« L’art aborigène est resté intact pendant 40 000 ans »
Publié le vendredi 26 octobre 2012 à 03H00
Alors qu’à Paris le musée du Quai Branly met en lumière la peinture aborigène pendant trois mois, une autre exposition non moins exceptionnelle s’ouvre aujourd’hui au Méridien. Décryptage d’un art encore peu connu avec le galeriste Didier Zanette.
Les Nouvelles calédoniennes : Vous consacrez une nouvelle exposition à la peinture aborigène en même temps que le musée du Quai Branly. Peut-on parler de coïncidence ?
Didier Zanette : Eh bien oui, puisque l’exposition du Méridien était prévue de longue date. On en avait fait une il y a deux ans et il était prévu d’en refaire une autre. Hasard du calendrier, le Quai Branly a choisi de faire une rétrospective sur l’histoire de l’art aborigène. Elle est centrée sur le désert australien de Papunya, une région où cet art a démarré, dans le sens contemporain j’entends. C’est-à-dire en plein dans les années 70.
Comment cet art ancestral s’est-il fait connaître ?
C’est un professeur de dessin australien qui s’est rendu dans ce désert et a demandé aux anciens de peindre sur un support occidental. Au début, il n’y avait qu’eux qui peignaient. Il faut être initié pour peindre des motifs iconographiques. Puis cet art s’est décomplexifié et on parle maintenant d’une nouvelle génération, le « New beginnings ». Le Quai Branly s’est consacré aux peintures des premiers artistes. Tandis que notre exposition au Méridien parle de l’origine, mais aussi des artistes d’aujourd’hui.
Quel était le sens premier de ces peintures ?
On parle du dreaming time, cette idée de peindre la création du monde, des rivières, des rochers… Ils peignaient au départ sur leurs corps pour avoir une relation avec les esprits. L’acte de peindre est plus fort que la réalisation finale. Les aborigènes sont l’un des plus vieux peuples du monde. On parle de 80 000 ans d’histoire dont 40 000 ans de peinture, ancrés dans le désert australien. A titre de comparaison, les peintures rupestres de Lascaux, c’est 17 000 ans. Or, pendant 40 000 ans, ils n’ont eu aucune influence extérieure. Ils n’ont été découverts qu’au milieu des années 1950. Pendant toute cette période, leur art est resté intact.
Comment expliquer que cet art ancestral soit si contemporain ?
C’est ça le génie de ces artistes : c’était beau il y 40 000 ans et ça l’est toujours aujourd’hui. Ils sont sans cesse en train de renouveler des techniques. Ils se sont appropriés l’acrylique de manière très rapide car avant, ils ne peignaient qu’avec des pigments. L’évolution a eu lieu avec des artistes qui se sont un peu libérés des carcans culturels, même s’ils continuent à peindre leurs motifs iconographiques. Les couleurs sont plus vives, les motifs plus hypnotiques. Ils sont plus orientés vers l’abstraction.
Cette peinture commence-t-elle à se faire connaître ?
C’est un art qui est reconnu par l’ensemble des musées du monde car c’est un courant artistique assez exceptionnel. Mais aujourd’hui, grâce au musée du Quai Branly et à certaines expositions qui vont avoir lieu par la suite, on le fait connaître au public. L’art est le meilleur moyen pour ce peuple de se faire connaître.
Y a-t-il des artistes qui ont percé ?
La majorité des artistes que nous présentons au Méridien sont connus internationalement. Ils sont présents dans de nombreux musées à Londres, Singapour… Presque tous ceux que nous présentons sont encore en vie. Certains ont 85 ans, comme Kudditji Kngwarreye. On parle bien de la première génération. Ces artistes sont aussi présents au Quai Branly.
Comment êtes-vous parvenu à acquérir des œuvres aussi exceptionnelles ?
Ce sont quinze ans de travail en Australie et l’expérience du terrain qui permet d’avoir accès à des artistes intéressants à des prix encore abordables. Comme ce sont des toiles qui ont surtout été collectionnées jusque-là par les musées, les prix n’ont rien à voir avec ceux de l’art contemporain. Une toile de Rothko (un peintre américain mort en 1970, NDLR) s’est vendu 83 millions d’euros en juin, alors qu’une peinture de Kudditji de la même taille fait 4 000 euros.
Sur les photos livrées avec les toiles, on voit ces artistes vivant dans des conditions très modestes. Les galeristes profitent-ils du système ?
Non, parce qu’il y a des règles qui entourent ce marché. Avec les artistes vivants, c’est 60 % pour eux, 40 % pour la galerie, voire 30 % si la toile est en dépot-vente.
Quels sont ceux que vous présentez au Méridien ?
Nous faisons découvrir une trentaine d’artistes, présents dans les livres de références, comme Timothy Cook, Mabel Juli, Emily Kngwarreye ou encore Gloria Petyarre, qui a été choisie par la maison Hermès pour dessiner une écharpe.
Certains de ces artistes seront-ils présents au cours de ces deux semaines d’exposition ?
Je devais en accueillir deux mais malheureusement, l’exposition a été reportée et ces deux artistes ne sont plus disponibles à cette période.
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