L’interdiction d’alcool agit avec modération
Il
y a deux ans, l’État éditait les premières interdictions de vente
d’alcool à Nouméa. L’idée a fleuri depuis : ce mois-ci, la moitié des
communes du pays se sont jetées à l’eau. Pour des raisons d’ordre
public, uniquement.
A partir de 16 heures aujourd’hui, la vente d’alcool sera interdite
dans six communes du pays (Moindou, Bourail, La Foa, Farino, Sarraméa et
Boulouparis). L’initiative est censée encadrer le Festival des arts
mélanésiens et durera jusqu’à samedi soir, à cause du « risque que présente la concentration attendue d’un public nombreux », dit l’arrêté du haut-commissariat.
Demain,
le même régime entrera en vigueur dans les quatre communes du Grand
Nouméa, qui l’appliquent chaque week-end depuis 2008. « En raison, notamment chez les jeunes, de l’alcoolisme sur la voie publique, à l’origine de bagarres »,
précise, cette fois, l’acte. Mais aussi à Yaté, convertie récemment. Et
à Thio, uniquement le temps du passage du Festival des arts... à Canala
(où la vente est aussi interdite).
En deux ans, le principe de
réduire systématiquement les horaires de vente d’alcool le week-end a
fleuri comme du faux mimosa. C’est pourtant à la surprise de la
population que l’État avait lancé cette idée à Nouméa, fin septembre
2008, sur demande de la municipalité.
Aujourd’hui, huit communes ont
obtenu leur propre arrêté, régulièrement reconduit au nom de l’« ordre
public ». Sans compter Kouaoua, qui publie un arrêté municipal dans ce
sens, en attendant que l’État prenne le relais.
Plus largement, entre
la fête de l’art mélanésien, celle du film océanien, ou encore le 24
Septembre (qui motive des arrêtés spéciaux dans le Grand Nouméa), quinze
communes sur trente-trois auront eu recours à une interdiction
temporaire de vente, ce mois-ci, grâce à l’intervention de l’État.
Personne ne comprendrait si l’on arrêtait ces interdictions et ce serait un recul.
Personne ne comprendrait si l’on arrêtait ces interdictions et ce serait un recul.
Pour quels résultats ? « Depuis 2007, en zone police [c’est-à-dire à Nouméa, NDLR], le nombre d’ivresses publiques manifestes (IPM) a baissé constamment », répond Christian Chassaing, directeur de cabinet du haut-commissaire. « On
a eu - 5,3 % entre 2007 et 2008, puis - 19 % entre 2008 et 2009. Il y
en a toujours beaucoup, n’importe qui se rendant sur le parking d’un
supermarché, le week-end, le voit. » C’est pourquoi l’État prévient : cela continuera, car « on considère que personne ne comprendrait si l’on arrêtait ces interdictions et que ce serait un recul. » Concrètement, il y a moins de personnes saoules dans les rues, et particulièrement aux abords des magasins. « Quand je parle de ces interdictions aux mères de famille, aux associations de femmes, elles sont satisfaites », constate le docteur Michel, addictologue à l’Agence sanitaire et sociale (ASS-NC), pour qui cette solution n’est qu’« un levier parmi d’autres ». « C’est bien, je le vois au sein de la tribu de Saint-Louis », poursuit Marie-Hélène Katé, présidente de l’association des femmes et conseillère municipale au Mont-Dore. « Avec les interdictions, il y a moins de jeunes qui font des safaris, ça a changé des choses. » Pour d’autres, « c’est interdit, mais il y a quand même des gens saouls partout, et on trouve du marché noir tout le temps
», remarque un agent de la commune de l’île des Pins. Mais l’impact de
telles mesures sur la tranquillité publique est majoritairement reconnu.
Il n’en est pas de même pour les autres données liées à l’alcool, pour
lesquelles les arrêtés n’ont eu aucun effet. Depuis les premières
interdictions, les Calédoniens ont continué de boire, et de plus en
plus. En 2009, nous avons cuvé 1 740 m3 (*) d’alcool pur, contre 1 738
m3 en 2008 et 1 574 m3 en 2007. Avec une préférence accrûe pour les
alcools forts, dont la consommation a bondi de 16 % en 2009.
Concernant
les accidents de la route, aucun effet non plus, même le week-end. Hors
Nouméa, en 2009, il y a eu 44 accidents mortels, dont 17 étaient
imputables à un excès de boisson. En huit mois, cette année, déjà 31
accidents, dont 15 sont dûs à l’alcool.
Marc Baltzer
(*) 1m3 d’alcool pur représente 1 000 litres
Après l’ordre public, la santé publique ?
Les mesures du haussariat sont destinées à réduire la
délinquance liée à la boisson. Mais il manque encore une politique de
santé efficace. C’est-à-dire indépendante des intérêts économiques.
D’ici
quelques jours, le deuxième plan « addictions » du gouvernement sera
dévoilé. Il va tracer la politique à suivre pour cinq ans (2010-2015)
et comportera des recommandations à destination des provinces et du
Congrès, qui votent les lois. Une nouvelle chance de lancer une
véritable lutte contre les dérives de l’alcool. Reste à savoir si les
recommandations seront suivies, malgré leurs conséquences sur le monde
économique.
« C’est toujours l’enjeu », constate Jeanie
McKenzie, conseillère à la Communauté du pacifique Sud (CPS) pour le
tabac et l’alcool. Il y a deux ans, la CPS lançait un programme contre
les maladies non-transmissibles, comme celles liées à la boisson ou à la
fumée. Et dans les 22 pays insulaires concernés, les décisions qui
marchent ne sont pas forcément les plus faciles à prendre.
Interdire la publicité ?
Parmi elles, « l’augmentation des prix est quelque chose de très efficace »,
note Jeanie McKenzie. Justement, le plan « addiction » recommande des
hausses fortes et successives, à l’image de ce qui a commencé pour le
tabac.
Autre idée : « cibler les débits de boisson et leur imposer des pratiques responsables »,
reprend Jeanie McKenzie. A la manière australienne ou kiwie, il
s’agirait de repérer et de sanctionner les établissements servant des
clients ivres.
Enfin, troisième axe : « interdire, ou limiter la publicité pour l’alcool ».
Celle-ci est autorisée et non encadrée. Or, « cela enfonce l’idée que l’alcool est un produit positif, surtout auprès des jeunes », selon Jeanie McKenzie. Pour finir, « l’éducation scolaire est considérée comme inefficace, les ados voudront toujours tout tester ». La preuve ? « C’est ce que les industriels préfèrent : sensibiliser. En Papouasie, c’est Heineken qui fait les programmes. »
Repères
L’alcool « chaud » se vend mieuxLes statistiques douanières démontrent que les commerçants vendent toujours plus d’alcool. En tout cas, que les grossistes en importent de plus en plus. Comme pour la consommation, les importations sont marquées, ces dernières années, par une nette progression des alcools forts, et par un léger recul du vin (la bière étant produite localement).
Superstar de l’« alcool chaud », le whisky confirme sa primauté parmi les digestifs. Entre 2007 et 2009, les importations de ce breuvage ont gonflé de 28 %, passant de 205 000 litres à 262 000 litres d’« équivalent alcool pur ». Une progression de près d’un tiers, en deux ans.
Dans la catégorie meilleurs espoirs, aucune boisson ne rivalise avec la vodka, qui représentait 8 255 litres d’alcool pur en 2007, contre 19 000 litres importés en 2009. Cela signifie que la consommation de cet alcool a doublé en deux ans. Or, cet alcool est souvent associé à des boissons fruitées ou énergisantes, particulièrement par des publics jeunes.
4,2 milliards
En 2008, les Calédoniens ont dépensé 4,18 milliards pour acheter de l’alcool, selon l’enquête sur le budget des ménages de l’Isee. Cela représente 17 000 francs par personne, en moyenne, enfants compris. Les vins représentent 2 milliards, la bière 1,8 milliard, et les alcools forts 900 millions. Sur la même période, la même population a dépensé 3,2 milliards pour la santé, et 523 millions pour l’éducation.
Trou noir
Selon une étude de l’Inserm publiée en 2007, 40 % des 16-25 ans ont déjà vécu un « trou noir », c’est-à-dire une surconsommation d’alcool suivie d’une perte de souvenirs partielle ou totale.
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