Le pacte social a dix ans
En
ce temps-là, les conflits sociaux étaient systématiquement synonymes de
blocages, de cadenassage et de violences. C’était le règne des bâches
bleues et des gros bras. Certains syndicats ou manifestants n’hésitaient
pas à lancer des bâtons de dynamite sur les gendarmes, comme à
Fonwhary. À barrer les rues et isoler des quartiers, comme à Rotocal. À
s’intimider les uns les autres, parfois à coups de feu tirés en l’air,
comme lors du conflit Cellocal. C’était l’époque ou, même à l’Usoenc, on
sortait parfois les cagoules pour faire le coup de force.
20 octobre
2000, 20 octobre 2010. Il y a tout juste dix ans, les acteurs
politiques, les syndicats de salariés (à l’exception de l’USTKE) et les
organisations patronales signaient aux forceps un pacte social. Le
président du gouvernement de l’époque était Jean Lèques. L’homme en
charge du dossier s’appelait Philippe Gomès. Mais le grand patron était
Jacques Lafleur. Et c’est lui qui, peu après, avait décrété d’un coup
d’un seul, parce que la CSTNC venait de saccager le rond-point
Berthelot, de porter le SMG de 78 000 à 100 000 F. Torpillant du même
coup une longue et laborieuse négociation.
C’est dire si cette
signature n’a pas tout chamboulé en un jour. Des conflits violents, la
Calédonie en a connu plusieurs dans la décennie qui s’achève. Au port
autonome, à la SLN, à Presto Pizza, à Holcim, Carsud et Aircal.
Il
n’empêche. Dix ans plus tard, la manière de pratiquer la revendication
sociale a fondamentalement changé. Depuis deux ans, le nombre de jours
de grève est en chute libre. Les bâches bleues et les cadenas ont
quasiment disparu du paysage calédonien. L’évolution des mentalités
impulsée par le pacte social y est pour quelque chose, même si le
maintien de l’ordre public, restauré par l’Etat, y est pour beaucoup.
Le SMG a quasiment doublé en dix ans, et l’économie n’est pas en faillite.
Le SMG a quasiment doublé en dix ans, et l’économie n’est pas en faillite.
« Quand l’augmentation du SMG à 100 000 F a été négociée, le
patronat prédisait les faillites en cascade et l’effondrement de
l’économie », se souvient Philippe Gomès. « En réalité la croissance n’a jamais été aussi bonne et les revenus du capital ont progressé plus vite encore. »
Aujourd’hui,
le SMG vise la barre des 140 000 F et la faillite collective ne se
profile toujours pas. Le pacte social a accouché d’un Conseil du
dialogue social. L’USTKE, quoique non-signataire, l’a rejoint.
On y
parle conditions de travail, intéressement, harcèlement moral,
valorisation des bas salaires, formation professionnelle. Et l’objectif
du gouvernement, qui a vraiment relancé le chantier en 2006, est
clairement d’inciter les grands syndicats à se structurer, à se
professionnaliser. Il s’agit de privilégier les grosses structures,
disposant de matière grise, sur les groupuscules tentés par l’action
violente et le « syndicalisme de rupture ».
Car le dialogue,
dès lors qu’il est mené par des interlocuteurs de poids, est synonyme
de programme social quand les conflits tous azimuts sont, eux,
sanctionnés par un recul économique, voire des licenciements.
Aujourd’hui,
toute une journée de colloque est organisée salle Venezzia à Nouméa.
Pour fêter les dix ans d’existence du pacte social bien sûr. Mais aussi
pour mesurer le chemin parcouru, retracer les grandes évolutions, et
tracer les perspectives de ce qui reste à faire. Concernant l’emploi
local, la compétitivité, la systématisation du dialogue préventif à tout
conflit.
Philippe Frédière, Bérengère Nauleau et Yann Mainguet
Les réactions
Didier Guénant, Usoenc« Les partenaires sociaux sont reconnus »
« Aujourd’hui les politiques acceptent que les partenaires sociaux aient une place. Et ça, nous le devons au pacte social. Nous avons obtenu des augmentations significatives du SMG, une vraie représentativité des syndicats. Bien sûr tout cela embête beaucoup le Medef qui rêve de voir tomber l’actuel gouvernement. Ils ont crié à la faillite générale quand le SMG est passé à 100 000 F. Ils agitent le même épouvantail face à la perspective des 150 000 F. Mais les entreprises gagnent toujours beaucoup d’argent. Même le haussaire a dit que le partage des richesses était trop inégal. »
Joao d’Almeida, Fédération des Fonctionnaires
« De réelles avancées sociales »
« La Fédération a été très impliquée dans l’élaboration du pacte social. Le dispositif a permis de réelles avancées avec la représentativité syndicale, la généralisation des allocations familiales, la revalorisation des bas salaires ou le Ruamm. Reste que dans le secteur public, nous sommes encore à la recherche de marges de progression. Nos patrons, ce sont les politiques. Et les politiques, Philippe Gomès en tête, qui est pourtant à l’origine du pacte social, sont plus prompts à donner des conseils, voire des injonctions, qu’à se les appliquer à eux-mêmes.»
Louis Kotra Uregei, USTKE
« Les choses ont évolué petit à petit, avec ou sans pacte »
« Ce qui a surtout évolué, c’est la répression contre les syndicats. Pour les contraindre à accepter un comportement patronal qui, souvent, n’est pas conforme à la loi. S’il y a conflit, c’est bien parce que les gens ont des problèmes. Et les problèmes, les gens ne les inventent pas. Le vrai pacte social, c’est lorsque le patron lui-même est ouvert et accepte les règles, accepte de dialoguer. Ce n’est pas la répression violente. Mais les gens ne pouvaient éternellement rester en conflit. Les choses ont évolué petit à petit, avec ou sans pacte. »
Jean-Claude Nègre, ex-FO
« Bien plus de positif que de négatif »
« Le pacte social n’est pas arrivé tout seul. Il fallait changer les règles pour sortir d’une période post-coloniale et peu de politiques l’ont compris il y a dix ans. En poursuivant blocage sur blocage, on serait allés à un affrontement général. Aujourd’hui, les conflits sociaux sont beaucoup moins virulents. La création du pacte social a ouvert la voie à des réformes très positives. Je pense aux délégués du personnel dans le public, à la commission du dialogue social, au SMG. La reconnaissance des syndicats a bien sûr été une grande avancée. Il y a plus de positif que de négatif. »
François Peyronnet, ex-directeur du Medef
« Un instrument dans les mains du gouvernement »
« L’ex-président du Medef ne voulait pas signer ce pacte. C’est le bureau de l’organisation qui l’y a contraint. C’est bien d’avoir voulu créer les conditions d’un dialogue plus apaisé. Mais tout n’est pas une réussite. Le financement des syndicats par le gouvernement crée une guerre électorale permanente. A l’inverse, des mesures contraignantes pour les salariés n’ont jamais vu le jour. Ainsi, le service minimum. Aujourd’hui, on assiste à une mainmise du politique sur le dialogue social. Le gouvernement contrôle tout et se sert de certains syndicats salariés et patronaux. »
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