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Un problème de classes

 

Calqués sur l’origine sociale des élèves, les résultats scolaires font aujourd’hui le grand écart. Même si le niveau général progresse, l’école cherche des solutions pour accélérer l’ascenseur social.

Au lieu d’un nuage de points épars, le graphique dessine une ligne droite inquiétante. « Sur la seule base du taux de boursiers d’un collège, on peut deviner de façon quasi certaine son taux de réussite aux évaluations à l’entrée en sixième. » Michel Martz, proviseur vie scolaire au vice-rectorat, est formel : « Plus qu’ailleurs en France, le poids des inégalités sociales est aujourd’hui déterminant dans la réussite scolaire. »
A mi-chemin de la scolarité obligatoire, ces tests de sixième sont symptomatiques du grand écart de notre système éducatif, en révélant – sans même intégrer le secteur privé – une énorme dispersion des résultats à la fois entre les élèves, entre les établissements et entre les provinces.

Trio. En 2011, sur près de 3 500 élèves, un quart affiche moins de 40 % de réussite, et un quart dépasse les 75 %. « Les premiers ont déjà très peu de chances d’avoir leur bac, tandis que les seconds l’auront à 90 % », commente Michel Martz. Par province, les jeunes des Îles et du Nord obtiennent 48 % et 53 % de réussite en français, contre 61 % pour ceux du Sud (42 %, 48 % et 61 % en maths). Les taux de boursiers suivent un classement inverse : 35 % dans le Sud, 65 % dans le Nord et 80 % aux Loyauté.
Témoins d’une mixité très aléatoire, ils s’écartèlent même de 10 % à 90 % selon les établissements, dont les résultats en sixième sont tout aussi éclatés : à peine 35 % de réussite en maths pour les collèges au public le plus défavorisé (côte Est et Îles), contre 70 % et plus pour le trio des collèges « aisés » de Nouméa (Tuband, Magenta et Mariotti), loin devant Baudoux (60 %), quatrième, à peine au-dessus d’une moyenne territoriale (57 %) qui ne signifie plus grand-chose.

Plus on s’éloigne du centre de Nouméa, plus les résultats moyens des collèges baissent.

Aggravant. Un constat saisissant que Michel Martz résume ainsi : « Plus on s’éloigne du centre de Nouméa (où les résultats sont comparables aux moyennes métropolitaines), plus les résultats moyens des collèges baissent. Ces différences sont calquées sur les catégories socioprofessionnelles des parents, même s’il ne faut pas nier le poids culturel et la plus grande distance des familles de Brousse vis-à-vis de l’école. » Souvent superposée à ces handicaps, la mauvaise maîtrise du français joue alors en « facteur aggravant », souligne Gérard Malaussena, adjoint à la direction de l’enseignement de la province Sud.
En ville, l’apparition de logements sociaux (Portes-de-Fer) ou une nouvelle sectorisation (Nouville et Vallée-du-Tir vers Baudoux) entraînent des chutes immédiates de performance des collèges. « D’après le dernier recensement, si l’on prend les pourcentages par commune des diplômés de l’enseignement supérieur et les pourcentages des ménages qui ont une voiture, on retrouve exactement la même carte », enfonce Michel Martz.

Rattrapage. Certes la dynamique de fond est à la hausse du niveau général (lire « Le chiffre »). L’Isee recense désormais 21-23 % de bacheliers chez les 20-29 ans dans les Îles et le Nord (contre 13 % chez les 40-49 ans), et 49 % dans le Sud (37 % chez les 40-49 ans). « La progression est plus rapide dans les Îles et dans le Nord, ce qui indique que l’ascenseur social y fonctionne mieux. Certes on y part de plus loin, mais il y a un réel rattrapage, souligne le vice-rectorat. Dans quarante ans, la donne aura complètement changé. »
Cette interprétation optimiste ne saurait éluder la réalité. Celle d’un pays dont les inégalités sociales s’accroissent, et dont le taux d’accès d’une génération au bac reste scotché à 45-50 % depuis dix ans (65 % en Métropole). Plus que jamais, l’école de l’égalité des chances a du pain sur la planche.

Sylvain Amiotte

 

 

30

D’après le recensement de 2009, 30 % des Calédoniens âgés de 15 ans et plus ont le bac, contre 17 % en 1996. Ce taux est de 35 % dans le Sud, 14 % dans le Nord et 12 % dans les Îles.

 

 

 

Quelles solutions pour corriger le système ?

Pour combattre la « reproduction sociale », le vice-rectorat voit trois solutions. D’abord un pilotage global fixant un cap clair à tous les acteurs, via l’objectif de 65 % de réussite d’une classe d’âge au bac (50 % aujourd’hui) et de 100 % de maîtrise du socle commun en troisième. « Le vice-recteur a ainsi une politique volontariste pour le passage en seconde générale et technologique, qui augmente de 2 % par an », illustre Michel Martz.
Ensuite, au niveau de chaque établissement, le vice-rectorat met en œuvre une politique d’éducation prioritaire, en affectant plus de moyens aux collèges du Nord et des Îles : le ratio varie de 1,2 heure d’enseignement par élève dans les collèges du centre de Nouméa, à 2 dans les collèges difficiles de Brousse. Mais, selon Michel Martz, ces moyens sont trop souvent utilisés pour réduire les effectifs (23 par classe dans le Sud, 20 dans le Nord et les Îles), « ce qui n’a pas d’efficacité réellement démontré sur les résultats », alors qu’ils devraient davantage servir à développer des dispositifs d’accompagnement éducatif.
Voilà la troisième solution, fortement préconisée dans le rapport de la commission du Grand débat : l’individualisation des réponses dans la salle de classe, selon les besoins de chaque élève. Si des heures d’accompagnement ont été créées au secondaire depuis deux-trois ans, cette démarche a « encore une grande marge de progression », selon Michel Martz, qui y voit le secret de la réussite scolaire finlandaise. Les Programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE) sont notamment sous-développés.
Si l’école ne peut pas tout corriger, d’autres efforts gagneraient à être réalisés, et ce dès le primaire, où l’essentiel se joue, que ce soit sur l’affectation des enseignants par profil, les langues kanak ou les rythmes scolaires, ainsi que sur l’environnement en-dehors du temps scolaire : les transports, les internats et l’implication des familles. Autant de points aujourd’hui créateurs ou amplificateurs d’inégalités. Enfin, selon le rapport Thélot, le partage des compétences, notamment entre provinces, nuit fortement aux résultats et à toute politique cohérente et juste.

 

 

 

Repères

Le grand écart nouméen
Nouméa affiche un taux de bacheliers de 43 % chez les 20-29 ans. Par quartiers, les disparités sont énormes : 70-75 % dans les quartiers sud (Ouémo, Val-Plaisance, Motor Pool), 45-55 % dans les quartiers intermédiaires (Vallée-des-Colons, Portes-de-Fer, Faubourg-Blanchot, Magenta), contre 25-30 % dans les quartiers populaires (Nouville, Vallée-du-Tir, Rivière-Salée et Normandie), et 10-15 % à Montravel, Tindu et Kaméré.

Bilan mitigé dans les écoles prioritaires
Instaurées en 2006, les écoles prioritaires de la province Sud sont passées de 51 à 25 (100 écoles au total). Dans ces écoles choisies selon six critères (dont le taux de boursiers et l’absentéisme), les classes ne dépassent pas 25 élèves (20 en CP) et 18 maîtres surnuméraires y tournent en renfort. L’accompagnement extra-scolaire y concerne 20 % des élèves (5-10 % ailleurs). Une rémunération complémentaire est accordée aux enseignants pour les inciter. Mais depuis cinq ans, « les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens investis », constate la province.

« La solution vient des internats »
Selon l’UGPE, « les faibles résultats dans le Nord et les Îles sont dûs aux difficultés sociales, affirme Yamele Kachocho.
Les familles n’ont pas de voiture, les enfants partent en bus à 5 heures du matin. Ils n’ont ni Internet, ni de livres, de journaux… Il faut concevoir autrement les internats, en lien avec les familles : les ouvrir le week-end, avec de l’aide personnalisée, une bibliothèque. Il faut aussi cesser de n’envoyer en Brousse que les instituteurs non expérimentés et les maîtres auxiliaires, ce qui est aberrant. »

 


06/06/2011
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