Les drapeaux tricolore et kanak font déjà la paire
La proposition de Pierre Frogier de faire coexister les
deux drapeaux suscite de nombreuses réactions, surtout là où cette idée
surprend. Mais dans le Nord, la cohabitation des deux bannières est déjà un
grand classique, depuis longtemps.
Faire flotter côte à côte, au fronton des mairies, le drapeau bleu, blanc, rouge et le drapeau FLNKS fait partie des habitudes dans la quasi-totalité des communes du Nord.
Sur dix-sept communes, il n’y a que Koumac qui n’affiche pas les deux drapeaux. À Poindimié, ils flottent ensemble au moins depuis 1989, année de la première élection de Paul Néaoutyine à la tête de l’exécutif municipal. Pour l’anecdote, il arrive parfois que se trouve seulement le drapeau tricolore, mais ce n’est pas par volonté municipale. C’est que le drapeau Kanaky a été volé. Et cela arrive assez régulièrement.
De mémoire d’agent municipal, le cas de figure inverse ne s’est jamais produit. « Le drapeau français n’a pas la cote par ici », s’exclame un agent.
S’il n’y a aucun drapeau aujourd’hui à Houaïlou, c’est là encore pour des raisons de vol, cette fois des deux pavillons. À Hienghène, le maire, Daniel Fisdiepas, se souvient avoir fait cohabiter les drapeaux depuis son premier mandat, en 1995. Parfois, il n’y a pas de drapeau devant la mairie, à l’exemple de Poum où le maire, Henriette Hmaé, souligne néanmoins que les deux vont de pair « lors de chaque cérémonie officielle ». Parfois sous la forme de deux rubans mariés, lors d’une inauguration.
Si l’habitude est prise dans le Nord, il n’est en revanche pas évident de faire s’exprimer ouvertement les gens sur le sujet. Un militant de longue date du Palika, âgé de 52 ans, entame : « Dans le Nord, on n’a pas attendu la proposition de Frogier pour mettre ensemble le drapeau bleu, blanc, rouge et celui du FLNKS. C’est dans le Sud qu’il faut que ça avance. On a levé notre drapeau FLNKS quand on militait pour la cause. C’est comme pour tous les peuples qui luttent dans le monde, il fallait un symbole. Faire flotter les deux drapeaux peut constituer une étape intermédiaire dans le cadre de l’accord de Nouméa. Ensuite, il faudra se mettre autour d’une table pour aboutir à un drapeau commun. »
« On sait très bien qu’en
Calédonie, chacun doit faire la part des choses pour aller vers le vivre
ensemble. »
Autre génération, mais discours similaire, avec Sonia Koa-Tayba, 25 ans, de la tribu de Tiéti. « Je ne sais pas comment ils font dans le Sud, mais ici il y a déjà les deux drapeaux et ça ne dérange personne je crois. En tout cas pas moi. Pour le futur drapeau, je pense qu’il ne faut conserver ni l’un, ni l’autre. Pas de jaloux, il faudra en créer un nouveau comme on va le faire pour les billets de banque. »
Inversement, ce militant du Rassemblement-UMP de Poindimié souligne : « Mon drapeau est le drapeau français. Mais on sait très bien qu’en Calédonie chacun doit faire la part des choses pour aller vers le vivre ensemble. La proposition de Pierre a choqué beaucoup de monde, y compris moi, car on ne s’y attendait pas. Mais on peut lui faire confiance dans ses choix politiques. On veut garder notre drapeau français et les indépendantistes le leur. Si on met en place un nouveau drapeau, on risque de se retrouver avec trois. Je connais beaucoup de petits Kanak qui se promènent avec le drapeau Kanaky sur eux sans être indépendantistes. On voit ici, sur la côte Est, que les mentalités ont changé et que le drapeau Kanaky est plus une reconnaissance identitaire qu’une revendication politique. »
Xavier Heyraud
Les Nouvelles Calédoniennes, 12 mars 2010
« Mettre tout le monde d’accord »
Témoignage de Gilles Reiss, 50 ans, né à Nouméa et
habitant Poindimié.
Les Nouvelles calédoniennes : Que pensez-vous
de l’affichage des deux drapeaux au fronton des mairies ?
Gilles Reiss : Personnellement, le drapeau Kanaky me plaît bien tel quel. Il représente bien, dans sa symbolique des couleurs et des choix de dessin, tout ce que pourrait être la bannière de tous les Calédoniens. Mais, bien évidemment, ça pose problème à ceux qui veulent garder l’héritage de la souveraineté nationale française. Je sens que pour décrisper les choses il faut passer par ce premier stade de cohabitation des deux drapeaux. Un stade auquel on est complètement habitués en province Nord puisque toutes les mairies les affichent déjà, ce n’est pas une nouveauté.
Croyez-vous qu’il soit possible de n’en réaliser
qu’un à partir de ceux existant ?
Pour avoir observé des jeunes plancher sur l’illustration du préambule de l’accord de Nouméa (*), à propos des signes identitaires, et donc du drapeau, ils ont cherché à combiner dans tous les sens du bleu, blanc, rouge et les insignes et symboles du drapeau Kanaky, et ça ne fonctionnait pas du tout. Ils se sont alors découragés. Finalement, le texte en lui-même, porteur des valeurs d’un destin commun et d’une nouvelle nation à créer, les a mis devant l’évidence de proposer une nouvelle bannière, de nouvelles couleurs, de nouveaux signes pour mettre tout le monde d’accord sous le même drapeau.
Pour vous, le processus, à terme, est d’aboutir à un
seul drapeau ?
Oui, d’autant qu’on ne peut pas continuer à se rendre dans des rendez-vous internationaux avec deux drapeaux. Il n’en faudra qu’un de toute manière. Mais une fois encore, si on me demande mon avis, j’aime bien le drapeau Kanaky qui me semble représenter les valeurs de tout le monde. De toute manière, le jour où ce pays deviendra souverain, il sera toujours temps d’en changer.
* : allusion à une publication de l’association Mêrê A’Xéré avec Graphynord, fin 2009.
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