Couli. « Aujourd’hui, on parle beaucoup d’avenir ensemble, mais comment peut-on faire l’avenir ensemble avec des gens qui ont découpé la tête de quelqu’un qui a donné sa vie pour le peuple kanak ? Rendre la tête est un signe d’apaisement et permet la réconciliation ». Et le retour de l’ancêtre sur ses terres est aujourd’hui envisageable.
Restitution.
Oui, la tête d’Ataï pourrait revenir sur le Caillou. Michel Van Praët, professeur au musée de l’Homme, indique qu’il suffit que le territoire ou les descendants du grand chef tué en 1878 en fassent la demande.
Pour l’instant, aucune démarche dans ce sens n’a été faite, selon des recherches menées à Paris. La Nouvelle-Calédonie faisant partie de la République française, aucune loi de restitution ne serait exigée, comme ce fut le cas pour les têtes maories restituées à la Nouvelle-Zélande.
D’ailleurs, après le geste fort de la France envers le pays kiwi, le comité de soutien calédonien à Ataï ne doutait pas, à son tour, d’un rebondissement dans sa démarche. « Les restes humains sont des propriétés nationales, observe Michel Van Praët. L’affectataire, qui en a la charge d’entretien actuellement, est le muséum. On peut très bien imaginer que cela devienne le Centre Tjibaou. Nous sommes complètement ouverts si la demande nous est faite ».
Fondation.
Ces propos sonnent comme une évidence en Calédonie, « Je n’ai pas de doute. Il faut que le crâne revienne chez lui, argue Bergé Kawa. Comment parler de coutume quand le crâne de celui qui a donné sa vie pour cette coutume n’est jamais revenu ? » Le grand chef et descendant estime « que ce retour peut se faire rapidement, d’ici la fin de l’année cela me semble possible. La balle est dans le camp de l’Etat. »
Dès aujourd’hui, du côté de la tribu de Petit Couli, des projets prennent, du coup, un relief particulier. Idée ancienne, une stèle à la mémoire d’Ataï pourrait s’élever à l’embranchement de Farino et Sarraméa. Quant à la tête, il faudrait « la mettre en sûreté », dans un musée ou un établissement sécurisé.
Le coutumier Kawa souhaite également la mise en place d’une fondation « qui servirait à reclasser les clans, les familles et, éventuellement, réclamer des dédommagements ». Etape essentielle aux yeux des habitants, un inventaire des terres avant la colonisation devra être finalisé. La découverte de la tête d’Ataï n’est pas seulement l’aboutissement d’un long mystère.
Une histoire sanglante et une disparition mystérieuse…
La terre. Tout est parti de ce trésor des ancêtres. En 1877, soit vingt-quatre ans après la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France, la sécheresse sévit. Le bétail affamé détruit les cultures indigènes, des lieux sacrés sont profanés. Cette expérience est vécue par les Kanak comme une humiliation de plus. « Le grand chef Ataï, expulsé de sa terre par la colonisation, déclare au gouverneur français Olry à Teremba, en déversant d’abord un sac de terre : “ Voilà ce que nous avions “, et ensuite déversant un sac de pierres : “ Voici ce que tu nous laisses “, écrit l’historienne et ethnographe Roselène Dousset-Leenhardt. Au gouverneur qui lui conseille de construire des barrières pour protéger ses cultures des dégâts commis par le bétail des colons, il répond : “ Lorsque les taros iront manger les bœufs, je construirai des barrières. “ Ses efforts pour s’entendre avec les Blancs ayant été vains, Ataï choisit la lutte armée ».La révolte de 1878 éclate. Le grand chef kanak opposé aux colons français est tué le 1er septembre 1878 par un auxiliaire de Canala. Considérée comme un trophée, « sa tête est envoyée à Paris et conservée au Muséum d’Histoire Naturelle, indique la fille du pasteur et grand ethnologue Maurice Leenhardt. Puis le mystère s’épaissit. Le crâne du guerrier est annoncé perdu, ou détruit pendant la Seconde Guerre mondiale dans l’hôpital militaire de Brest bombardé, ou encore anéanti dans le musée du Havre lorsque la ville a été rasée en 1944. Pour Bergé Kawa, l’an passé, « beaucoup de gens l’ont vue (cette tête) au Trocadéro, c’est ce qu’ils ont dit ».
En fait, il fallait semble-t-il bien chercher à cet endroit, dans les réserves du Musée de l’Homme.
Est-ce le bon crâne ?
Au musée de l’Homme, l’émoi autour du crâne d’Ataï étonne un peu. « Il n’a jamais disparu. Dire que l’on vient de le retrouver est une non-information. Je dirais plutôt qu’aujourd’hui, la position du musée est d’être ouvert sur l’extérieur. Il est tout à fait possible qu’il y a cinq ou dix ans, le collègue qui était à ma place ne voulait pas perdre son temps et répondait que le musée ne savait pas où il se trouvait », explique Michel Van Praët. Ce professeur, également en charge du projet de rénovation du musée, regrette par ailleurs « le bruit de fond, entretenu notamment par le musée du Quai Branly, disant que les collections du musée de l’Homme n’étaient pas bien gérées »Le musée fait d’ailleurs confiance à sa chaîne de documentation jusqu’à l’entrée du crâne dans ses locaux. Il lui avait été remis par un officier, qui, lui-même, l’avait reçu de la communauté à l’origine de la mort d’Ataï. Reste que le crâne n’a pas fait l’objet de vérifications scientifiques.
« Il faudrait obtenir l’accord du descendant direct pour lancer une étude ADN. Et prélever une dent du crâne afin de comparer les ADN. Mais cette démarche peut aussi ne pas aboutir sur le plan scientifique car l’objet est relativement ancien, » précise Christophe Sand, directeur de l’institut d’archéologie de la Nouvelle-Calédonie. Pour en avoir le cœur net, Bergé Kawa, descendant d’Ataï, se dit pourtant « prêt à faire un test ADN pour que l’on prouve scientifiquement qu’il s’agit bien de sa tête. »
Un si long voyage
La tête d’Ataï a été remise, en même temps que celle d’un sorcier, par un officier médecin de Marine, dénommé Navarre, en 1879, à Paul Broca de la société d’anthropologie. Elles lui avaient été offertes par des « auxiliaires indigènes » qui avaient tué le leader de l’insurrection, Ataï. Lors d’une séance du 25 octobre 1879, Paul Broca a présenté ces têtes à la société d’anthropologie. M. Navarre, les avait scellées dans des boîtes de fer-blanc remplies d'alcool phéniqué. « Ces pièces sont arrivées ici dans un parfait état de conservation », révèle le compte rendu de la séance.Les chercheurs se servent de la tête d’Ataï pour réaliser un masque mortuaire. En 1952, le crâne et le masque sont cédés avec toutes les collections de la société d’anthropologie au Muséum d’histoire naturelle, dont fait partie le musée de l’Homme. Celui-ci n’a donc jamais eu la tête d’Ataï.
Comme le musée avait sa propre collection aucune recherche n’est alors réalisée sur les pièces récupérées de la société d’anthropologie.
Le crâne et le masque sont donc restés dans des caisses jusque dans les années 70, lorsqu’un nouvel inventaire complet a été réalisé et a permis de retrouver la tête d’Ataï.
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